- Appel aux Internationalistes
-
- Il y a un an, on a jeté les bases de l'Internationale
de l'enseignement. Nombreux sont ceux qui, comme moi, avaient vu
dans cette organisation autre chose qu'une coordination de forces
politiques. Le Bureau Provisoire, qui le pensait ainsi, a
reculé devant l'ingratitude et l'étendue du travail
à accomplir.
- Il faudrait tout de même penser un peu à cette
internationale, et, nous rappelant la devise :
l'émancipation des travailleurs sera l'Ïuvre des
travailleurs eux-mêmes, ne pas nous décharger
quiètement de nos devoirs d'internationaliste sur un Bureau
qui ne pourra jamais être qu'un centre directeur et
coordinateur.
- Que font pour ce rapprochement mondial tous les instituteurs
farouchement internationalistes ? Rien, souvent. Nous agissons
comme si la France était isolée des autres pays.
Nous voudrions l'union par dessus ces frontières et
nous-mêmes ne savons pas abattre ces frontières.
Pourtant il y a bien à faire.
- Léon Woerth a dit : « Il y a en ce monde les
âmes publiques et les autres ; que ces autres se cherchent
et se rencontrent ». Eh bien, nombre de camarades pensent
comme nous en Angleterre, en Allemagne, partout. Un fil invisible
nous unit sûrement : le même amour des enfants. Nous
savons que nous aurions tant à gagner de mieux nous
connaître ; nous le sentons tous. Au travail donc !
- Et comment ? Nous ne parlons pas la même langue ! Mais
si, justement. Parmi nos camarades, les uns connaissent l'italien,
les autres l'allemand ou l'anglais, ou l'espagnol. La division du
travail se fera donc naturellement : que chacun se cherche un
correspondant dans le pays dont il connaît la langue et
l'Internationale sera née.
- Et maintenant, si vous êtes disposé à
avoir un correspondant, comment le trouver ? Nous sommes
quelques-uns à en avoir. Des étrangers nous
demandent parfois des correspondants français et nous
sommes incapables de leur en fournir. L'Internationale de
l'Enseignement serait toute désignée pour
centraliser les demandes et les répartir ensuite. C'est une
question à étudier. En attendant, l'E.E. ne
pourrait-elle pas ouvrir une rubrique où s'inscriraient
ceux qui désirent des correspondants ? L'E.E. est
lue à l'étranger ; cela servirait beaucoup.
- Et pour l'instant, il y a aussi un groupement qui est en
état de fournir quelques renseignements. C'est «
Clarté, internationale de la Pensée ». Demandez
à Clarté, 4 Bd St-Martin, Paris.
- Que ceux, maintenant, qui ne se contentent pas de la langue
qu'ils connaissent - parfois imparfaitement - apprennent
l'Espéranto. C'est un outil merveilleux ; j'en ai fait
l'expérience. Je l'ai appris en quelques mois et je peux
déjà lire des revues et me faire comprendre de
n'importe quel espérantiste. Pour un espérantiste,
les correspondants abondent.
- Des sections espérantistes sont constituées un
peu partout, il suffit de vouloir.
- Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra avoir une
internationale vivante. A notre insu, on se façonne ainsi
une âme internationaliste. On fait disparaître les
frontières. On a la joie de sentir dans les pays lointains,
des hommes - avec qui l'on s'est battu peut-être - et qui
pensent comme nous et qui aiment les mêmes choses. On
découvre en eux des frères - n'est-ce pas Siemss ? -
et on les aime.
- Ainsi sera atteint le double but de notre internationale :
perfectionnement pédagogique et rapprochement social.
- C. Freinet
-
article publié dans l'Ecole Emancipée, n°38, 18
juin 1921