La pratique de l’école active
livre d’Ad. Ferrière
(Editions Forum, Neufchâtel)
Ecole Emancipée n°5 20 octobre 1924
Rubrique : Bibliographie
C. Freinet


C’est un titre un peu gros et sur la portée duquel il n’est pas inutile de fixer immédiatement nos camarades. N’achetez pas le livre dans l’espoir d’y découvrir le secret de la pratique de l’école active. Il n’y a encore aucune pratique définie. L’école active cherche sa voie. Quelques éducateurs - parmi lesquels M. Ferrière - essayent de la réaliser, chacun avec son tempérament particulier. Pour avoir une idée de la pratique de l’école active, il faut lire les livres dont nous avons déjà parlé : Faria de Vasconcellos :Une école nouvelle en Belgique, Jan Ligthart, par Gunning, La communauté scolaire de l’Odenwald, par E. Huguenin, etc. Il faudrait lire aussi Tolstoï et Pestalozzi, et tant d’autres.
M. Ferrière n’a d’ailleurs pas la prétention de présenter une technique. Dans le court chapitre où il traite de la question objectivement, il ne fait guère que préciser certains points de son livre précédent (L’école active, 2 vol. édition Forum) et répondre à quelques critiques. Il affirme la nécessité d’un esprit nouveau, mais recommande une grande prudence dans l’évolution des méthodes. « Perfectionnons nos outils, nos méthodes, mais n’attendons rien de ces instruments si l’ouvrier, le maître n’est pas animé d’un esprit nouveau » Où prendre cet esprit nouveau ? L’attendra-t-on d’un esprit social nouveau résultant d’une révolution ? Pour l’instant, je crois tout de même qu’on peut découvrir certaines méthodes qui, sans demander aux maîtres un effort intense, les intéressent davantage à leur travail et, malgré eux, les poussent sur la voie nouvelle.

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La 2e partie du livre est plutôt un modèle pour la pratique de l’école active, comparable en cela à ce livre si plein d’enseignement qu’est le Jan Ligthart de Gunning (éd. Delachaux). En l’absence de méthodes sûres, de tels livres sont encore les guides les plus précieux. Du moins, sont-ils vivants.
M. Ferrière éducateur a toujours voulu donner la prépondérance à la spontanéité des élèves. Si ses divisions du travail, ses horaires et ses programmes se rapprochent souvent des divisions du Dr Decroly, par exemple, on y remarque cependant le souci constant de ne pas imposer un travail qui n’est pas voulu. « A de rares exceptions près, dit-il, nous nous sommes abstenus d’indiquer ce que les élèves ne trouvaient pas d’eux-mêmes, jugeant que cela sortait du cercle de leurs intérêts ou dépassait leur portée, et estimant que ce qui est donné dans ces conditions, ce qui n’est pas réclamé avec insistance, ne répond pas à un besoin et ne doit pas être proposé. Ce qui est absorbé sans appétit ne saurait être digéré et assimilé ». « Si je n’indique pas de programme à l’avance et en détail, dit-il plus loin, c’est que j’estime artificiel tout programme qui ne se fonde pas sur les besoins et les goûts des enfants, sur leurs aptitudes et leurs intérêts. Eveiller ces aptitudes, renforcer ces intérêts, c’est le plus grand service que nous, éducateurs, puissions leur rendre, peut-être le seul. Toute mon activité visera donc à entretenir et à accroître l’appétit de savoir qui existe chez tout enfant normal, non bourré par ailleurs d’une nourriture spirituelle dont il n’éprouve pas le besoin ». Et c’est aussi mon avis. On peut se donner quelques directives très larges ; mais il est absolument impossible de fixer à l’avance les détails d’un programme, car il n’y a plus alors ni liberté ni spontanéité, donc pas d’adaptation aux élèves et au milieu.
Les Centres d’intérêt eux-mêmes, aujourd’hui tant à la mode, sont complètement impuissants. Nous organisons ces centres avec notre logique d’adulte ; nous faisons état d’associations d’idées qui n’existent pas chez les enfants. C’est pourquoi je ne crois pas possible l’utilisation, dans une école active, de centres d’intérêt factices, dont les mouches, les sauterelles, les accidents de la rue, détruisant à tout instant la régularité. « Avec les plus jeunes, les centres d’intérêt sont occasionnels. Ce n’est que vers 11 ou 12 ans, en général, que le besoin d’une suite dans les idées et d’un ordre dans les études se fait sentir ».
Le travail doit être spontané. Mais autre chose est l’organisation de ce travail. Là, le maître, plus expérimenté, donne des conseils qui sont acceptés parfois avec enthousiasme. C’est alors qu’une technique est vraiment nécessaire.
Ceux qui s’intéressent à cette organisation du travail trouveront, dans les derniers chapitres du livre, des modèles et des conseils fort utiles.
Cet ouvrage, comme nous l’avons dit, ne contient rien de définitif. Il apporte cependant sa brillante contribution au problème si délicat, et surtout si controversé, de l’école active.
C. Freinet