École Émancipée n°10 27 novembre 1927
rubrique: NOTES DE PEDAGOGIE NOUVELLE RÉVOLUTIONNAIRE
C. Freinet


Une institutrice de talent, collaboratrice à divers journaux pédagogiques capitalistes, m’écrivait récemment ne pas comprendre du tout ce que nous entendons par « pédagogie révolutionnaire ». Sa tâche, disait-elle est de préparer l’enfant pour le milieu actuel et non pour une société dont nous entrevoyons à peine l’organisation. Le jour où la société changera, l’Ecole s’adaptera à la société nouvelle.
Libre à ceux qui s’accommodent de la société présente d’adapter leurs élèves à un régime d’injustice et d’exploitation. Les révolutionnaires en peuvent s’en tenir à ce « quiétisme » pédagogique et ont, pour l’école populaire, d’autres ambitions.
Nous ne nous faisons cependant pas d’illusions : nous ne pensons pas, comme nombre de purs pédagogues suisses ou allemands, que l’Ecole peut régénérer le monde, qu’elle peut préparer la paix et l’union des peuples, qu’elle peut amener le triomphe du travail. Nous tous qui sommes mêlés chaque jour à la dure lutte de l’Ecole contre le milieu social, savons bien que ce n’est là qu’un beau rêve. L’éducation maximum que nous pouvons donner sera vite anéanti par les influences abrutissantes de la presse, du cinéma, de l’organisme capitaliste tout entier.
Et si nous sommes persuadés de ce fait : que l’Ecole est nécessairement l’image du régime, ne devons-nous rien faire que servir ce régime en servant l’Ecole ?
Nous ne pensons pas.
Sans espoirs démesurés, nous tâcherons d’être sans cesse à l’avant-garde de la pédagogie populaire. Par notre action, nous montrerons aux éducateurs que l’école actuelle est loin d’être celle que nous rêvons pour le peuple ; nous prouverons que donner de son mieux l’éducation scolaire, telle qu’on la comprend ordinairement, n’est pas forcément servir les enfants du peuple ; nous dénoncerons les pratiques, les méthodes qui, loin de contribuer à la libération de l’homme, préparent son plus entier asservissement aux forces aujourd’hui régnantes : les banques et les trusts.
Et les obstacles mêmes que nous rencontrerons montreront davantage quelles forces s’opposent à la libération de l’Ecole. Face au verbiage démocratique, nous essaierons de préciser, dans les articles qui vont suivre, le problème pédagogique révolutionnaire.
Notre effort commun pour la régénération de l’Enseignement n’aura pas été inutile s’il a contribué à donner aux élèves quelques velléités de libération et aux maîtres une idée plus précise de leur rôle social dans la société capitaliste.

C. FREINET