Pouvons-nous mesurer la moralité de nos enfants
LÉcole Émancipée n°17, 20 janvier 1929
VIE PÉDAGOGIQUE - LÉCOLE À TRAVERS LE MONDE
daprès May et Hartshorne, traduit par Mme LAGIER-BRUNO
(Daprès les études des professeurs May et Hartshorne, de lInstitut des Recherches sociales et religieuses de New-York)
La vieille habitude, si longtemps en honneur, de considérer lâme de lenfant comme une pincée dargile dans les mains du potier, tend à disparaître, et, à sa place, une nouvelle croyance simplante : Prononcer des mots sages devant lenfant, cest les imprimer peu à peu dans son âme dune façon indélébile, et marquer tous les actes, toutes les impulsions de lenfant de linfluence de ces mots. Autrefois, celui qui montrait trop de dédain pour les lois morales, telles que les grandes personnes les comprennent, était considéré comme marqué de la tache originelle et on faisait des tentatives multiples pour extirper le mal de son âme. Cette pratique disparaît aussi, heureusement ; on a compris que moraliser ne crée pas la moralité. Ainsi la valeur au point de vue de léducation morale dorganisations telles que les Boy-Scouts est fort discutée. Chacun connaît lhistoire du petit Boy-Scout qui nayant accompli aucune bonne action dans la journée et voyant avec angoisse venir la nuit, lâcha une souris prise au piège et la donna au chat, résolvant ainsi le problème à la grande satisfaction du chat et à la sienne. Le problème qui en ce moment attire lattention des éducateurs aux États-Unis, est celui-ci : Que dimpulsions enfantines sont réprimées par lenseignement de la morale et sacrifiées à lopinion des autres, ou à une récompense minime ou même à un moindre avantage !
Les professeurs May et Hartshorne chargés par lInstitut de Recherches Sociales et Religieuses de New-York détudier la moralité des enfants, aboutirent, après beaucoup détudes, à cette conclusion quune évaluation scientifique des tendances naturelles du caractère serait une aide précieuse. Alors ils se mirent à inventer des tests, cest à dire des moyens détablir des statistiques permettant de préciser les mobiles des actes, les causes de déchéances, et aussi dévaluer les résultats des procédés ayant pour but lamélioration de lindividu.
Voici le résultat de leurs expériences :
Lâge, tout au moins jusquà 14 ans, nentre pas bien en ligne de compte. Les filles trichent toujours plus que les garçons : cela, non point quelles ont un moindre sentiment de lhonneur, mais un désir plus grand de réussir en classe. La bêtise et la fourberie vont ensemble ; les enfants intelligents ont un niveau moral plus élevé que les autres, en moyenne. Le désir de tricher va de pair avec la médiocrité du travail fourni à cause du sentiment dinfériorité ; ceci montre lerreur qui consiste à croire que les grands talents et le génie accompagnent une moralité douteuse : malgré que ces résultats ne soient que des moyennes et quil faille faire la part des exceptions aux règles générales. Peut-être, à tout prendre, les plus intelligents trichent moins parce que leur imagination leur montre mieux quaux autres les conséquences de leurs actes.
Ce que les tests montrèrent dune façon éclatante, cest la relation très étroite entre la situation des parents et lhonnêteté des enfants.
Les enfants de docteurs, de pharmaciens, de professeurs, grands industriels, architectes... se montrèrent nettement les plus honnêtes. Les enfants de docteurs et de pasteurs furent particulièrement bien classés. On pourrait faire trois autres catégories denfants de moins en moins honnêtes :
1° Enfants dentrepreneurs, contremaîtres, petits commerçants...
2° Enfants douvriers spécialisés : électriciens, mécaniciens, plombiers...
3° Enfants douvriers non spécialisés, peu habiles. Ces recherches montrèrent bien que lhérédité et le cadre influent sur le caractère. Un frère et une sur se ressemblent au point de vue intelligence, ce qui sexplique par des tendances, des faiblesses naturelles communes.
Lhonnêteté ou la malhonnêteté sont lapanage de familles entières comme lintelligence ou la stupidité. La loyauté ou la fourberie des parents se reflètent chez les enfants. Des sujets arrivants de pays opprimés semblent être plus enclins à la tromperie que ceux venus de pays relativement libres.
Une influence qui semble sexercer de façon très nette sur les enfants est celle des maîtres. Les premiers tests semblaient prouver que les élèves des écoles progressistes étaient plus honnêtes que ceux des écoles de lEtat, mais des expériences réitérées ont montré que dans les deux sortes décoles il y a plus de menteurs là où il existe un certain malentendu entre élèves et maîtres. Les écoles progressives donnaient de bons résultats parce quelles ont un personnel meilleur, si je puis mexprimer ainsi, un personnel qui cherche à entretenir avec les élèves des relations harmonieuses. Une classe denfants très malhonnêtes daprès les premiers tests changea de maître et fut classée ensuite parmi les plus honnêtes.
Il semble que la religion nexerce aucune influence sur la moralité des enfants.
Un autre fait fut mis en lumière par les tests. Les professeurs May et Hartshorne se rendirent compte quon apprend à se bien conduire et quon lapprend des circonstances mêmes de la vie. La loyauté ou la fourberie deviennent pour ainsi dire « fonctions » des situations dans lesquelles on est loyal ou fourbe ; elles en sont le résultat ; si ces situations se retrouvent souvent lhonnêteté ou la malhonnêteté deviennent une habitude, une fonction de la circonstance qui les crée, et peu à peu sexerceront dans des circonstances semblables. Ainsi, à leur avis, lhonnêteté nest pas un trait de caractère bien défini : un enfant peut être honnête dans certains actes de sa vie et non en dautres, il peut être loyal à lécole et non à la maison. Et il en est de même pour les adultes. Léducation morale est en grande partie un « ajustement » une adaptation des habitudes spontanées aux nécessités.
On conclura quapprendre à bien vivre est possible, aussi bien quapprendre à bien faire un travail, mais lapprentissage daucun travail ne donne une éducation complète. La vraie éducation suppose un certain lien de parenté entre lhomme et ses connaissances dune part, la vie et la société dautre part. Ce lien de parenté subtil, lhomme moralement éduqué le possède, et lhomme non éduqué moralement ne la pas. Un homme très savant peut très bien ne pas avoir cette sorte déducation. Lhomme ne vient pas au monde avec le « sens » de lhonneur, ni avec aucun « sens moral » du tout. Il apprend à se conduire. Bien sûr quil peut bien se conduire parce quil sest aperçu que cest la meilleure politique.
Daprès New-Era. N° de juillet 1928.
Traduit par Mme J. LAGIER-BRUNO.