Le contact culturel entre l’école urbaine et le village dans l’Union Soviétique
Ecole n°4 Voznesenki (Ukraine) 30/06/1929
L’école dans le monde
Eugène MIKHALSKI (traduit de l’espéranto, service pédagogique Espérantiste)


Une des phases les plus importantes de la vie sociale actuelle dans les pays soviétiques, c’est, sans contredit, celle de la propagande, de l’organisation et de la réalisation de la révolution culturelle.
En vérité – et ce n’est un secret pour personne – notre pays, malgré la poussée formidable donnée par la révolution d’octobre, se trouve encore dans une situation très inférieure, si l’on considère la pénétration culturelle dans les masses populaires.
C’est pourquoi le Parti Communiste et en général tous les militants qui luttent sur le terrain social se sont donné pour tâche d’élever le niveau culturel des masses – car c’est seulement sur une forte culture que peuvent s’édifier les bases du communisme.
Pour la réalisation de cette tâche essentielle, une fièvre de travail s’est emparée de toutes les activités, dans toutes les branches de l’organisme social soviétique.
C’est de la modeste participation de mon école dans cette tâche culturelle et sociale que je veux parler brièvement.
Au commencement de l’année scolaire, à plusieurs des militants de l’enseignement qui exercent à l’école du travail n°4 (Voznesenski – Ukraine), il vint l’idée de faire participer l’école à cet immense travail de révolution culturelle.
Sitôt dit, sitôt fait.
Au cours de réunions d’abord intimes, nous primes la décision de réaliser un contact culturel avec les écoles rurales et de leur donner notre appui sous toutes formes, en un mot de les « patronner » dans leur tâche culturelle.
Nous entrâmes en liaison avec deux écoles rurales, toutes deux écoles de 7 ans comme la nôtre, situées à des distances respectives de 15 et de 25 km de notre ville. Comme ces écoles n’avaient pas de bibliothèque, nous envoyâmes à chacune une « bibliothèque circulante » composée de 120 livres. Ce fût là un premier pas qui ne pouvait nous satisfaire. Nous primes donc la résolution de faire plus intime connaissance avec les instituteurs ruraux et de mettre en contact nos élèves avec les leurs.
Le 8 novembre dernier, lendemain du onzième anniversaire de la révolution d’octobre, 4 instituteurs de notre école, 2 représentants de notre Conseil de Parents, le dirigeant de notre groupe de pionniers et 70 élèves des cinquième, sixième et septième groupes (années de scolarité) entreprirent une « expédition culturelle ».
Au matin nous primes place dans des voitures qu’on nous avait envoyées des deux villages que nous « patronnons ». C’était on ne peut plus gai. Vous dire l’étonnement des citadins qui s’arrêtaient pour regarder cet étrange équipage d’instituteurs, d’enfants, drapeaux déployés. Le soleil lui-même semblait vouloir être du voyage : les nuages gris qui couvraient le ciel disparurent bientôt et le soleil se montra.
Nos voitures roulent sans arrêt, et voilà que déjà nous apercevons « notre » premier village, Arnautovka. A l’entrée du village, les pionniers et les écoliers, qui sont venus avec leurs instituteurs à notre rencontre, nous accueillent. Je ne suis pas un sentimental et pourtant je dois avouer que j’ai ressenti à la gorge une étrange impression et que je n’ai pu refouler quelques larmes de vraie joie. Et j’ai remarqué la même émotion chez tous mes camarades.
Echange de salutations. Dans une improvisation touchante, un de nos pionniers répond au salut des petits paysans. Puis nous marchons tous ensemble avec nos drapeaux et un grand portrait de Lénine dans les rues du village et nous nous rendons à l’école où les paysans nous attendent en foule : hommes et femmes, jeunes et vieux, enfants et adultes…
C’est maintenant la partie officielle de notre « meeting de contact culturel ». De notre côté, tour à tour, la directrice de notre école, le représentant du Comité des Parents, le jeune communiste dirigeant des pionniers et un de nos écoliers disent quelques paroles de salutation. Du côté paysan, la directrice de l’école rurale, le président du soviet villageois, le secrétaire de la cellule communiste paysanne et un écolier répondent en nous souhaitant la bienvenue.
Il s’agit surtout de la signification de la révolution culturelle en général et du contact entre nos deux écoles en particulier. Comme gage de notre liaison, nous faisons don au village d’un grand portrait de Lénine peint par l’un de nos élèves. Après la partie officielle, notre club sportif présente quelques uns de ses « numéros ». Les exercices sont accompagnés par notre orchestre. Puis notre chœur exécute un grand nombre de chants révolutionnaires et populaires. Le public est entièrement satisfait. Ensuite nos « protégés » nous régalent de cacaos et de bons plats.
A quatre heures, nous poursuivons notre voyage au village suivant ; quelques élèves et plusieurs instituteurs d’Arnautovka se sont joints à nous. Une heure après, nous sommes à Beloussovka, le second village que nous patronnons. Rencontre émouvante et grandiose. Non seulement l’école, mais tout le village, travailleurs organisés ou non, est là. L’orchestre de Beloussovka me plaît particulièrement ; il comprend quatre musiciens : un violon, une clarinette, une trompette d’harmonie et un tambour. La clarinettiste, une tsigane, joue merveilleusement.
Nouvelles salutations à l’entrée du village dans un champ tout rouge de drapeaux, au milieu duquel un tracteur haletant donne plus de solennité à notre rencontre. De même qu’à Arnautokva, nous nous rendons à l’école de Beloussovka. Et c’est un meeting dans la rue mais qui dure trop peu, car il fait déjà nuit.
Nous entrons dans l’école où ont lieu après quelques minutes de répit, deux réunions simultanées :
1° un conseil pédagogique commun aux trois écoles et auquel participent tous les militants du village.
2° une séance commune des trois groupes scolaires de pionniers.
Au conseil pédagogique, la question la plus actuelle est celle de la liquidation de l’analphabétisme au village. Après de vifs débats, on décide d’organiser (outre les cours nationaux existants déjà) une salle de lecture où se fera tout le travail culturel, y compris celui de la liquidation de l’analphabétisme. C’est notre coopérative scolaire qui prend sur elle la charge matérielle d’organisation, les instituteurs de notre école assureront l’enseignement.
Dans la réunion des pionniers, les rapports suivants sont étudiés :
1° La signification de la révolution culturelle.
2° Les méthodes pour réaliser la révolution culturelle chez les jeunes gens ; la coopération en général, la coopérative scolaire en particulier ; la correspondance internationale des enfants.
Réunion bien organisée, vivante et intéressante. La résolution d’adresser des salutations aux pionniers des autres pays est votée par acclamations.
Ainsi se termina le travail officiel de contact culturel. Comme il était déjà tard et que nous étions fatigués, il fut décidé de prendre quelque repos, puis d’organiser un spectacle pour les paysans. Mais aussitôt les enfants du village « raflèrent » nos écoliers, les emmenèrent chez eux et, bien que dans la région la dernière récolte ait été très mauvaise, les paysans régalèrent nos enfants de telle façon que ceux-ci en conserveront toujours le souvenir.
Quant à nous, instituteurs et parents, nous fûmes aussi invités par les instituteurs du village. Après le thé et le repas, à 9 heures, nous nous rendîmes au « théâtre » du village (si l’on peut appeler ainsi le hangar aménagé pour les représentations). Notre club dramatique y présenta deux pièces révolutionnaires, notre club de chanteurs exécuta quelques chœurs et l’orchestre, sans cesse applaudi, joua de nombreux morceaux. Un collègue de notre école déclama et notre club sportif présenta quelques « figures ». Le hangar était plein « à craquer », mais l’attention du public ne cessa d’être fortement tendue. Le spectacle dura jusqu’à deux heures du matin. Puis, « protecteurs » et « protégés » se dispersèrent par groupes pour passer la nuit. Le lendemain, ce fut le retour à la ville.
Il est certes bien difficile d’exprimer avec des mots les impressions de toute cette journée ; mais je puis dire une chose : c’est que cet événement restera pour toujours dans la mémoire de ceux qui y ont pris part et que sa signification sociale est importante, quand on sait l’antagonisme qui existe entre la ville et la campagne. Ici, nous n’en avons rien vu. Nous avons seulement senti l’hospitalité de paysans comprenant bien qu’un lien d’amitié entre la ville et la campagne est la base de solidarité effective. Et nous avons tous ressenti ce sentiment de communauté humaine, bien que la plupart des hôtes de la ville fussent juifs. On dit que les paysans sont antisémites. Mais pas une phrase, pas un geste n’a décelé un tel sentiment. Rien que des hommes. Rien que des travailleurs. C’est là un fait important et éminent significatif. Par le contact culturel, nous vaincrons les superstitions et les reliquats de chauvinisme au village.
Aujourd’hui la salle de lecture (que nous avons dotée dès notre retour de tout le matériel nécessaire) fonctionne parfaitement, fréquentée assidûment par 40 paysans illettrés et par de nombreux autres villageois qui y viennent lire les journaux et les livres que nous leur procurons.
Ce ne sont là que nos premiers pas, nos premiers essais sur la voie du contact culturel général et permanent entre la ville et le village.