En Allemagne
L’École Émancipée n°21, 16 février 1930
L’ÉCOLE À TRAVERS LE MONDE
Communiqué par C.FREINET

En Allemagne

Dans un numéro de la Volksschule (l’Ecole primaire, Editeur, Jules Beltz à Langensalza) M. Johannes Kretschmann, instituteur, à Holbeck, dit comment il a fait de son école à classe unique une école nouvelle. Cette transformation s’est faite peu à peu, sans causerie aux parents, sans exposé aux enfants sur le but à atteindre. M. K a introduit d’abord trois heures hebdomadaires d’enseignement complexe. (Enseignement synthétique, uni, non divisé en disciplines, comprenant la réunion de plusieurs branches d’enseignement dans le but d’étudier un fait ou un groupe de phénomènes de plusieurs côtés. Rappelle les centres d’intérêt et la méthode Decroly. M. K. laisse l’initiative à l’enfant. C’est l’enfant qui indique par un mot, une question, le sujet qui sera examiné.
M. K. dit que l’expérience lui a prouvé que la curiosité naturelle de l’enfant est bien suffisante pour lui faire acquérir sans contrainte toutes les connaissances et le savoir faire que donne l’école traditionnelle avec ses emplois du temps et ses programmes uniformes.
Peu à peu, l’écho de l’enseignement complexe, vivant, adapté parfaitement et tout naturellement aux besoins de la classe et du village, examinant parfois des sujets qui intéressent aussi les parents, pénètre jusque dans les maisons du village, et l’école peut devenir le véritable centre intellectuel de la localité.
M. K. condamne le « langage des livres de lecture » et lui oppose le langage naturel. Le livre de lecture devrait suivre l’enseignement très exactement, et alors il faudrait à chaque classe une imprimerie.
Quelques suggestions ont suffi à pousser les élèves à observer plus attentivement leur entourage, la nature, les phénomènes atmosphériques, le ciel, la langue du pays, les mœurs et aussi leur propre âme. M. K. possède des centaines de petites « confessions », quelques unes, dans leur nudité, d’une beauté incomparable. Une communication de l’enfant sur sa vie intérieure est toujours un cadeau, et il sait qu’avant tout, ces communications devront être sincères. Elles pourraient devenir des documents précieux pour des études pédagogiques ou psychologiques.
En Allemagne une attaque a été dirigée contre les méthodes nouvelles d’éducation ; on voudrait les rendre responsables des résultats très faibles qu’ont donnés certains examens d’apprentis. Le Dr Otto Karstadt réfute, dans le numéro du 15 octobre de la Volksschule, les arguments des adversaires, et fait remarquer que la mémoire des élèves de l’école primaire n’est pas seule défaillante. Des questions auxquelles tous les élèves de l’école primaire doivent pouvoir répondre ont été posées à des adultes et ont donné les résultats suivants : anciens élèves de 3e d’un lycée 1  1/2  0/0 de réponses justes en histoire, 10 à 16 0/0 en géographie ; anciens bacheliers et étudiants des facultés 0  0/0, 10  0/0, 5  0/0, 60  0/0 de réponses justes ; instituteurs 25  0/0, 40  0/0, 50  0/0 de réponses justes.
Faudrait-il pour cela réduire à un tiers ou même à un cinquième les matières actuelles comme certains le demandent, et faire acquérir à l’élève seulement des notions sûres, sues et retenues pendant toute la vie ? Ce serait abaisser et appauvrir le peuple. Même si l’élève oublie, l’effort n’a pas été vain puisque l’élève a développé ses forces. Et voici le point important : puisque l’élève oublie, il ne faut pas attacher la plus grande importance aux résultats, mais au travail de l’élève, il faut lui donner de bonnes habitudes de travail, le rendre capable de retrouver ce qu’il a perdu, et aussi d’acquérir seul de nouvelles connaissances, bref, il faut introduire partout l’Arbeitsschule (l’école du travail). Et à ceux qui attaquent l’école nouvelle à cause du peu que l’élève retient, le Dr Karstadt fait remarquer que l’Arbeitsschule a été créée surtout parce qu’on avait constaté qu’il ne restait presque rien de ce que l’élève apprenait dans l’ancienne Lernschule (école où l’on apprend), et qu’il y avait une disproportion formidable entre la peine employée et les résultats obtenus.

Communiqué par C. FREINET