la discipline


Aspect JURIDIQUE de la question.

Il y a une donnée qui fausse tout le problème de la discipline: c'est la responsabilité en cas d'accident.

Certes, l'Instituteur ne saurait être mis directement en cause devant la juridiction civile, et il est extrêmement rare que l'Etat exerce l'action récursoire contre le maître responsable. Mais une sanction administrative est toujours à craindre. Surtout, l'imposant dispositif de prévention contre les accidents n'est pas l'oeuvre d'Éducateurs, mais de Juristes. Et de là vient tout le mal.

Il y a bien la circulaire du 12 Avril 1946 qui devrait apporter quelques apaisements pour les cas particuliers d'accidents survenus "dans un groupe d'élèves dont la surveillance est assurée selon les conceptions éducatives nouvelles par un de leurs camarades". Cette Circulaire admet que l'élève surveillant (sans doute indispensable aux yeux du Ministre) ne saurait être tenu pour responsable; les fonctionnaires qui ont organisé le groupe et le mode de surveillance non plus, puisque c'est l'Administration supérieure qui recommande l'emploi de telles méthodes d'éducation. Mais la circulaire rappelle aussitôt que ces fonctionnaires peuvent encourir une peine disciplinaire; et il est à craindre que l'autorité chargée d'infliger ladite peine ne se montre guère favorable aux "méthodes nouvelles d'éducation" dès que cela lui occasionne des ennuis.

Nous savons tous que les accidents ne sont ni plus fréquents ni. plus graves lorsque les enfants sont plus libres. Nous savons même que la surveillance répressive peut en provoquer directement en amenant les élèves à commettre des imprudences pour déjouer cette surveillance, et indirectement par le déséquilibre nerveux qu'elle crée ou augmente à la longue. Mais il y a le RÈGLEMENT que l'instituteur isolé ou le conseil des maîtres ne peuvent modifier dans un sens favorable, alors qu'ils l'aggravent sûrement si, obéissant aux Instructions, ils en précisent les modalités d'application suivant les conditions locales. Il est impossible de ne pas s'y soumettre et de ne pas le faire subir aux enfants; car l'accident prendra les proportions d'une catastrophe si le maître responsable ne parvient pas à prouver qu'il a fait "son devoir" tel qu'il est défini par le règlement en vigueur; non seulement sa carrière sera irrémédiablement brisée, mais il sera cruellement atteint dans sa dignité d'homme. Voilà pourquoi nous hésitons à prendre sous notre responsabilité des initiatives admises et même recommandées dans une troupe d'Éclaireurs, mais qui ne sont licites, ni en classe, ni pendant l'interclasse, ni pendant les récréations.
C'est toute une partie de notre législation scolaire qu'il faut modifier. Il est indispensable de laisser à l'Enfant des "secteurs libres" où il puisse agir sans surveillance seul ou en compagnie de camarades: cela est une condition essentielle de l'Éducation. Il y a là un droit intangible pour l'enfant dans la mesure ou l'on admet qu'il a droit à l'Éducation. Le bon sens populaire est d'accord: toutes les mamans savent bien que leur petit doit s'habituer à faire seul des commissions, à voyager seul dans la rue où les risques moraux et matériels sont beaucoup plus grandes qu'à l'École. Cette "expérience tâtonnée" de la liberté et irremplaçable. Elle devrait se poursuivre normalement aux heures où l'enfant est placé sous la responsabilité de l'Instituteur. La position de ce dernier n'a rien de comparable à celle d'un chauffeur d'auto, d'un conducteur de troupeau, ou d'un patron d'usine. Ses devoirs sont d'un ordre différent Mais cette conception, l'Autorité judiciaire ou administrative chargée de régler les inévitables conflits ne saurait la combattre tant que les textes considéreront l'enfant uniquement comme un mineur irresponsable, et le maître d'école comme le gardien d'un troupeau.

Albert Bonneau 14 Rue de l'Audience ST MAIXENT l'ÉCOLE (Deux Sèvres)

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MODIFICATION DES RÈGLES DE RESPONSABILITÉ LÉGALE à L'ÉCOLE



Au moment de présenter ce rapport, notre ami OURY me fait remarquer que la question de responsabilité légale est primordiale pour la réalisation pratique de l'École Moderne.

Il développera lui-même ses points de vue au Congrès. Nous résumons ici son argumentation:

Légalement, nous écrit Oury, les méthodes actives sont tout à la fois recommandées et interdites.

"Mon directeur, écrit-il, est responsable (donc peut m'interdire et le fait) lorsque je laisse trois gosses imprimer hors de ma vue, ou lorsque j'envoie un gosse chercher de l'eau pour arroser le jardin."

Ces règlements de responsabilité étaient intervenus, il y a cinquante ans, quand n'existait aucun principe d'assurances dans les entreprises. Mais depuis les choses ont évolué dans les entreprises. L'employeur paie à la Sécurité Sociale un tant pour cent sur les salaires pour l'assurance accident. Tous les accidents pouvant survenir dans un atelier sont couverts pas l'assurance; on ne recherche pas si l'employeur ou les ouvriers ont des torts. Les services de Sécurité Sociale veillent seulement à ce que l'installation et les machines ne fassent pas courir trop d'accidents et de graves.

Nous pensons que l'Etat pourrait envisager une garantie exactement semblable et qui pourrait être établie sur les principes suivants:

"Dès que l'enfant est entré en classe, il est placé sous la responsabilité de l'Etat, quelles que soient les conditions où se produisent les accidents.

Les services d'inspection veilleront seulement que soient écartées de l'École, les installations ou les machines qui risquent de susciter des accidents graves.

L'instituteur n'est pas plus responsable à l'École que le contremaître dans l'Usine."

Un projet de loi pourrait être préparé dans ce sens, le Congrès pourrait en établir la présentation.