XIIIe CONGRES DE L 'ÉCOLE MODERNE

RAPPORT INTRODUCTIF DE C. FREINET SUR
LA PSYCHOLOGIE ET LE COMPORTEMENT DE L'ENFANT DANS LEURS RAPPORTS AVEC LA DISCIPLINE A L'ÉCOLE


En ouvrant cette séance si importante à laquelle ont bien voulu participer un certain nombre de personnalités, je tiens à résumer d'abord les travaux poursuivis au cours des deux premières journées, et qui font suite aux études menées dans notre mouvement et dont notre revue L'ÉDUCATEUR a publié l'essentiel.

Nous avons expliqué au cours de la première séance que la discipline à l’École a été longtemps et reste encore considérée comme une affaire personnelle, une question d'ascendant et de principe, sans relations donc avec aucune autre incidence préalable. On a ou on n'a pas de discipline.

Il en est résulté que chaque instituteur a solutionné selon ses possibilités les graves problèmes de discipline qui se posaient à lui. Mais il les a résolus pour ainsi dire clandestinement. On sait vaguement que la discipline à l'École comporte un certain nombre de pratiques, légale ou non, qui n'honorent pas la pédagogie. On sait qu'il en est dont la révélation serait un scandale. Mais nul n'en parle ouvertement.

Nous avons pensé nous, que, en l'occurrence l'éducateur est plus victime responsable, que la discipline qu'un aboutissant et qu'il est de notre devoir de situer les responsabilités.

Nous avons alors entrepris la dénonciation de diverses pratiques disciplinaires. Selon l'expression de notre ami FONVIEILLE, nous avons fait sauter le couvercle de la marmite. Il faudra qu'on sache maintenant ce qu’il y a dans la marmite. Et ce qu'il y a n'est pas beau. Encore une fois les instituteurs n'en sont que dans une très faible mesure responsables. Nous ferons connaître les responsabilités.

Hier soir, nous avons étudié les solutions pratiques pour le problème de la discipline. Et nous avons terminé la séance par le vote d'une charte de l'enfant.

Mais nos observations, notre pratique d'École Moderne, nous montrent que la pratique de la discipline traditionnelle a une portée très néfaste pour la psychologie et le comportement des enfants; que l'École Moderne est, au contraire équilibrante et libératrice.

C'est en somme le procès individuel, psychologique, psychique et humain des diverses formes de discipline que nous voulons examiner ici.

Nous ne ferons certainement pas le tour complet d'une question dont il nous faudra reprendre l'étude l'an prochain. Nous noterons du moins ici quelques aspects méconnus, et excessivement graves de ce problème.

A mon avis, mériteraient d'être étudiés:
- l'influence de l'alimentation, du bruit, de la mauvaise atmosphère familiale sur le psychique de l'enfant et son aptitude à l'instruction et à l'éducation.
- l'influence des procédés audio-visuels en général (cinéma, radio, télévision) qu’on ne pourra pas substituer sans danger à l'expérimentation et au travail constructif.

Nous signalons seulement ici ces deux points qui pourraient faite l'objet d'études à venir.

- l'influence de l'École Caserne, de son entassement et de sa promiscuité sur la personnalité de l’enfant.

Je crois que le Dr. de MONDRAGON nous parlera de ces incidences comme il nous parlera aussi:
- de l'influence déplorable, et parfois tragique de la surcharge des classes, non seulement sur l'instruction de l’enfant mais aussi sur son psychisme.
- de la portée, jamais assez étudiée du 1a discipline autoritaire, donc de l'opposition maîtres-élèves et de l’usage permanent des sanctions comme soutien de cette discipline.
- le travail individuel, les notes, les classements et les examens.

- Toutes ces tares sont synthétisées dans cette maladie nouvelle que nous avons appelé le SCOLASTISME, par analogie avec l'hospitalisme dont parlent couramment aujourd'hui les médecins.

Nous voudrions que les Congressistes s'attardent particulièrement aux manifestations particulières de ce scolastisme, qu'ils nous aident à déceler la genèse, à en établir le diagnostic. Nous en étudierions alors le traitement.

Il y a scolastisme chaque fois qu'on fait un travail sans but qu'on fait parce que les règlement de l'École nous y contraignent, mais auquel on échapperait bien vite si on était libre.

- froideur et impersonnalité de la scolastique - manque total des contacts affectifs - recroquevillement sur soi parce que l'École établit un mur entre l'activité et la vie d'une part le travail, d'autre part la libération ne peut être que clandestine et entraîne de ce fait des tares psychiques et même des psychoses.
- portée des punitions - instincts agressifs - haine du travail et anorexie mentale
- vices d'acquisition et de comportement
- sentiment permanent de l'échec

Il serait souhaitable que les congressistes nous apportent des faits précis, des cas, montrant l'importance de ces tares et la nécessité de les éviter.


Nous apporterons alors nos solutions:

- Libération psychique de l'enfant par le texte libre, le dessin et la correspondance
- Normalisation des rapports humains entre enfants
- Normalisation du travail d'acquisition et de culture
- L'amour du Travail. Le besoin de travail et de connaissance
- La formation civique des enfants par le travail coopératif
- L'Art
- La connaissance de l'enfant.

J'aimerais que ne soit pas négligé aussi dans cette discussion le problème du comportement moral et nerveux, du psychisme de l'éducateur.

Le scolastisme joue péjorativement sur l'éducateur aussi. Faire un travail sans joie, être gardien et surveillant en lutte constante active ou sournoise contre les éduqués, ne connaître aucune satisfaction de réussite, remplir ses journées avec un horizon catastrophiquement rétréci, il n'y a rien qui use davantage une personnalité.


L’instituteur parvient lui aussi à prendre le travail en grippe; comme ses enfants, il attend qu'on sorte...

Tout travail sans résonance psychique est toujours destructeur de la personnalité.

Lorsque s'ajoutent encore à ces tares l'insuffisance des locaux et la surcharge des classes, le métier d'instituteur qui devrait être le plus beau des métiers devient le pire des métiers. Il n'est pas étonnant qu'il y ait de moins en moins de candidats pour une telle fonction.

Les instituteurs doivent défendre leur santé physiologique et nerveuse et leur vie en danger.

La modernisation de l'École devient une nécessité. Avec le scandale de la discipline traditionnelle, nul ne pourra plus négliger l'urgence de celle nécessité.

Et nous dirons alors ce que nous apportons pour correctif et remède à cet état de chose:

- Travail vivant, qui nous intéresse, nous prend totalement et nous fait ignorer la fatigue, surtout la fatigue nerveuse.
- Atmosphère détendue, et familière de l'École et hors de l'École
- Productions dont on est fiers
- Sentiment libérateur de l'efficacité d'une fonction dont on sent désormais la portée pédagogique et humaine.

Chacune de ces questions demanderait à elle seule une séance de discussion. Nous n'avons pas la prétention d'épuiser cette étude. Nous jetons des jalons. Nous attirons l'attention des intéressés sur ces questions majeures. Nous élargissons ainsi le cercle de notre audience.

L’éducation de demain sera meilleure que celle d'hier. Ce sera notre meilleure récompense.

Nous allons maintenant, sur la base de ce schéma, passer la parole aux personnalités qui voudront bien nous faire part de leurs observations et de leurs réflexions

Nous tâcherons ensuite de tirer de cette soirée les conclusions pratiques.

C. Freinet