Coopération et rénovation pédagogique


La question est souvent posée de la détermination de ce qui fait la spécificité de la coopérative. Certains ne veulent considérer celle-ci que comme un aspect de l’équipe ; d’autres ne veulent y voir qu’un club ou, selon une expression en vogue, une association socio-éducative. Or, la coopération scolaire est un organisme pédagogique original dont la définition résulte de la prise en considération de trois données fondamentales :
- l’appartenance du mouvement de coopération scolaire au mouvement de la coopération économique, avec l’affirmation des principes communs de la priorité du travail et de la solidarité coopérative, et avec celle du fait que la coopérative est une entreprise ayant certains des caractères de l’entreprise économique ;
- l’apport de B. Profit, créateur de l’institution coopérative, lui donnant la forme d’une société des élèves, avec ses règles et ses lois, et faisant de la coopérative une école de morale et de civisme, tout en amorçant une transformation des contenus pédagogiques par la mise en œuvre de la coopérative ;
- enfin, l’intervention de Célestin Freinet qui nous apparaît comme une donnée pédagogique essentielle. Il ne nous semble pas possible en effet de considérer la coopérative scolaire sans mettre en relief cette intervention qui concerne tout particulièrement les relations nouvelles établies dans la classe.
A l’heure où l’on parle de rénovation pédagogique et où les grands thèmes de cette rénovation sont la modification de la relation maître-élèves et le développement de la « communication », il est bon de rappeler que la coopération est, depuis déjà nombre d’années, l’instrument privilégié de cette rénovation, et qu’elle le doit, pour une part décisive, à l’action de C. Freinet. Il ne suffit pas de créer dans une classe une coopérative et de plaquer sur la structure traditionnelle les apparences d’une organisation nouvelle pour avoir transformé la pédagogie. Certes, comme l’affirmait Jean de Saint-Aubert, la coopérative a ses vertus propres et elle entraîne nécessairement des changements. Mais Freinet a bien montré qu’il ne fallait pas être dupe de certaines créations hâtives, et notamment de la mise en place précipitée d’un bureau de coopérative. Le fonctionnement démocratique de la vie de la communauté éducative, condition première de la communication, n’en est pas garanti pour autant. Et Freinet a exposé une conception génétique, progressive et expérimentale de la coopération.
Pour lui, on ne peut partir que du travail et des tâches à assumer. L’élaboration, la prise en considération d’un projet, la répartition des tâches, l’organisation matérielle de la classe qu’elles impliquent entraînent l’affirmation des individus et le partage des responsabilités. Il ne s’agit pas là d’un processus naturel. L’intervention du maître est décisive et prépondérante. Il doit assurer, en collaboration avec ses élèves, l’organisation matérielle et la vie communautaire de la classe : transformation et organisation de divers ateliers dans le cadre de la classe, concours technique pour les activités des groupes d’élèves, influence par l’action et l’exemple pour l’acquisition des habitudes d’ordre, de propreté, de soin, de travail méthodique et réglé. Le maître est ainsi un tuteur, un guide, un conseiller.
A mesure que le travail progresse, que les projets se réalisent, la répartition des tâches se précise, les enfants responsables se manifestent par leur compétence et par leur efficacité. Un ordre nouveau se dessine dans la classe. L’intervention du maître prend alors la forme d’une influence plus discrète et plus profonde. Elle porte tout particulièrement, et sans qu’il y ait rien de calculé, sur les relations entre maître et élèves. De guide le maître devient chaque jour un peu plus un compagnon, un coopérateur parmi les autres coopérateurs, plus riche que ceux-ci de son expérience, de son savoir, de sa conscience des buts à atteindre, mais leur égal dans la recherche, le tâtonnement entre les enfants, utilisant toutes les ressources du travail coopératif pour accélérer la prise de conscience du climat d’entraide, de solidarité, de fraternité qui doit être celui de la communauté scolaire nouvelle. C’est un moment décisif dans la vie de cette communauté. Alors le maître est « reconnu » par les élèves : il est intégré dans une société dont il a suscité l’organisation. Il est celui auquel on se confie, celui qui modère et celui qui stimule. Non un « papa-providence », mais un homme qui appartient totalement à la communauté coopérative, sans rien abdiquer de ce qui, irrémédiablement, le sépare du monde enfantin dans lequel il vit.
Dans un troisième moment, des institutions de type coopératif peuvent se mettre en place. Alors, l’organisation du travail est librement consentie. Elle est prise en charge par le groupe, où se retrouvent maître et élèves, et elle permet un changement dans la mentalité des enfants. On comprend pourquoi la notion d’auto-discipline, telle qu’elle est envisagée couramment dans les sphères officielles, ne peut être acceptée par les coopérateurs. Il n’est pas question d’instituer un système répressif où les élèves se font les auxiliaires du maître pour garantir un certain ordre. Il faut que le groupe maître-élèves, constituant un ensemble indissociable, rende possible une nouvelle organisation de vie, une nouvelle attitude en présence des problèmes de vie qui se posent à tout moment à la classe organisée coopérativement.
On nous dira peut-être que les spécialistes de la dynamique de groupe se sont penchés sur ces questions. C’est vrai. Mais nous répliquerons que les situations considérées par cette dynamique de groupe existaient de longue date, et qu’il y avait des solutions aux problèmes posés. Elles expriment l’attitude coopérative et, grâce à Freinet et à l’ICEM comme aux maîtres réunis dans l’OCCE, elles ont été non seulement proposées mais expérimentées, et elles ont prouvé leur valeur.
En 1939, Freinet écrivait : « L’application des principes démocratiques suppose une reconsidération du problème éducatif, qui ne sera plus centré seulement sur l’individu, mais sur l’individu au sein de la communauté ; un véritable acte de foi dans les possibilités de la nature humaine... Nous disons, nous : l’enfant et l’homme sont capables d’organiser eux-mêmes leur vie et leur travail pour l’avantage maximum de tous. »
Nous nous permettons de penser, contrairement aux adeptes enthousiastes et quelque peu naïfs d’une certaine dynamique de groupe, que le changement de la relation maître-élèves n’est en aucun cas une fin. Il est seulement un résultat et, en définitive, c’est dans l’organisation de la classe en coopérative, c’est-à-dire une organisation prenant dès l’origine en considération des individus rassemblés au sein d’une communauté qui tend à devenir une coopérative, que se trouve une réponse possible aux problèmes éducatifs, notre réponse, à nous coopérateurs.

R. Toraille Président de l’O.C.C.E.