POINT DE VUE
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NOTRE PEDAGOGIE EN FRANCE ET DANS LE MONDE
C. FREINET
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Notre pédagogie, bien qu'elle soit « d'avant-garde» n'en doit pas moins, dans la pratique, s'adapter aux conditions de fonctionnement actuel de notre école publique. Elle risque de ce fait de dégénérer si nous ne recherchons obstinément la lumière essentielle qui va nous guider en nous montrant la route sûre de l'éducation de l'avenir. Faire des concessions au milieu n'est pas grave si nous avons conscience de ces concessions. Le danger - et nous l'avons toujours dénoncé - c'est de croire et de laisser croire que nous continuons toujours à suivre des voies royales alors que, par nécessité passagère, nous nous réfugions dans des impasses. Plus nous faisons de concessions, plus nous devons dresser haut et ferme le drapeau du ralliement à nos techniques.

C'est ce drapeau qu'assure et que fait flotter notre revue "TECHNIQUES DE VIE"

Cette revue est d'autant plus indispensable que s'accroît le nombre d'éducateurs qui croient ou font croire qu'ils pratiquent les Techniques FREINET parce qu'ils font un texte libre plus ou moins scolastisé ou emploient les fichiers autocorrectifs. C'est le nombre d'abonnés à TECHNIQUES DE VIE qui marque comme le baromètre de ce danger. Il est normal, et fatal pourrions-nous dire, que basculent à tout moment dans l'erreur, des éducateurs qui ne prennent chez nous que le mécanisme, qu'ils risquent même de faire tourner à vide ou à contretemps. C'est dans la mesure ou s'accroît le nombre des camarades conscients que s'assure et se garantit le destin de notre mouvement. Un éducateur qui a lu nos livres, qui a médité les études parues dans TECHNIQUES DE VIE, qui participe directement à la vie de "1'EDUCATEUR", qui s'intègre dans l'activité du groupe, ce maître va avec sûreté et nous lui faisons confiance parce qu'il a compris....

..... Quelques camarades me demandent de faire une mise au point à l'intention des jeunes sur la place de nos techniques dans la pédagogie française et internationale.
Notre réponse est simple. Jusqu'à ce jour la pédagogie a été actionnée par ceux qui, n'ayant jamais enseigné, ou ne faisant plus classe, ont le temps, le prestige et l'autorité pour parler au nom de l'immense armée des éducateurs. Ils parlent bien, présentent des théories parfois excellentes, mais ils ne descendent jamais jusqu'à nous, éducateurs. Les vrais problèmes de notre classe, les leçons, la discipline, le rythme et les modalités de travail: ils nous laissent le soin d'y pourvoir. Pour eux, ce sont là préoccupations mineures, soucis d'artisans au travail, donc peu dignes de retenir l'attention de ceux de l'Olympe.
C'est à notre connaissance, la première fois que des éducateurs s'organisent eux-mêmes pour tenter de résoudre les vrais problèmes de leur métier. Et l'on s'aperçoit alors que cette technique pédagogique si communément négligée a pris un retard catastrophique sur la théorie, que des questions nouvelles se posent, que les théoriciens n'avaient pas même envisagées, t dont ils se refusent encore à reconnaître l'urgence.

Et c'est tous ensemble, à quelques milliers de praticiens enthousiastes que nous forgeons notre pédagogie moderne, avec ceux qui veulent bien nous comprendre et nous aider,contre eux s'il le faut.
Car s'ils peuvent faire barrage à notre pédagogie démocratique, ce sont les praticiens qui vaincront.