À la suite de la projection j'ai cru devoir, en accord avec le groupe 44,
apporter ces précisions par le canal de la Presse Nantaise.
À propos d’un récent débat télévisé:
un dossier qui fait écran à la personnalité et à l’oeuvre
de Célestin Freinet.

par Marcel Gouzil et le groupe 44
bulletin des Amis de Freinet n°13 p 37 à 39

La dernière émission des "Dossiers de l’écran" consacrée à la pédagogie de l’École Moderne, a mobilisé dans toute la France, les instituteurs qui se réclament de Célestin Freinet.

Nous avons rencontré quelques-uns de ces adeptes de l'École Moderne, dont M. Gouzil, qui, dans notre département fut avec M. Pigeon, un des pionniers de la pédagogie Freinet.

Pour ces représentants de l'École Moderne, le débat qui suivait la présentation du film Buissonnière ne pouvait être autre qu'il ne fut, compte tenu du caractère de l'oeuvre de Le Chanois: le film est honnête et le débat le fut, mais ni l'un ni l'autre n'abordèrent le fond du problème qui est celui de la mise en oeuvre d'une éducation prolétarienne.

Ainsi la finalité de pédagogie Freinet, qui est la libération de l'homme, par la libération de l'enfant, a-t-elle été proprement escamotée, l'attention étant exclusivement attirée sur les aspects extérieurs de la pédagogie de l’École Moderne et en particulier sur les techniques qu'elle met en oeuvre sur les activités qu'elle organise.

Technique et activités ne suffisent pas à faire une pédagogie et il n'est pas surprenant de constater quelles puissent être récupérées actuellement, y compris celle dans laquelle se plaçait Célestin Freinet qui se caractérise comme ayant été un révolutionnaire au sens plein du terme.

Voici d'ailleurs ce que nous disait à ce propos M. Gouzil: “Ce qui n'a pas été dit lors de ce débat, il nous appartient à nous, adeptes de la pédagogie Freinet, et compagnons du combat mené à ses côtés, de le dire.

Si Freinet a connu la calomnie, la méchanceté, la haine, c'est qu'il gênait. Il gênait les gens en place. Fondateur d'une coopérative agricole, à Bar-sur-Loup, il gêna les trusts agricoles, fondateur de la coopérative de l’enseignement laïque, il indisposa les maisons d'édition. Enfin, il faut bien le dire, il n'eut pas grande renommée dans le clan des instituteurs qui ne cherchaient pas à renouveler leur enseignement".

"Mais ce que l'administration ne lui pardonne pas, c'est de donner à sa pédagogie ce label révolutionnaire qui fut et demeure notre fierté.

“Voir dans l’enfant d’aujourd’hui l’homme de demain.”

Ce label révolutionnaire auquel nous sommes profondément attachés demeure et restera notre fierté.

Revenu grièvement blessé de la grande tuerie de 1914, Freinet qui connut Verdun, à l'âge où il aurait dû commencer sa carrière pédagogique, sera un farouche adversaire des guerres, crimes contre l'humanité.

A l'histoire des dates et des faits "glorieux", Freinet et ses amis dans les brochures de travail et dans les fiches scolaires traitent de l'évolution de la pensée, de la transformation de la société, des progrès réalisés, dans l'industrie et l'agriculture.

"Tout ce qui est humain est nôtre” et Freinet suivit avec passion les expériences pédagogiques de tous les pays.

Je rappelle aux anciens le voyage de la jeune chorale de Bakulé, pédagogue tchécoslovaque, qui donna une série de concerts en Loire inférieure et fut hébergée au Château d'Aux par notre ami Félix Guillou, un des premiers adhérents au mouvement Freinet.

Avec Barbusse, Freinet rédigea la charte des Enfants qu'il faudra bien que nous communiquions un jour prochain. Ce sera au Congrès de Nantes en 1958, que nous réexaminerons cette charte que trop d'éducateurs ignorent.

Enfin, c'est à la faveur de la guerre d'Espagne que Freinet et tous ses amis donnèrent leur pleine mesure d'antifascistes et de démocrates.

L'école de Vence que Freinet créa après son départ de l'enseignement public hébergea de 1938 à 1940 des centaines d'enfants espagnols chassés par la guerre civile.

Des ménages d'instituteurs en hébergèrent, d'autres adoptèrent des orphelins.

Le mouvement Freinet ne se limite pas à cette entr'aide entreprise par de nombreux français mais lutta pour dénoncer l'hypocrisie des milieux gouvernementaux qui pour ne point gêner les conservateurs anglais, laissèrent les camarades républicains sans armes, sans soutien alors que les troupes fascistes et hitlériennes transformèrent les champs de bataille espagnols en terrain de manoeuvre préparant ainsi la deuxième guerre mondiale.

Il est bien vrai que cette guerre commença en 1936. Toute sa vie Freinet fut un gêneur. Jeune instituteur à Bar-sur-Loup, il créa une des premières coopératives agricoles des Alpes Maritimes. Il ne laisse le soin à personne d'éditer les brochures de travail et fabriquer le matériel, c'est la Coopérative de l'Enseignement Laïc qui s'en chargera.

Il eut contre lui également les enseignants peu désireux de restructurer leur enseignement par crainte de l'inspecteur ou par conservatisme. En 1949, date de la sortie du film, Freinet fut obligé dans un courrier personnel puis dans l'Éducateur, de préciser sa pensée à l'égard de l'École Buissonnière.

Voici ce qu'il écrivait à une de nos fidèles le 14 décembre 1949.

"Quand j'ai présenté le film, à l'occasion du Congrès de la Ligue de l'Enseignement, j'ai dit que nous étions dans l'obligation de rectifier quelques erreurs ou quelques malentendus. J'avais noté:

1°) que le film a été présenté assez souvent comme une création utopique de Le Chanois. En effet mon nom a sauté au générique et les communiqués aux journaux, inspirés par les producteurs, et par la distribution du film, ne font jamais état de notre participation ni des créations de la CEL. Sur ce fait, les spectateurs ont tendance à dire: "C'est fort bien, mais il y a loin du film à la réalité"! Il faut donc attirer l'attention sur le fait qu'il n'y a pas qu'un Pascal existant actuellement en France - et il existe - mais des milliers à travers la France et des dizaines et même des centaines dans ton département.

2°) un deuxième malentendu possible et celui-là est assez grave: le film oppose trop systématiquement la pédagogie nouvelle et la pédagogie ancienne et la figure du vieil instituteur est trop caricaturale. Il faut absolument insister sur le point non pas pour susciter de la mauvaise humeur de la part de ceux qui ont l'impression, malgré tout d'avoir fait au cours de leur carrière tout leur devoir. Et cela , était d'ailleurs fort possible.

3°) troisième sujet possible de malentendu: Des instituteurs sortent de la projection en disant "mais nous aurions voulu voir une classe en action vraiment". Ce film n'est pas notre film technique.

Quoi qu'il en soit, le film "l'École Buissonnière" nous fait une réclame considérable dont nous devons profiter au maximum.
M. Gouzil et le groupe 44