Il s'agit d'un échange de lettres
entre Paul et Roger du 26/10/1992 et la réponse de Paul du
11/12/1992.
Josette Ueberschlag, 27 janvier
2009
Courrier de Roger le 26 octobre 1992
"Mon cher Paul,
Tu es le gardien du FEU! C'est ainsi que je te
symboliserais si j'étais invité à faire ta
biographie.
Freinet ne s'était pas désigné
d'héritier spirituel par scrupule ou entêtement
à se croire éternel. Ceci nous a valu des querelles
de famille et des découragements qui sont loin de prendre
fin. Mais, tu n'y a pas pris part, tu es resté au contact
de cette flamme qui signale beaucoup plus qu'un réservoir
inépuisable de techniques: Une certaine manière
d'observer avec empathie les humains, adultes et enfants qui nous
entourent, avec un art de réagir positivement à
leurs inquiétudes et à leurs maladresses. Tu as
réussi à incruster dans ton coeur la
générosité ensoleillée des Italiens,
l'amour-propre des Espagnols (avides d'amour tout court), le
bon-sens modeste des Belges, en attendant de te laisser envahir
par la chaude et lyrique sensibilité slave, la
naïveté simplificatrice mais touchante des
Anglosaxons. Tu as raison de voyager beaucoup. C'est la vraie
école d'humanité. C'est ça TA méthode
naturelle, mon vieux, sur laquelle il est possible de greffer
toutes les techniques de la conquête du monde.
Tu vois, chez moi aussi, le "naturel" revient. Sans m'en
apercevoir, j'ai rédigé pour toi mon ultime rapport
d'IN(tro)SPECTION. Comme si je ne voulais pas mourir sans te dire:
"Tiens bon! Tu as vingt ans d'avance sur la lecture roborative de
tes écrits, on parlera de toi autant que de Freinet et on
associera vos deux noms dans les manuels de pédagogie.
Je t'embrasse.
Roger
Réponse de Paul le 11 décembre 1992
Cher Roger,
Gardien du feu, enfin oui peut-être, mais pas vestale,
ou mieux "vesteau". Je serais plutôt "boute-feu" pour
allumer des désirs d'actions et de réalisations et,
aussi, pour réduire en cendres toutes les
imbécillités qui peuvent être écrites
du Haut, je ne sais plus d'ailleurs de quelle grandeur.
Je préfère aller mon petit bonhomme de chemin
saisissant toutes les occasions de semer une graine, d'allumer une
étincelle... C'est pour cela que je suis allé faire
de l'écriture dans une prison, un hôpital, avec des
enfants handicapés etc. Sans négliger
évidemment les groupes d'écriture collective avec
des adultes qui me sollicitent assez régulièrement.
Mais la grande affaire en ce moment, ce sont les
voyages.
[...]
Je me dépêche aussi d'écrire tout ce que
notre expérience (celle de Jeannette et la mienne) nous ont
permis de découvrir dans nos classes. Je pense que notre
message n'a aucunement perdu son utilité. Bien au contraire
même.
Voilà, chacun aura ainsi fait ce qu'il avait à
faire suivant ses capacités. Il est clair en ce qui te
concerne que rien de ce qui se réalise sur le plan
international n'aurait pu exister sans ta vision et tes
prévisions larges, sans tes capacités
organisationnelles, sans ton intelligence et tes convictions. Nous
suivons la même route. Et nous avons encore bien du travail
à réaliser.
Je t'embrasse.
Paul