- L'exploration des divers registres de
l'expression libre
- Célestin Freinet, un
éducateur pour notre temps
- Michel Barré
-
- Observons d'abord que le terme texte
libre
apparaît très
tard sous la plume de Freinet. Dans la première
édition de L'Ecole Moderne
Française
en 1945, il parle encore de
rédaction libre. Il dira
ensuite texte libre
pour bien marquer la
différence avec la rédaction (obligatoire) à
sujet libre que pratiquent occasionnellement certains enseignants.
Notons pourtant que, dès novembre 1928, Leroux (Sarthe)
parlait déjà des textes libres des
enfants.
-
- Des tranches de vie
quotidienne
- Au début, tous les textes des
enfants traduisent des moments de leur vie, Freinet utilise
l'expression tronçons de
vie.
Les livres de vie de chaque classe sont une mosaïque
de moments (vie familiale, jeux, travaux des adultes et des
enfants, petits faits divers, état de la nature selon la
saison) dont l'ensemble traduit souvent avec intensité la
vie du milieu. Lorsqu'on relit les textes publiés à
St-Paul dans Les Remparts, on
voit revivre un village et une époque. Les jeux
spontanés : sarbacanes de sureau (appelées
samblucs), comptines en provençal, parties de pêche,
élevage de vers à soie avec les feuilles d'un
mérier des remparts, farces (porte-monnaie tiré par
une ficelle, sonnettes tirées au risque de l'arrosage ou du
déshabillage). Des faits divers : un chauffard qui a
renversé un cycliste menace le grand frère qui
relevait son immatriculation, un voleur de récolte
d'artichauts se fait surprendre. Des évènements
locaux comme le tournage de films : Mandrin ou les
Misérables, avec Harry Baur jouant M. Madeleine
dégageant le père Fauchelevent coincé sous le
chariot. L'écoulement des saisons et l'état de la
nature revient souvent de même que l'avancement des cultures
et des récoltes auxquelles participent la plupart des
enfants. Nous verrons plus loin les prolongements donnés
à ces textes.
- Voici ce que
dit Rousson (Gard) de cet irruption du quotidien (IE n°23) :
La vie du monde du travail, de la famille nombreuse et pauvre,
voilà celle qui rentre dans notre classe.
(...)
Celle qui, parlant de l'arrestation d'un expulsé, dans
son désir de dire la vérité, n'oublie pas de
nous faire savoir que les gendarmes causèrent longuement
dans la cave avec son père, avant d'agir. Les
détails les plus frappants sont toujours mis en
évidence. Les élèves qu'on accusait si
souvent de ne savoir rien dire sont aujourd'hui des animateurs,
des créateurs dès qu'il s'agit de parler de leur
vie, de celle qui leur est propre comme enfants, de celle qu'ils
partagent avec leur milieu. Dans le
même bulletin, Freinet
rappelle que le particularisme local ne doit pas être un
obstacle à la communication : Ne pas oublier de traduire
les termes locaux qui mettent parfois dans l'embarras les
correspondants. Tout le monde ne connaît pas les groins
d'âne, les mâtefaims, les sourdons, les tourains, les
baraganes. Et le Larousse est muet à leur sujet.
-
- De mémoire
d'enfants
- Par le biais des extraits de la Gerbe
, des récits plus longs ou
des textes regroupés autour du même thème
forment un témoignage qui, avec le temps, est devenu
document historique. Voici quelques titres : Les deux petits
rétameurs ; La mine et les mineurs ; Au pays de la
soie ; Les charbonniers ; A travers mon enfance (en Espagne)
; A la pointe de Trévignon ; La peine des enfants ; Yves le
petit mousse ; Emigrants ; Quenouilles et fuseaux ;
Métayers ; Chômage.
Il ne manque pas d'adultes
pour raconter leur enfance des années 20 ou 30, mais elle
est souvent passée au tamis de la nostalgie. Dans les
récits d'enfants de l'époque, l'histoire est
racontée en direct, au présent.
- Historiens et ethnologues
s'intéressent de plus en plus aux témoignages de
gens ordinaires. Qui se penchera sur les nombreux textes qui font
revivre une époque et des milieux à travers la
vision authentique des enfants dans leurs journaux
scolaires?
-
- Le droit à
l'imaginaire
- Assez vite, les registres d'expression se
diversifient. En paysan
pragmatique, Freinet se méfie toujours un peu de
l'imaginaire qui risquerait de faire oublier le contact avec les
réalités de la vie. Mais il accepte tout ce
qu'apportent les enfants. C'est ainsi que dans La
Gerbe
n° 11 de mai 28, sa
classe publie le texte suivant d'un enfant de 6 ans :
Casse-tout. Maman
m'avait donné un billet de mille francs en me disant pour
rire : bréle-le! Je l'ai tout déchiré; elle
m'a grondé. Mon papa construisait une caisse pour tuer le
cochon. Je lui ai tordu les clous, puis j'ai cassé les
planches. Alors il a pris le fouet et m'a frappé aux
jambes. J'ai fait bouger ma maman qui écrivait une lettre
à ma marraine. Elle m'a frappé; j'ai renversé
l'encrier. J'allais donner de l'herbe au cochon; mes trois
cochonnets m'ont échappé. Ils ont couru vers le Loup
et ont sauté dans l'eau. Je n'ai rattrapé que le
noir. Un autre jour, je marchais en fermant les yeux au bord de la
rivière. Je ne l'entendais pas. Je suis tombé
dedans, on m'a repêché avec des cordes.
J'étais monté sur le toit : je suis tombé
dans la cheminée. J'étais tout noir. Maman m'avait
servi du café au lait : le bol était trop plein, je
l'ai cassé. Mon chat a léché le
lait.
- Les enfants de la classe ajoutent au bas
du texte : Voici ce que nous a raconté Pellegrin Jean (6
ans). Mais il ne sait pas si c'est vrai ou s'il l'a
rêvé. Nous avons demandé à sa maman.
Elle nous a dit que Jean était sage.
Même si l'on est un
ange, on peut rêver d'être quelquefois
démon.
- L'alibi du rêve permet, en toute
impunité, d'imaginer des histoires. En effet, est-on
responsable de ce qu'on rêve quand on dort? Et l'on
rêve beaucoup dans les petits journaux imprimés.
Notons que les premiers récits de rêves sont apparus
dès février 27 chez les petits citadins de Lyon,
dans la classe de Bouchard, mais l'exemple s'est rapidement
propagé. Dans certains cas, il s'agit de vrais rêves
dont on reconnaît l'incohérence onirique. Que penser
pourtant de rêves écrits et signés en commun
par trois copains, comme cela arrive à Saint-Paul?
-
- Les textes, moyen de connaître
les enfants
- En novembre 1928 (IE n° 17, p. 6),
Leroux (Sarthe) remarque que les textes permettent de recueillir
de nombreux renseignements concernant la psychologie personnelle
des enfants : Tel raconte ses jeux, tel autre parle de ses
démêlés avec les adultes, un troisième
transcrit les contes de la région, un autre revit ses
souvenirs et ne s'intéresse guère au présent.
(...) Dans le même ordre
d'idées, remarquons que chaque journal scolaire
présente son caractère propre, mélange
d'influences diverses : personnalité du maître,
milieu social, âge des élèves,
etc. Il
montre également que les contes qu'ils inventent traduisent
parfois les oppositions sociales (par exemple, entre journaliers
pauvres et riches propriétaires). La verdeur de certains
récits est assagie au moment de la mise au point
collective.
- En mai 29 (IE n° 22, p. 13), Gauthier
(Loiret) note la persistance de thèmes chez certains
enfants : le petit frère d'une grande fille,
l'électricité récemment installée
à la maison, les animaux d'élevage, les contes
opposant géants, nains et petits polissons. Il demande si
ses camarades ont fait de telles observations. N'y aurait-il
aucune conclusion à en tirer?
- En décembre (IE n° 28, p. 76),
le couple Faure (Isère) raconte l'histoire d'un de leurs
élèves, paraissant plus que ses 8 ans, qui raconte
souvent des rêves débridés dont ils
pressentent que les psychanalystes tireraient certainement des
déductions intéressantes
. Un jour, ils sont surpris par un
récit rompant avec le dynamisme habituel de l'enfant. En
allant chez sa tante, ce qu'il fait généralement
avec plaisir, il est saisi de peur à propos de tout :
d'improbables vipères, du renard et même des chiens
et d'un rossignol. Intrigués par cette réaction
inhabituelle, ils apprennent quelques jours plus tard que l'enfant
est couché avec une forte fièvre; on diagnostiquera
une pleurésie. Ces éducateurs s'interrogent :
Cette peur inaccoutumée n'était-elle pas due
à un état de dépression physique
ignorée? L'étonnement que nous avons eu à la
lecture de son texte n'était-il pas
justifié?
-
- Régulation psychologique et
morale
- Freinet cite ou conseille à
plusieurs reprises des ouvrages sur la psychanalyse, mais il ne
s'aventure pas dans l'interprétation psychanalytique des
textes. Par contre, il croit que l'expression libre permet
d'éviter bien des problèmes psychologiques en
incitant les enfants à se libérer de tout ce qui
leur pèse. En décembre 28 (IE n° 18, p. 6) il
publie un texte du journal de Mios-Lilet (Gironde) dont
l'instituteur est Lavit, responsable de la radio.
- La
pomme. Avant-hier, je suis
allé à Péyot chez mes grands-parents. Avant
d'aller me coucher, ma tante me dit : "Va voir la coupe à
fruits que j'ai achetée" . Je vis une jolie coupe en
argent; mais ce qui m'intéressa le plus, ce furent de
belles pommes dorées. Mais il y avait ma marraine et elles
étaient pour la St-Martin. Quand elle fut partie, j'en pris
une, je la mis dans ma poche et je partis me coucher. Quand je fus
presque en haut de l'escalier, j'entendis : pan! sous mes pieds.
Puis plus rien; je me dis :"Le plancher craque". Puis : Pan! pan!
pan! C'était la pomme qui dégringolait l'escalier
quatre à quatre, en faisant beaucoup de bruit. heureusement
que mon grand-père parlait fort et personne n'entendit
rien. Je mangeai la pomme et je jetai la peau par la
fenêtre.
- On trouve fréquemment, dans les
journaux, des textes où des enfants confient une
bêtise, un mensonge ignorés de tout le monde. Or ils
savent que non seulement leurs camarades connaîtront leur
petit secret mais que le journal circulera partout et, en
particulier, dans leur famille. Freinet a raison de parler,
à cette occasion, de véritables confessions dont
on reconnaîtra la haute portée
moralisatrice .
- Opposant la proclamation moralisante
à l'hypocrisie des actes, Freinet voit dans l'expression
libre un moyen de faire réfléchir les enfants. Voici
à ce sujet un texte de son journal Les
Remparts.
- Nous
fumons. Hier soir, Christini
a acheté quatre cigarettes et Borgna une boîte
d'allumettes. Christini nous a donné une cigarette à
chacun ; Borgna a frotté une
allumette et nous avons allumé nos cigarettes. Les deux
Mathieu et Pagani s'étaient cachés derrière
un buisson. Le frère de Borgna disait : "Regardez, moi je
tire! On aurait dit une locomotive. Christini avait les yeux
rouges comme un crapaud. Borgna demandait s'il fallait tirer ou
souffler pour faire sortir la fumée du nez. Castelli et
Christini en ont fumé seulement la moitié d'une,
Borgna en a fumé une. Il dit : "Nous étions contents
; on a bien dormi, bien mangé, bien bu ; une pipade vaut
bien un écu." Comme presque
toujours, une petite enquête complète le texte : 9
élèves aiment fumer, 10 ne veulent pas fumer . Le
maître ne fume pas, et il en est bien
content.
-
- La collecte de contes
populaires
- Dans son ouvrage Le conte populaire
français
(éditions Erasme), paru en 1957, Paul Delarue, grand
spécialiste du sujet, établit un catalogue
raisonné des versions en langue française des contes
populaires. Sous le n° 327 C L'enfant dans le
sac, il reproduit
intégralement (p. 328) la version recueillie dans les
Alpes-Maritimes par Francis Audoly (13 ans) et Laurent Giordan (11
ans), élèves de l'école de Saint-Paul. Sous
le titre Pitchin-Pitchot, ce
texte avait été publié dans Les
Remparts
puis, en avril 29, dans le
n°9 des Extraits de la Gerbe
. Delarue précise qu'il s'agit, à sa connaissance,
de la seule version notée en France de ce conte
répandu dans de nombreux pays d'Europe et même d'Asie
et d'Afrique. Il ajoute : Notre version des Alpes-Maritimes est
étroitement apparentée aux versions italiennes. Dans
les versions nordiques et allemandes, le héros est souvent
repris deux fois et rentre chez lui, généralement
après avoir infligé à la femme ou à la
fille de l'ogre le supplice qui lui était
destiné.
- Or, dans le premier n° de La Gerbe
(avril 27), figure un texte de
Jeannot Faroppa, élève de Bar-sur-Loup,
intitulé Péquénain
qui est
précisément cette version où le héros
est repris et fait mourir la femme de l'ogre. Delarue avait peu de
chance de retrouver ce texte, tiré à très peu
d'exemplaires, mais il aurait sans doute été
stupéfait de découvrir que des élèves
de Freinet avaient recueilli les deux seules versions
françaises connues d'un conte largement
répandu.
- Intrigué par cette
co•ncidence, j'ai voulu savoir si d'autres contes
étaient signalés comme découverts par des
enfants. Delarue n'en mentionne pas. Par contre, dans sa
bibliographie, parmi les revues faisant une place au conte
populaire, il cite p. 97, sous le n° 421, La Gerbe
, journal rédigé par
des enfants, et précise "Donne assez souvent des contes
populaires recueillis par des enfants
". Mais les contes publiés
dans La Gerbe
ne représentent qu'une
partie de ceux que contiennent les journaux scolaires. C'est ainsi
que Les Remparts
publient en juillet 30 un
n° spécial consacré à Plus belle que
Fée,
conte populaire recueilli par Honoré Fabre (14
ans).
- La présence des contes populaires
parmi les textes d'enfants n'a pas l'assentiment évident de
tous les enseignants. Portets (Loir-et-Cher) écrit en juin
31 (EI, n°44, p. 298) : Notre éducation devant
être à base matérialiste, je ne comprends pas
comment nous pouvons préconiser des contes, proches parents
des hallucinations, superstitions et religions.
Freinet publie cette
réaction sans lui répondre, espérant
peut-être que d'autres le feront. Ce n'est pas lui qui
"préconise" les contes, il les accueille et, en juillet 31,
publie à nouveau un n° spécial de son journal
avec deux contes La Cendrella
et Le Magou
,
recueillis par Baptistin Borgna (11
ans), le même enfant qui, un an plus tard, rédige
avec ses camarades La farce du paysan
qui n'est pas sans rappeler
celle de Maître Pathelin.
Les enfants notent également
souvent des traditions populaires ou de folklore enfantin comme
les comptines (appelées poires de jeu).
- Par L'Education du
travail (p. 50), on sait
l'intérêt que portait Freinet aux contes qu'il
écoutait dans son enfance, à la fois parce qu'ils
remontaient aux temps les plus anciens mais se renouvelaient par
la voix de ceux qui les transmettaient, sans discrimination
d'âge parmi l'auditoire, ce qui est la
caractéristique d'une vraie culture. Il est difficile de
dire si, intuitivement, il était également sensible
à la maturation linguistique que facilitent les formules
répétitives des contes ou à leur rôle
initiatique, lié à l'inconscient collectif, comme
l'ont montré certains psychanalystes comme Bruno
Bettelheim. Quoi qu'il en soit, on ne peut s'empêcher de
rêver au trésor dont disposeraient les
spécialistes si toutes les écoles en avaient
recueilli comme la sienne. Peut-être n'est-il pas trop tard,
dans certaines classes actuelles, si composites, pour recueillir
et valoriser des richesses culturelles souvent
méprisées lorsqu'elles proviennent d'autres
continents.
-
- Des contes et des poèmes
inventés par les enfants
- C'est Marie-Louise Lagier-Bruno, soeur
aînée d'Elise, qui est l'initiatrice de ce type de
fiction. Le premier n° des Extraits de la Gerbe
publie
des textes de sa classe de Sainte-Marguerite (Hautes-Alpes) sous
le titre Un petit garçon dans la montagne
. Puis ce seront :
François le petit berger; Le
Tienne; Le petit chat qui ne voulait pas
mourir.
- Freinet accueille volontiers ces petits
chefs d'oeuvre, mais il reste malgré tout prudent et refuse
de confondre l'expression des enfants et la littérature.
Comme la revue L'Oiseau bleu ,
fondée par Cousinet, n'a pu survivre (on se souvient
qu'elle publiait des textes d'enfants), la Nouvelle Education
, revue pédagogique qu'il
dirige maintenant, édite aussi des oeuvres d'enfants. Dans
sa critique (IE n° 26) du livre Le roi des
animaux, écrit par une
fillette de 9 ans qui a un comportement d'auteur et
d'illustrateur, Freinet, tout en
reconnaissant le résultat, rappelle : Nous comprenons
autrement les oeuvres d'enfants : nous ne voulons pas habituer nos
élèves à faire de la littérature, mais
seulement leur apprendre à s'exprimer, à
extérioriser leur
pensée.
- Il a la même attitude vis à
vis des poèmes d'enfants dont le premier recueil est
publié dès 1928.
-
- Les enfants ont-ils le droit de tout
dire ?
- Fin 1929, Freinet publie dans le n°
16 des Extraits de la Gerbe,
le
récit d'un de ses élèves
dénonçant les véritables sévices qu'il
subissait dans un établissement privé. Bouchard
(Rhône) réagit aussitôt (IE n° 30, p. 136)
: Je n'ai pas l'intention de mettre entre les mains des enfants
le fascicule "à l'Institution libre
moderne". C'est en somme
l'histoire d'un mauvais élève, mauvais
élève par la faute de ses maîtres bien
entendu; mais ces faits seraient-ils bien compris par des lecteurs
enfants, et n'y verraient-ils pas uniquement les "bons tours"
joués au maître par un élève
indocile?
Ferrière
lui-même se montre très réticent : Ne
croyez-vous pas qu'il y a danger à étaler sous les
yeux d'enfants au-dessous de 12-13 ans, les vilenies des
adultes.(...)Ces "cas"
d'aberration sadique plus ou moins inconsciente doivent être
signalés à l'Officier d'Académie ou aux
journaux d'adultes, mais j'affirme que ces spectacles de haine
sont mauvais pour des enfants.
Freinet répond que les
faits ont été confirmés par d'autres
témoins, que l'enfant n'est ni un mauvais
élève, ni une forte tête : Seuls le milieu
où il se trouvait, la nécessité où il
était de lutter contre ses maîtres pour
défendre sa personnalité l'ont poussé
à des gestes de défense qui ne sont pas particulier
aux élèves de cette institution.
(...) Nos extraits sont la
peinture exacte de la vie des enfants. S'ils
révèlent le mal, c'est que nos élèves
en souffrent eux-mêmes. Signaler ouvertement les causes de
ce mal est donc pour nous un devoir, et nous estimons que, en
l'occurrence, la haine de ce mal est bonne, parce qu'elle suscite
une action défensive. Il est juste et moral que les
élèves s'intéressent à la victoire de
leur camarade brimé, dussent les adultes souffrir dans leur
orgueil de cette atteinte à leur omnipotence.
Dans le
n° 33 (p. 239), Pichot (Eure-et-Loir) poursuit le
débat : Il faut museler les faibles et les
opprimés. Seul le silence est grand; souffrir en silence:
c'est beau. La résignation, voilà le grand mot.
(...) Heureux quand on ne voit
pas des petits tyrannisés chercher parmi des faibles pour
brimer eux aussi. (...) Il faut
noter aussi que c'est chez les enfants brimés, malheureux,
que s'éveilleront les plus chaudes sympathies pour Arnaud.
Plan
(Var) ajoute : Les critiques soulevées m'ont
étonné. Les enfants voient-ils dans ce récit
un cas qui suscite leur haine. Les enfants n'ont-ils pas le
sentiment de la différence entre leur maître et ce
professeur brutal? (...) La
réalité doit être plus simple. Arnaud est dans
un établissement où son professeur le brime en lui
infligeant des punitions d'une ineptie stupéfiante et des
traitements odieux. Il se défend, il lutte, il est
vainqueur. Nos enfants applaudissent; quoi de plus naturel et
où est le poison?
Dans le
n° 34 (p. 269), Lallemand semble apporter le mot de
conclusion : Nous préférons laisser aux enfants
la liberté réelle d'observer la Vie, de la relater,
donc de l'imprimer et de la discuter avec sentiment, plutôt
que de leur dissimuler des faits révoltants qu'ils
connaîtront tôt ou tard.
(...) Les gens les moins
armés pour la vie sont ceux dont l'esprit critique est
endormi, ceux qui mérissent de fausses illusions: ils
connaissent des déceptions si amères qu'elles
peuvent briser leur courage en temps d'épreuve. Courage
donc, pour une ambiance de travail, de sain jugement, d'amour,
face à face avec la vérité toute
nue. Et
pourtant, j'ai eu beaucoup de mal à retrouver un exemplaire
de ce n° 16 des Extraits de la Gerbe
. Bien qu'il ait été
approuvé par une majorité de militants, Freinet ne
l'a jamais réédité. Il a donc
été sensible aux réticences d'une
minorité.
- En novembre 30, Faure soumet le cas,
classique, de l'enfant racontant qu'il a conduit la chèvre
au bouc. Freinet répond qu'en principe un tel texte ne dit
rien que de très naturel, mais il ajoute : Dans la
pratique, c'est autre chose. La plupart de nos camarades sont des
militants dont les actes sont surveillés d'assez
près. Et nous savons qu'on n'hésiterait pas à
sauter sur l'occasion pour faire un sort et à
l'éducateur qui pourrait en pâtir et à
l'imprimerie à l'école qui ne s'en porterait pas
plus mal. Peut-être même verrions-nous les parents
qui, candidement, chargent leur fils de mener la chèvre au
bouc ou la vache au taureau, se scandaliser de notre
audace.
- Un exemple burlesque met en lumière
ceux qui, à l'extrême-droite, épient le
moindre indice de culpabilité. Marguerite Bouscarrut
(Gironde) raconte sa mésaventure(IE 24, juillet 29). Un
sous-officier d'active, ayant eu entre les mains un exemplaire de
son journal Le Petit Médocain,
a jugé séditieux que
des renseignements topographiques soient "fournis aux
étrangers" par les enfants. Oubliant sans doute que la
guerre est terminée depuis plus de 10 ans, il a
dénoncé aux autorités l'institutrice qui
reçoit, pour enquête, la visite de son inspecteur. Le
militaire ignorait que le plan de la commune était
destiné aux petits amis d'Allemagne,
village des Basses-Alpes où
habitent les correspondants. Par cet incident ridicule, on mesure
mieux le climat de suspicion et de hargne qui entourera plus tard
l'affaire de Saint-Paul.
-
-
- Les enfants dessinent
aussi
- Dans le climat de liberté
d'expression, il est probable que les enfants dessinaient
spontanément. Pourtant, le dessin est d'abord traité
uniquement sous l'angle des illustrations des textes
imprimés. C'est Elise Freinet (mais elle signe encore
Lagier-Bruno) qui écrit de janvier à mai 31, une
série d'articles intitulée Le dessin,
première activité libre.
Interrompue quelques mois, la
rubrique reprend en février 32. Auparavant Freinet a
demandé à recevoir des dessins, composés
absolument librement, au crayon ou à l'encre,
coloriés ou non, portant l'âge de
l'élève et les explications que l'enfant aurait pu
donner, les circonstances, les paroles, les cris, les gestes qui
l'ont accompagné. Ces documents nous seront précieux
tout à la fois pour poursuivre l'étude
commencée et pour aider à l'illustration de nos
publications.
- Des articles paraissent également
sur la linogravure (Ruch, IE, n° 40) et sur le bois
gravé (Bourguignon, n° 41 à 43).
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