Une violente campagne d'affiches et de presse
Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps
Michel Barré
 
Des affiches accusatrices dans le village
 
Dans NPP, nous apprenons comment, dans la nuit du 1er au 2 décembre (1932), l'employée de la coopérative, son frère et un ami viennent avertir que deux jeunes gens, arrivés en auto, ont collé dans tout le village deux affiches, une verte et une rouge. Freinet en publie le texte intégral (Educateur Prolétarien n°4, janv. 33, p. 208):
 
AUX HABITANTS DE SAINT-PAUL
 
Nous attirons l'attention de la population saint-pauloise et plus particulièrement celle des parents qui envoient leurs enfants à l'école de garçons sur les agissements de l'instituteur FREINET :
 
CET INSTITUTEUR PRETEND FAIRE DES ELEVES QUI LUI SONT CONFIES DE FUTURS BOLCHEVISTES.
 
Lui-même le dit et l'écrit. De plus, l'enseignement qu'il donne aux enfants est absolument défectueux. Au lieu de faire correspondre ses élèves avec les jeunes russes de la république bolcheviste des Soviets, l'instituteur FREINET ferait beaucoup mieux de leur donner une solide instruction française.
 
Nous nous élevons contre l'enseignement déplorable de ce mauvais éducateur de la jeunesse et nous tenons à dire avec force que nous ne comprenons pas que la Société et l'Etat, qu'il veut détruire, le paient pour accomplir cette besogne.
 
La population de Saint-Paul éclairée sur l'enseignement donné à ses enfants par M. Freinet se joindra à nous pour demander son départ.
 
Un groupe d'habitants de Saint-Paul
 
Pour la seconde :
 
LES DEVOIRS DE M. FREINET
 
Veut-on un aperçu des dictées de l'instituteur Freinet à ses élèves ? En voici un échantillon instructif cueilli dans les cahiers des enfants : Dictée (sous forme de "Récit d'un enfant")
 
MON REVE
 
J'ai rêvé que toute la classe s'était révoltée contre le maire de Saint-Paul qui ne voulait pas nous donner les fournitures gratuites. M. Freinet était devant. Il dit à Monsieur le maire :
 
-- Si vous ne voulez pas nous payer les livres on vous tue.
 
-- Non!
 
-- Sautez-lui dessus, dit M. Freinet.
 
Je m'élance. Les autres ont eu peur. Monsieur le maire sort son couteau et m'en donne un coup sur la cuisse. De rage, je prends mon couteau et je le tue.
 
M. Freinet a été le maire et moi je suis allé à l'hôpital. A ma sortie on m'a donné mille francs.
 
(Dictée se trouvant dans les cahiers d'élèves)
 
Sans commentaires !
 
Ce texte avait effectivement été imprimé le 14 mars précédent dans Les Remparts, le journal de la classe. Sur le moment, il n'avait suscité aucune réaction. Par contre, quand ses adversaires ont voulu obtenir le départ de Freinet, ils ont épluché avec soin tout ce qui pouvait être retenu contre lui. L'occasion était trouvée.
 
D'après NPP (p. 172), ce matin-là, avant l'heure de rentrée, Freinet est allé trouver certains parents pour leur demander s'ils ont des reproches à lui faire sur son enseignement. Ensuite, Elise Freinet, en congé de maladie, prend le relais et va voir les autres dans la campagne. Le couple est rassuré par les réactions favorables des familles qui n'hésitent pas à exprimer leur soutien. Le dimanche suivant (4 décembre), alors que Freinet a invité les parents d'élèves à venir en classe voir le travail de leurs enfants, le maire se présente auparavant à l'école avec une quinzaine de manifestants, sans enfants ou qui les envoient dans des écoles privées (EP 3, p. 137). En repartant, ils dissuadent les familles qui arrivent en affirmant que la réunion est annulée.
 
Tout malaise étant dissipé avec les parents d'élèves, le calme semble revenu. C'est peut-être se rassurer un peu vite car, devant une telle situation, l'administration sanctionne souvent l'instituteur jugé responsable d'un conflit avec la municipalité au détriment de l'école. Pour qu'elle le couvre, il faudrait des raisons majeures, ce n'est apparemment pas le cas.
 
Une campagne de presse nationale
 
Le calme est de très courte durée. En effet, le samedi suivant (10 décembre), L'Action Française, hebdomadaire national, publie le texte des deux affiches de Saint-Paul, en ajoutant un autre texte d'enfants montrant comment Freinet les entra"ne à "raconter bassement une première communion" :
 
Dimanche 19 juin, a eu lieu la première communion à Saint-Paul : 19 garçons, 16 filles et 12 renouvelants. Monsieur le curé nous a donné une brioche à chacun. Nous partons à l'Eglise. Nous avons fait "la bombe". Castelli s'est saoélé. Des hommes étaient ivres aussi. Nous avons mangé à la maison de bons gäteaux et de bonnes galettes.
 
Les trois élèves présents
 
Détail amusant : l'un des auteurs de ce texte est le fils du garde-champêtre, amené par sa fonction à seconder le maire contre Freinet.
 
Le 22 décembre, Maurras revient longuement sur le sujet. D'abord pour rappeler que son journal fut le premier à dénoncer le scandale et que La Victoire  et Le Temps  n'ont fait que lui embo"ter le pas. Il épingle ensuite Nicolas Lerouge qui, dans La République, a pris la défense de Freinet contre "une conspiration qui pue la province embigotée ", sans même oser citer les textes incriminés.
 
Le 28, Maurras croise à nouveau le fer avec La République  puis avec l'Humanité  qui prétendent atténuer les responsabilités de l'instituteur de Saint-Paul.
 
Le 4 janvier, il revient sur l'affaire en prenant à partie le psychanalyste genevois Charles Baudouin qui, dans une lettre à Freinet (EP 4, p. 201), avait éclairé le sens purement symbolique du meurtre dans les rêves exprimés par les enfants. Autre article le 29 du même mois.
 
On peut se demander pourquoi le leader de L'Action Française qui n'a probablement qu'un souverain mépris pour l'enseignement primaire, consacre tant de colonnes en première page pour polémiquer sur un incident de village, au sein même du long éditorial où il traite de politique étrangère ou nationale. Son mouvement royaliste, après avoir traversé une passe difficile du fait de sa condamnation par le Vatican, fin 26, et des succès de la droite classique, est en train de reprendre vigueur dans l'antiparlementarisme depuis la relative victoire des Radicaux en 32. Il trouve dans l'affaire de Saint-Paul une belle occasion de mettre en difficulté un gouvernement dont il conna"t la fragilité (on ne comptera pas moins de 10 cabinets successifs en quatre ans) et de mettre en vedette son rôle de défenseur des valeurs traditionnelles.
 
Pour ne pas rester en retrait, la presse de droite plus classique s'engouffre à sa suite : Le Temps, La Victoire, Le Matin, L'Echo de Paris, La Croix, L'Illustration  et, en province, tous les journaux réactionnaires ou cléricaux dont L'Eclaireur de Nice, Le Journal du Midi, sans oublier les feuilles extrémistes rivales : Solidarité Française, L'Action Patriotique, L'Ami du Peuple  et Le Franciste, organe ouvertement fasciste (le premier à choisir la francisque pour emblème) qui s'illustrera par la dénonciation publique d'enseignants de gauche.
 
A cette époque, dans l'Italie voisine, Mussolini a imposé son pouvoir absolu et l'Allemagne est en train de passer sous la coupe du parti nazi. Certains souhaiteraient en France un régime de ce type. D'autres gens de droite prétendent hypocritement que c'est en interdisant toute initiative de fonctionnaires douteux qu'on se prémunira contre les tentations extrémistes.
 
Le fait que Maurras se porte à l'avant-garde du combat contre Freinet n'est sans doute pas pour ce dernier une catastrophe. L'incident resté au plan local lui était très défavorable, ne permettant qu'une faible mobilisation. Porté par l'extrême-droite au niveau national, comme l'une des "affaires" de l'année, il provoque certes la colère des notables radicaux qui n'avaient pas besoin de ce facteur supplémentaire de déséquilibre. Ces politiciens feront d'ailleurs lourdement payer à Freinet (en 35 et en 40) les interpellations que leur parti a dé subir à cause de lui en 32-33. Par contre, ce pilonnage de l'extrême-droite suscite à gauche une mobilisation pour la défense, à travers Freinet, de l'école publique et des fonctionnaires, en général. Sans Maurras, nul doute que Freinet aurait obtenu le soutien des militants de son mouvement et de certains sympathisants de l'éducation nouvelle, ce qui ne représente pas à l'époque une grande masse. A cause de Maurras, c'est toute la gauche qui sera amenée à faire front, même si certains n'apprécient que modérément les initiatives de ce curieux instituteur.
 
Très vite, L'Humanité, La République, L'Oeuvre, Le Populaire, L'Avant-Garde, Le Libertaire, Le Réveil ouvrier, La Wallonie  et localement Le petit Niçois  prennent parti en faveur de Freinet. C'est sans surprise que, le 18 janvier, on voit Marianne, l'hebdomadaire littéraire de gauche, dirigé par Emmanuel Berl, consacrer une page entière à l'instituteur de Saint-Paul  dans un reportage de Pierre Scize.
 
A mesure que se durcit la situation, se multiplieront les pétitions en faveur de Freinet. Sur l'initiative d'Henry Poulaille qui avait écrit des articles de soutien dans Monde  et Lectures du Soir, se constitue un comité de défense réunissant des intellectuels comme Cendrars, Gide, Chamson, Dabit, Malraux, Peisson, Vildrac. Dans La force de l'äge,  Simone de Beauvoir évoque le soutien qu'avec Sartre et d'autres, ils apportèrent à l'instituteur de Saint-Paul. De façon plus inattendue, Pierre Deffontaines, professeur de la faculté catholique de Lille, assure honnêtement Freinet de son soutien. Son télégramme ayant été capté et publié par l'extrême-droite, cet homme devra ensuite affronter les reproches de son milieu.
 
Une grève scolaire incertaine
 
Comme on peut s'en douter, le retentissement national de l'affaire est loin de calmer les esprits sur place. Le 12 décembre, l'inspecteur primaire s'est rendu à Saint-Paul. Freinet lui propose de visiter les familles pour vérifier qu'elles ne sont pas solidaires des attaques. L'inspecteur préfère "se tenir à leur disposition" à la mairie, ce qui, évidemment, coupe court à toute rencontre.
 
A partir du 15 décembre, le maire tente de déclencher une grève scolaire que la plupart des parents sont peu enclins à appliquer. Le 21 décembre, Freinet écrit au Préfet pour se plaindre des agissements du garde-champêtre qui, le lundi 19, s'est posté sur le chemin de l'école pour renvoyer les enfants chez eux. L'adjoint et un conseiller municipal sont passés extorquer à certaines familles des signatures contre l'instituteur. Pour les intimider, le maire a convoqué à la mairie des parents qui refusaient de s'associer à la grève. Plus tard, on saura que des propriétaires terriens ont fait pression sur leurs métayers, le maire sur des artisans exécutant des travaux pour la commune. Il faut préciser que certains "grévistes", dont le fils du garde-champêtre, fréquentaient déjà très irrégulièrement l'école auparavant. Malgré toutes les manoeuvres de la municipalité, la moitié des élèves continueront à venir fidèlement en classe. Cette constance, dans un tel climat, marque un relatif succès pour Freinet. Elle révèle surtout, chez les parents concernés, un courage qui force le respect.
 
Réactions administratives
 
L'éclatement national de l'affaire a eu un premier effet : l'inspecteur d'académie retourne (à sa demande, dit-on) à son poste précédent, Oran. Les Freinet s'empressent d'y voir une victoire ; un peu trop vite, semble-t-il. Vraisemblablement, il a été reproché à l'administrateur d'avoir laissé se développer une situation préjudiciable à l'enseignement public. On en a la preuve quand, répondant plus tard à une interpellation, le ministre déclare : "M. Freinet, loué, exalté par un certain nombre de pédagogues étrangers, félicité, encouragé par -- on peut bien le dire -- des publicistes éminents, grisé, enivré par quelques lignes de louanges parues aux colonnes du journal Le Temps, a fait dans cette école, non pas du communisme, mais du freudisme. On l'a ignoré ; plus exactement, ses chefs ne l'ont pas su, tandis que le savaient d'autres, en France et hors de France, qui le félicitaient pour ces mêmes faits. (...) La curiosité de ses chefs s'arrêtait aux frontières de cette commune qui apparaissait, dans la littérature pédagogique, comme une véritable capitale de la nouveauté et de l'audace. Enfin, il n'a pas été inspecté, ce qui, messieurs, enlevait, si je puis dire, une grosse part de responsabilité à ce ma"tre." Il s'agit davantage d'un réquisitoire contre le laxisme de l'inspecteur d'académie (le ministre précise d'ailleurs qu'il a maintenant quitté Nice) que d'un plaidoyer en faveur de Freinet.
 
Le 22 janvier, se réunit le conseil municipal. Dès le début, le maire a donné le ton : Je n'ai pas d'enfants, mais si j'en avais, je ne les enverrais pas à M.Freinet pour en faire des voleurs ou des assassins.  Les attendus de la déclaration municipale débordent largement la pédagogie pratiquée par l'instituteur : Considérant que cet instituteur dirige une coopérative dite "l'Imprimerie à l'Ecole", qu'il y imprime avec l'aide des élèves et de jeunes filles des quantités de feuilles, d'opuscules, etc. expédiés journellement par ballots dans toute l'Europe et même en Russie Soviétique et qu'en conséquence il fait un métier qui l'absorbe non seulement pendant les heures de repos mais encore pendant les heures de classe, au détriment de l'instruction des élèves qui est de ce fait reléguée à l'arrière-plan ; Considérant que cet instituteur collabore à un journal "L'Internationale de l'Enseignement" où il dit qu'il poursuit à l'école une propagande révolutionnaire, chose qui ne tend rien moins qu'à fausser l'esprit de la jeunesse et à saper les bases mêmes de l'Etat et de la société qui le payent. Après avoir laissé entendre que la municipalité serait "impuissante à conjurer le risque de création d'une institution libre ", elle demande au ministre le remplacement de l'instituteur, devenu "indésirable pour la population ". Freinet décide d'attaquer le maire en diffamation.
 
Le 28 janvier, est convoqué le Conseil Départemental de l'enseignement primaire. Freinet certifie que le directeur de l'Ecole Normale, venu enquêter à Saint-Paul, lui avait déclaré que l'affaire reposait sur des peccadilles. Son rapport aboutit néanmoins à ces attendus : Considérant que M. Freinet a accueilli, laissé écrire et imprimer des textes de rédactions libres qu'il aurait dé écarter pour les soustraire à l'attention des élèves ; constatant en outre que, par la publicité qui leur a été donnée, ces textes ont provoqué une émotion préjudiciable à l'école ... le conseil prononce la censure, simple admonestation mais qui fragilise encore la position locale de l'instituteur. Ses adversaires s'emparent aussitôt du fait pour exiger son départ immédiat.
 
En février, l'inspecteur primaire compense l'absence de véritables inspections depuis 1928 (il n'avait effectué que des visites rapides, parfois après l'heure de sortie des élèves) par une présence de quatre journées (les 11, 13, 14 et 24 février) au cours desquelles il épluche le travail de plusieurs années. Alors qu'il a refusé précédemment d'aller rencontrer les parents favorables, il va maintenant rendre visite à ceux que le maire a fait pencher pour la grève. Freinet publie (EP 6, p.302) l'intégralité du rapport et ses propres remarques. C'est faire beaucoup d'honneur à ce recueil de mesquineries, destinées à montrer que l'instituteur n'en serait pas là s'il pratiquait la bonne vieille pédagogie conventionnelle. On va jusqu'à trouver "passable" l'état du local, à faire des remarques sur le chauffage et l'hygiène, en feignant d'ignorer le refus de la mairie d'approvisionner l'école en bois et en eau.
 
Seul intérêt de l'enquête, que Freinet qualifie de policière, le rappel des textes qu'on lui reproche d'avoir laissé imprimer : celui du rêve meurtrier, de la communion et celui-ci, du 9 décembre 31, sur un autre rêve (coïncidence comique, l'auteur est encore le fils du garde-champêtre). Hier soir, j'ai rêvé qu'il nous fallait aller à la guerre. Nous étions toute une bande. Mathieu disait : "Il nous faut aller à la guerre."  -- Moi je n'y vais pas. -- Oui, mais les gendarmes t'attraperont. --Je ne me laisserai pas faire. Mais il fallait y aller. Moi j'étais caché dans la terre. Tous les autres sont partis.  Comme il le pratique habituellement, Freinet laisse discuter les enfants sur le sujet et le texte est complété par quelques lignes intitulées Notre enquête : Nous ne voudrions plus partir pour une guerre. 4 élèves cependant partiraient. Nous nous demandons s'ils ont bien leur bon sens : Alphonse, Baptistin et Eugène qui ont leur père mutilé et Robert.  Un instituteur, lui-même mutilé, avait-il le droit de laisser imprimer de telles horreurs?
 
Ajoutons que le 10 mars, un enfant écrit qu'il a rêvé qu'il était cow-boy. Une partie de la classe décide qu'il vaut mieux ne pas publier ce texte "en raison de l'état de grève à Saint-Paul". Notre enquête : André dit "Et si cela tombe entre les mains de la gendarmerie, on dira que nous voulons tuer tout le monde, ce qui n'est pas vrai".
 
La principale crainte de Freinet, exprimée en mars dans une circulaire aux militants, est le déplacement d'office qui mettrait en question le fonctionnement de la CEL (locaux pour entreposer le matériel, personnel employé localement, proximité d'une gare pour l'expédition des colis).
 
Les ennemis de Freinet lèvent le masque
 
Le tribunal correctionnel a rejeté la plainte en diffamation de Freinet contre le maire et l'imprimeur des affiches. Bizarrement, certains échos évoquent pour cela les Assises. Les amis du maire publient le communiqué suivant : Les habitants de St-Paul, écoeurés des attaques dont a été l'objet M. Demargne, maire de la commune, se réjouissent du jugement du Tribunal correctionnel de Grasse. Ils sont unanimes pour adresser au Maire leurs félicitations pour son courage civique, son dévouement constant à la commune et s'unissent pour l'assurer qu'ils sont à ses côtés dans la besogne d'épuration nationale qu'il a entreprise  (souligné par C. Freinet). Ils sont unanimes pour remercier les avocats (...), tous les bons Français patriotes : "Croix de Feu", "Action Française", "Jeunesses Patriotes" ainsi que les journaux L'Eclaireur de Nice, L'Action Française, etc.
 
Le syndicat de l'Enseignement des Alpes-Maritimes riposte dans un communiqué : A Saint-Paul, une minuscule coterie à la tra"ne du maire, continue ses provocations, profère toutes sortes de menace et se prépare à créer des incidents irréparables. Le Préfet est au courant certainement. Nous l'en prévenons en tout cas. Si notre camarade Freinet, dont le calme et l'attitude sont exemplaires, était l'objet de sévices, nous en rendrions responsable le préfet des Alpes-Maritimes. L'affaire de Saint-Paul se lie à toutes les tentatives de fascisme dont le corps enseignant et les organisations d'avant-garde sont l'objet. Il importe de ne pas mépriser de telles tentatives. Si les menaces fascistes sont encore en France sur le plan des menaces verbales, en Allemagne, elles en sont à la destruction physique, par le revolver, le poignard ou la matraque, de tous ceux qui luttent pour l'amélioration du sort des travailleurs.
 
Les gages donnés par l'administration aux adversaires de Freinet (censure, rencontre avec des parents grévistes), loin de les calmer, n'ont fait qu'exacerber leur hargne. Puisqu'on le reconna"t "coupable", pourquoi l'instituteur continuerait-il d'enseigner au village? L'ambiguïté se trouve au niveau des griefs. Au pire, l'administration reproche à Freinet quelques imprudences pédagogiques. Ses ennemis l'accusent de "bolcheviser" les enfants (lui qui est le plus farouche adversaire de tout endoctrinement) et, plus globalement, d'être un individu dangereux, passant ses soirées à écrire on ne sait quoi, payant les employées de sa coopérative au-dessus du tarif habituel pour expédier un peu partout des brochures qui ne peuvent être que séditieuses.
 
Au cours du second trimestre, aucune pression n'a pu imposer la grève scolaire à une majorité d'élèves. Hormis les éternels absentéistes, les familles grévistes trouvent elles-mêmes que la situation a assez duré. D'où la volonté des partisans du maire de brusquer les choses et d'obtenir, s'il le faut par la force, le départ de Freinet.
 
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