Les débats pédagogiques continuent
Célestin Freinet, un éducateur pour notre temps
Michel Barré
 
 Il ne faudrait pas croire que l'importance des problèmes idéologiques rejettent à l'arrière-plan les problèmes strictement pédagogiques. Ces derniers gardent une large place dans le bulletin mais, après la phase d'innovation intensive des années précédentes, il s'agit plutôt de la consolidation et de l'élargissement des acquis.
 
 En deçà et au-delà de l'école primaire
 
L'expression libre, l'imprimerie, la correspondance semblent avoir conquis leur place définitive et font rarement l'objet d'articles pour l'école primaire. Par contre, on parle souvent de leur introduction dans les classes enfantines et maternelles. Ainsi, en 33-34, Lina Darche (Isère), J. Mawet (Belgique), J. Lagier-Bruno (Hautes-Alpes), J. Saint-Martin (Lot-et-Garonne) et G. Fradet (Yonne) se relaient pour décrire ce qui est possible avec des petits (EP 1, p.25; 2, 74 et 79; 6, p.314; 7, p.374; 8, p.430; 9, p.486). En octobre 34, dans son compte rendu du congrès des écoles maternelles de Dijon, G. Fradet critique : Les institutrices viennent chercher des idées, ce qu'on leur propose (au stand CEL) c'est que les enfants expriment leurs idées  (EP 2, p.32).
 
Autre secteur à convaincre : le second degré. Freinet amorce la question en affirmant que les Cours Complémentaires (CC) et les Ecoles Primaires Supérieures (EPS) peuvent adopter avec succès la nouvelle technique de travail : expression libre par l'imprimerie, le journal et l'échange, relève des manuels par un fichier documentaire et une bibliothèque de travail, remplacement des cahiers de cours par des dossiers à reliure mobile (EP  4, janv.34, p.180). Après qu'un collègue d'EPS ait exprimé les difficultés rencontrées (EP 6, p.300), G. Sore raconte comment il a fait évoluer la pédagogie de son CC à Bordeaux (EP 9, p.474). L'année suivante, il est invité à donner à ce sujet, sur l'antenne de Radio Bordeaux-Lafayette, une conférence reproduite dans le bulletin (EP 8, janv.35, p.175).
 
 Réaliser pratiquement l'école sur mesure
 
Cette expression empruntée à Claparède amène Freinet à rappeler les apports de Decroly et Mme Montessori. Il insiste sur deux éléments supplémentaires : l'expression libre et le fait qu'éducateurs et élèves doivent collaborer au même but, sans aucune hiérarchie ni aucune brutale sujétion. A un militant qui insistait sur les tendances individuelles, il précise : Individu ou groupe ? Nous nous refusons à voir sous cet angle un peu simpliste et partial le problème éducatif. Nous sommes, en marxistes, persuadés de l'importance déterminante de l'économique et du social sur les individus et, dans toute éducation, nous tâchons d'améliorer d'abord le milieu scolaire qui déterminera les modifications individuelles. Dans notre esprit, ce souci essentiel ne saurait nullement s'opposer à l'épanouissement individuel. (...) Dès qu'un milieu normal est créé -que ce soitnotre embryon de société scolaire ou la vaste expérience post-révolutionnaire - les besoins individuels et les besoins sociaux tendent à se confondre ; l'épanouissement individuel et l'épanouissement social sont fonction réciproquement l'un de l'autre et apparaît alors comme normal le dévouement sans limite de l'homme à la société dont il est à la fois élément et aboutissant. (EP 7, janv.35, p.150) Mais pour progresser dans cette voie, il faut repenser tous les apprentissages.
 
 Le calcul et les sciences
 
De nombreux articles sont consacrés au calcul. Dans trois n° consécutifs (EP 5, p;245; 6, p.310; 7, p.369), J. Mawet (Belgique), influencé par l'apport de Decroly, dont l'école est géographiquement proche de la sienne, propose de relier au maximum les apprentissages mathématiques avec la vie des enfants : jardinage, élevage, mensurations des enfants, moyennes des températures, gestion de la coopérative, pesée et timbrage des envois aux correspondants, prévision d'achats pour les travaux manuels, excursions scolaires, soupe de la cantine, etc. R. Lallemand (Ardennes) appuie cet effort de motivation et utilise la gestion des fournitures payantes ou gratuites pour habituer les enfants à manipuler des marchandises, de l'argent, à envisager un budget de dépenses (EP 6, p.308). J. Roger (Nord) explique, entre autres choses, comment il a utilisé l'engouement de ses élèves pour la course cycliste Paris-Nice, en étudiant aussi bien les parcours, les horaires, les vitesses, les moyennes que les caractéristiques mécaniques ou le prix des bicyclettes (EP 8, p.428).
 
Sous le titre de Plan-table d'école active pour l'enseignement du calcul, Houssin (Manche) publie dans plusieurs bulletins (EP 5, p.251; 6, p.310; 7, p.369; 10, p.540) le contenu très divers d'un atelier permettant aux enfants de dénombrer, mesurer, peser, appréhender les formes géométriques, les surfaces, les volumes, les contenances, les densités, le temps, les monnaies, les fractions.
 
On poursuit bien entendu les recherches sur les fiches de problèmes. Cazanave (Loire) préconise des fiches-mères analysant des difficultés précises (par ex. retrouver le montant d'un objet à partir du prix total), des fiches d'exercices oraux habituant à effectuer mentalement ce type de calcul, des fiches documentaires chiffrées offrant des données diverses pour inventer des énoncés, des problèmes-types et diverses applications (EP 2, nov.33, p.66). Freinet insiste pour qu'on ne travaille pas seulement pour les grands préparant le certificat, mais dès le cours élémentaire en respectant les centres d'intérêt des enfants d'après leurs livres de vie (EP 7, p.366). Lallemand qui a étudié les brochures américaines de Washburne pour l'enseignement individualisé, estime qu'on peut s'en inspirer pour une série purement technique de résolution d'opérations, complétée de séries reliées aux centres d'intérêt des enfants et d'une autre préparant aux examens (EP 9, p.476).
 
Pour l'enseignement scientifique, on retrouve le même souci de faire expérimenter les enfants. Bertoix et Martin (Allier) soumettent à la discussion une liste du matériel de base (EP 4, janv.34, p.186). Le but est de diffuser ce matériel par la CEL. En comparaison du compendium scientifique habituel en primaire, notons la présence affirmée du matériel d'électricité, à une époque où les campagnes sont loin d'être toutes électrifiées. Pour cette raison, l'accu de 4 volts est cité en premier. Le mois suivant (EP 5, p.247), Bertoix complète la liste pour la chimie et publie les plans d'une lunette astronomique réalisable pour 25F. Puis (EP 6, p.306), Vovelle (Eure-et-Loir) propose une simplification de la première liste mais, en revanche, souhaite élargir à des collections d'échantillons minéraux fournis par des collègues de diverses régions. Dans le même bulletin (p.307), Martin insiste sur l'importance de l'initiation à l'électricité pour les enfants d'aujourd'hui. Tout en se défendant de politiser son propos, il fait une allusion enveloppée au slogan de Lénine ("le socialisme, c'est les soviets plus l'électrification"). Il souhaite également une expérimentation en photo avec un appareil ultra-simple à plaques, apparemment à inventer. Pour Freinet, la préoccupation majeure est de concevoir des fiches d'expérimentation scientifique qui permettront aux enfants de réaliser eux-mêmes les expériences au lieu de se contenter de regarder celles exécutées par le maître ou décrites dans le manuel (EP 7, p.368). Vovelle (EP 8, p.424 et 9, p.480) amorce la recherche dans cette voie, tout en montrant que l'exploitation réellement scientifique de certaines expériences de physique "amusante" est parfois plus complexe qu'il n'y paraît.
 
L'histoire
 
La CEL publie en octobre 33 une Chronologie mobile d'Histoire de France, travail coordonné par Gauthier (Loiret).  Il s'agit d'un petit classeur avec des feuilles perforées (13,5 x 21) contenant l'énumération des années. Certaines dates mentionnent un événement politique ou culturel, mais l'outil est conçu pour être complété par les enfants (faits locaux ou documents trouvés et étudiés). Bourguignon (Var) demande que l'on recueille et publie, sous forme de fiches, des documents directement utilisables par les enfants (EP 3, p.128). Lallemand propose de compléter les documents reproduits et la chronologie des faits par des fiches de récit historique parlant avec simplicité du thème (travail, voyages, religion) à l'époque mentionnée (EP 9, p.479). Plus tard, Guillard (Isère) insiste sur la représentation graphique du temps pour donner aux enfants la notion de durée que risque de comprimer ou de dilater la rareté des événements ou leur abondance, selon les époques (EP 7, janv.35, p.155).
 
Dessin et peinture
 
Curieusement, la signature d'Elise Lagier-Bruno n'apparaît pas dans cette rubrique à cette période. Nous verrons qu'elle se consacre alors en priorité aux problèmes de santé et d'alimentation. Par contre, Lina Darche (Isère) parle de sa pratique avec des petits et de l'exposition de travaux libres qui a terminé l'année scolaire (EP 1, oct.33, p.24). Dans le même n° (p.53), Lallemand aborde, pour la première fois, le problème des couleurs à bon marché permettant d'entreprendre de grands dessins. Il s'agit des poudres vendues par les droguistes et diluées avec de la colle à papier peint. Pour donner le brillant aux dessins réalisés, on remplace le vernis, trop coéteux, par une solution d'alun ou de formol. Le mois suivant (EP 2, p. 112), la CEL annonce qu'elle sera bientôt en mesure de livrer ces couleurs. Un conseil précise qu'il faut ajouter un antiseptique (borax) à la colle Rémy putrescible.
 
Freinet consacre 7 pages à ce qu'il appelle : Notre technique nouvelle de dessin à l'école primaire  (EP 5, p.235). Il renouvelle les critiques qu'il portait naguère à l'enseignement du français en montrant les limites des exercices de dessin. Il conclut : Par nos techniques, entretenez d'abord la vie, le besoin d'activité et de création. Organisez ensuite le milieu : réservez la possibilité pour les enfants de dessiner librement ; préparez-leur le matériel : papier, couleurs, crayons, etc. Offrez ensuite de bons modèles artistiques que chacun verra sous l'angle qui lui plaira. Et puis, laissez les enfants se saisir du monde qui les environne : ceux qui ont une personnalité forte, prédisposée pour cet art, ne seront du moins ni découragés ni déformés ; ils prendront autour d'eux, avec une puissance et une séreté qui vous étonnera, le suc dont ils feront leur miel. Quant aux autres, ils auront du moins la satisfaction de s'exprimer dans la joie en réalisant des oeuvres significatives qui les passionneront et les viriliseront.  Connaissant la volonté d'éducation mixte de Freinet, on sourit à cette virilisation de l'enfance des deux sexes; le dynamisme, l'énergie sont-ils donc indissociables de la virilité ?
 
Un an plus tard, en mars 35, Freinet fait le compte rendu de Didactique du dessin  de Richard Berger, dont la CEL a publié une brochure sur la gravure sur lino. Par delà ses réticences sur l'interventionnisme exagéré de l'auteur en matière d'apprentissage du dessin, il conseille l'ouvrage qui donne de nombreux conseils pratiques sur les techniques et matériels utilisés.
 
Musique et disques
 
Le pipeau de bambou fait des adeptes. D'abord grâce à l'analyse du livre de Lina Roth : Tous musiciens  (Nathan) (EP 6, p.347), puis par le compte rendu de Rossat-Mignod (Savoie) d'une conférence d'Henriette Goldenbaum au congrès de la Nouvelle Education en mars 34 (EP 8, p 420). Celle qui sera pendant un demi-siècle la spécialiste du sujet a convaincu l'instituteur des vertus éducatives et musicales du pipeau fabriqué par les enfants. Lallemand (décidemment, cet homme est universel!) se passionne surtout pour les instruments à percussion, réalisés par les enfants en s'inspirant du livre de Satis Coleman :  Creative Music for Children  (EP 9, p. 483). Un peu plus loin, Freinet signale, p.519, les fascicules de l'Anthologie du chant scolaire  et précise : Edition excessivement intéressante, qui le sera davantage encore le jour où elle sera doublée d'une édition bon marché sur disques.  Nous allons voir la CEL se préoccuper de ce problème. En décembre 34 (EP 5, p.121), Freinet signale un livre sur l'orchestre enfantin mais donne la préférence aux instruments fabriqués par les enfants. Il indique également un recueil de saynètes musicales et comédies enfantines, Aux feux de la rampe  de L. Vasseur mais regrette : Ce n'est pas encore là l'oeuvre populaire que nous attendons, celle qui, délaissan enfin la tradition bourgeoise, saura puiser dans la vie enfantine prolétarienne les éléments émouvants et éducatifs d'une portée sociale.
 
Côté enregistrements, après deux années de recherches, Y. et A. Pagès publient une liste de disques récents, particulièrement utiles dans une classe primaire. Trois rubriques : enseignement du chant, diction et littérature, histoire-géographie avec des chants populaires de plusieurs régions, des textes historiques lus par des comédiens, des chants révolutionnaires et, plus curieusement, des musiques militaires (EP 2, nov.33, p.94). Comme il est impossible aux classes d'acheter tous ces disques, une discothèque de prêt a été organisée mais les coéts de transport s'avèrent beaucoup plus lourds que les modestes frais de location. Freinet (EP 6, p.328) propose la réorganisation de la discothèque sur des bases vraiment circulantes.  Pour cela, il propose une décentralisation départementale ou interdépartementale de la location coopérative des disques. Il insiste sur la nécessité d'accompagner ceux-ci de fiches explicatives contenant des indications pédagogiques, voire de partitions musicales. Dans le même n°, Pagès annonce que le nouveau phonographe portatif CEL est disponible au prix de 350 F. Comme on pouvait s'y attendre, la première filiale départementale s'ouvre dans les Pyrénées-Orientales, où exercent les Pagès qui publient, avec quelques lignes de commentaire plutôt indulgent, le catalogue des disques Scholaphone édités par la Ligue française de l'Enseignement. Après des essais décevants d'enregistrement, Pagès propose de décider en congrès si la CEL va éditer des disques enregistrés professionnellement (EP 9, p.496). La réponse ne tarde pas : en octobre 34, on propose une souscription pour 3 disques CEL au prix total de 50 F (EP 1, p.17). Ce sera le début d'une longue série.
 
Radio et cinéma
 
Fragnaud (Charente-Inf.) donne des conseils sur l'installation d'une antenne efficace (EP 2, nov.33, p.90). Gleize (Gironde) indique comment améliorer la réception par la prise de terre, le survolteur-dévolteur et les filtres anti-parasites. M. Lallemand a la pénible impression, devant la disparition des émissions de radiophonie scolaire, que la France délaisse la question (EP 6, p.326). Une réponse du ministre des PTT signale que seuls les postes installés à demeure dans les salles de cours sont exemptés de taxe (EP 7, p.381). En fin d'année scolaire, Gleize trace un bilan positif pour le matériel impeccable, fourni à des prix imbattables (EP 9, p.494). Malgré cette réussite, confirmée un an plus tard (EP 19, juin 35, p.443), l'absence de programmes éducatifs provoque la disparition de la rubrique.
 
Un article non signé (EP 2, oct. 33, p.87) dénonce les dangers du cinéma. Il critique surtout les menaces de propagande, aggravées depuis l'apparition du "parlant", et le risque de disparition des diversités. Dans le n° suivant (3, p.142), Boyau fait le point sur les formats de films utilisables à l'école. Le 9,5 reste le moins cher et le meilleur, face au 8 mm, trop petit, au 16, encore trop coéteux, et au 17,5, appelé Pathé rural, dont le seul avantage est d'exister aussi en "parlant". Par la suite, à cause des ennuis rencontrés dans son village par l'animateur de la rubrique, la signature de Boyau disparaît un certain temps, mais Freinet prend le relais.
 
Dans le n°6 (p.323), il analyse les rapports préparatoires du congrès international du cinéma d'éducation et d'enseignement qui se tiendra à Rome en avril 34 et donne ses réactions :  Le problème du film ne se sépare pas de celui du livre. Il le complète et le déborde en même temps. (...) Les films doivent répondre à nos besoin comme essaient de le faire nos brochures de la Bibliothèque de Travail, mais avec une puissance décuplée certes : apporter des documents vivants au rythme normal de la vie pour satisfaire les besoins éducatifs tels qu'ils sont révélés par les pratiques nouvelles du travail libre. Il regrette qu'aucun rapport n'effleure une question : l'usage scolaire de la caméra prise de vues, enregistrement de la vie même, du travail des enfants pour constituer les bases d'une cinémathèque scolaire qui devient précieuse dans le cas d'échanges organisés entre classes. Nous l'avons noté maintes fois : de même que les textes d'enfants sont les plus précieux comme stimulateurs de la vie, les films tournés par les enfants eux-mêmes ont toujours un très grand succès. Si leur valeur technique est très relative, leur portée pédagogique est immense parce qu'ils sont parmi les plus puissants porteurs de vie que nous puissions trouver à l'école.  Poursuivant son analyse des rapports concernant le cinéma sonore (n°7, p.380), Freinet reconnaît : Il suffit parfois de quelques images prodigieusement expressives et profondes pour faire saisir globalement des rapports et des pensées que l'école poursuivait en vain. (...) Nous croyons aussi qu'un emploi pédagogique intelligent du film sonore serait susceptible  de faire acquérir en 2 ou 3 ans ce que les techniques actuelles ne parviennent pas à "entonner" en 8 ans. (..) Ne se trouverait-il pas aussitôt des exploiteurs insatiables capables de réduire de moitié le temps de scolarité? (...) Sans une nouvelle conception sociale et humaine de l'éducation, le cinéma, si perfectionné soit-il, ne sera jamais, comme nous le voudrions, au service de l'enfant.  Comme Ferrière a assisté personnellement à ce congrès et a communiqué à Freinet le résumé des discussions, ce dernier peut en donner des échos (EP 9, p.493). Après avoir regetté l'absence du point de vue soviétique, il conclut : L'impuissance du congrès vient de ce que le développement du cinéma éducateur est impossible en régime capitaliste : les uns parlent idéal, progrès, avenir ; le régime oppose sa conception exclusive de l'exploitation et du profit. Les rêves, les projets, les discussions ne sont jamais interdits. Mais, d'une part, les participants, presque tous officiels, se sont gardés jalousement d'aborder les questions épineuses du cinéma éducateur dans ses rapports avec les nécessités sociales et politiques. L'impuissance s'avère complète en ce qui concerne les essais de réalisation pratique internationale : la circulation libre des films éducatifs, par exemple, et l'unification des formats réduits.
 
 Le rapport de fin d'année de la cinémathèque (EP 10, p.552) est assuré par Boyau qui note le bon fonctionnement des locations et de la mise en place des filiales dans l'Allier, le Var et les Pyrénées-Orientales. Il pose le problème de la reconstitution des collections de films réalisés par les coopérateurs, regrette la faible diffusion du premier film fixe édité par la coopérative sur "le Pin maritime".
 
L'année suivante (EP 1, oct.34, p.14), le débat sur les filiales se poursuit avec Maguenot (Jura) qui fait ensuite le point sur les matériels nouveaux : caméra 9,5 Eumig et projecteur bi-film Filo pour 9,5 et 16mm (EP 3, p.64). Dans le n° suivant (p. 86), il conseille de filmer comme il l'a fait des manifestations sportives locales. En récupérant des séquences dans les actualités de Pathé-Gazette, il serait possible de constituer des films de montage sur les sports. L'exemple de l'Allier (EP 8, p.181) prouve que, pour les groupes nombreux et dynamiques, la cinémathèque-discothèque locale est une bonne solution. Toujours à l'affét de progrès techniques, Freinet s'est informé des possibilités de sonorisation des films d'amateurs : Hélas! tout cela n'est pas encore pour nous. Nous notons cependant l'importance des progrès réalisés qui nous laissent espérer pour un jour prochain la possibilité d'utiliser l'enregistrement phonographique comme nous avons utilisé la prise de vue. (EP 9, p.205). C'est seulement avec l'apparition des magnétophones non professionnels au cours des années 50 que cette pratique entrera dans les classes. Un peu plus tard (EP 11, p.254), c'est sur la télévision qu'il exprime craintes et espoirs : Si la télévision est, comme il est à craindre, employée par des gouvernements capitalistes pour remplir la tête des ouvriers et des paysans, pour les empêcher de penser, pour faire dévier leurs aspirations auxquelles on apporte une satisfaction superficielle, comment ne serions-nous pas contre télévision, comme nous sommes contre la radio et le cinéma capitalistes. Il en serait autrement si ce formidable instrument d'éducation était aux mains d'organismes à principe non pas mercantile mais éducatif.  Rappelons que nous sommes alors en 1935 et que les premières émissions françaises n'apparaîtront qu'après la guerre.
 
Gymnastique et rythmique
 
C'est Freinet qui le premier (EP 6, mars 34, p. 349) aborde le sujet par une critique chaleureuse du livre de L.A. Carré et L. Adélaïde chez Bourrelier : Gymnastique et danse rythmiques.  Comme de nombreuses écoles ne possèdent pas de piano, il faut développer l'édition de disques.
 
Lallemand enchaîne par un article de 4 pages sur la gymnastique inspirée de la méthode Hébert et surtout de MÙller (EP 8, mai 34, p.442). L'année suivante, Freinet revient sur le thème en commentant le livre de R. Jeudon sur L'éducation du geste  (EP 7, janv.35, p.168) puis celui du Dr Ledent : Conférences d'éducation physique  et du Dr Bogey sur L'éducation physique féminine  (EP 9, p.215). Citons sa conclusion qui surprendra certains : L'auteur est à fond contre les compétitions athlétiques et son ostracisme s'explique dans notre régime de mercantilisme effréné. Certaines réserves par contre pourraient être faites et la question mériterait d'être à nouveau étudiée dans une société où le sport athlétique lui-même ne serait qu'un épanouissement presque normal de l'individu sain et puissant.
 
Naturisme
 
Enchaînons de l'éducation du corps au naturisme, bien qu'il ne s'agisse pas d'une discipline scolaire. Après l'édition par la CEL du livre de Ferrière : Cultivons l'énergie, qui fait l'éloge de la méthode hygiéniste de Vrocho, le bulletin inaugure une rubrique régulière sur les pratiques d'hygiène, d'alimentation naturelle. Ce sera surtout le domaine d'Elise Lagier-Bruno (elle ne signera E. Freinet qu'à partir d'octobre 34). Elle donne des conseils pratiques et prudents concernant l'hydrothérapie, la sudation, l'exposition au soleil, le régime alimentaire avec quelques menus et la recette du pain complet (EP 1, oct.33, p.14). Elle intitule désormais la rubrique Pour un naturisme prolétarien  (EP 3, p.159), s'interroge : Qu'est-ce que la maladie?  (EP 4, p.219), donne la parole à Vrocho : Les naturistes empiriques au secours de la science officielle  (EP 5, p.279), La théorie des globules blancs  (EP 6 et 7, p.331 et 385), La pratique naturiste pour la régénération (EP 10, p.559), Il n'y a que des malades  et non des maladies (EP 3, nov.34, p.68), La mithridatisation,  accoutumance aux mauvaises habitudes alimentaires (EP 5 et 6, déc.34, p.116 et 138), Les tempéraments  qui ne sont pas immuables et ne peuvent justifier un retour aux erreurs antérieures (EP 7, p.162). Ferrière intervient également : Naturisme et instinct  (EP 9, juin 34, p.498), Alimentation et instinct  (EP 2, oct.34, p.40), L'éducation de l'instinct  (EP 4, janv.35, p.97).
 
Freinet n'est pas en reste, notamment à l'occasion de critiques de livres. Par exemple, parlant des Bâtards d'Esculape  du Dr Paul Moinet, il critique sa désinvolture à l'égard de Coué et de l'autosuggestion, son indulgence pour les rebouteux et ne peut le suivre lorsqu'il préconise la répression contre les essais non orthodoxes de thérapeutie.  Dans Pour ensoleiller notre vie,  le Dr Victor Daubret se méprend sur l'utilisation de l'autosuggestion et commet l'erreur de tolérer café et tabac, tout en restant attaché aux médicaments (EP 1, oct.33, p.50). Freinet critique une publicité rédactionnelle en faveur du sucre industriel dans L'Ecole Libératrice, critique renouvelée un an plus tard lorsque ce bulletin syndical récidive (EP 6, mars 34, p.343 et EP 9, fév.35, p.214). Dans le même esprit, il rejette le Livre de cuisine des petites filles  car il s'agit d'une cuisine essentiellement nocive avec des oeufs, des harengs, du saumon, des épices, des sucreries  (...) tous les excitants dangereux pour le développement physique, intellectuel et moral des enfants.  Dans le même n°6 (p.334) et le suivant (p.387), il consacre plusieurs pages à la pratique des sudations et réactions et cite le cas de sa fillette de 4 ans et demi. L'année suivante s'ouvre par un article non signé (mais on y reconnaît le style de Freinet) sur la poursuite de la rubrique (EP 1, oct.34, p.18). On signale les tarifs de la maison Le Paradis des fruits  à Marseille. Une souscription annonce que Freinet prépare un recueil de menus naturistes.  S'agit-il d'une coquille? Probablement, car le n° suivant reprend la même annonce en mentionnant E. Freinet comme auteur. C'est elle qui, désormais, tiendra la rubrique de cuisine végétarienne, essentiellement fruitarienne. Cela n'empêche pas Freinet de consacrer son éditorial de 4 pages à Notre naturisme prolétarien fonction éducative  (EP 5, nov.34, p.97).  En réponse à Bourguignon (Var) qui trouvait la rubrique trop envahissante, il veut montrer que les problèmes de santé et d'hygiène sont indissociables de l'éducation. Les militants le comprennent qui, en majorité, réagissent favorablement aux articles et aux livres proposés. Pour Freinet, face à la fatigue, à la nervosité ou à l'apathie de nombreux enfants, l'efficacité de l'éducation nécessite une véritable désintoxication préalable, au propre (abandon des excitants : sucreries, café, alcool) comme au figuré (rupture avec la suprématie de l'intellectualité). Dans le même n° (p.114), Elise pose la question : Faut-il manger cru ou cuit ?  Après avoir fourni sept arguments contre la cuisson, elle n'en conclut pas moins qu'elle est indispensable avec les céréales et les végétaux coriaces, ne serait-ce que transitoirement pour réhabituer nos organismes dégénérés à un alimentation naturelle. Ce qui lui donne l'occasion de donner dans le n° suivant (6, déc.34, p.137) huit recettes extraites du livre à paraître dont le titre est devenu Principes d'alimentation rationnelle. L'appel à souscription est suivi d'une proposition de colis naturiste au prix de 50 F.
 
Le tourisme prolétarien est inclus dans la rubrique avec une information, donnée par Mlle Achard (Bas-Rhin), sur les Auberges de Jeunesse se terminant par les adresses des trois mouvements, celui fondé par Marc Sangnier, celui qu'influence le Syndicat National des Instituteurs, enfin les Auberges du Monde Nouveau,  affiliées au comité antifasciste Amsterdam-Pleyel (EP 8, janv.35, p.185). Une note de lecture conseille le livre de J. Loiseau : Camping et voyage à pied  mais critique sa Cuisine de camping  qui ne se soucie pas de la portée naturiste du système d'alimentation. Freinet signale (p.186) une nouvelle publication Les Etudes Sexuelles  du Prof. Branson.
 
Elise (EP 9, p.208)  s'attaque au problème de la déminéralisation pour conclure : Il n'y a pas de syndrome de déminéralisation, il n'y a que des symptômes d'arthritisation généralisée, c'est-à-dire d'engorgement par des déchets toxiques. Vrocho critique (p.210) des cas de zèle exagéré, certains croyant nécessaire d'absorber sans distinction la peau et les pépins des fruits consommés, y compris pour les oranges et les bananes.
 
Pour favoriser l'utilisation de produits sains et naturels, Freinet reprend la proposition de Fromentin (Ardèche) de constituer un réseau de producteurs sérieux auxquels pourraient s'adresser les camarades (EP 10, p.233). On publie la préface par Vrocho du livre qui sortira incessamment, ainsi que deux critiques, assez négatives, de deux livres concurrents de cuisine végétarienne (p.235).
 
Lallemand, qui est décidément universel, réunit les caractéristiques de l'habitation naturiste (EP 11, p.257) puis conseille Comment reconquérir l'instinct d'après le Hatha Yoga  (EP 16, p.373 et 17, p.396).
 
Des critiques significatives de livres et revues
 
Comme on l'a vu précédemment, le bulletin contient de nombreuses critiques de revues et de livres très divers, reçus en service de presse et confiés aux militants qui désirent en faire un compte rendu. Les livres mentionnés peuvent aussi être prêtés, pour six mois maximum, aux militants qui en assumeront les frais de port (EP 6, mars 34, p.352). Dans la pratique, Freinet est le rédacteur le plus fréquent de cette rubrique et la lecture attentive de ses critiques précise certains aspects de sa pensée qui ne s'expriment pas toujours ainsi dans ses autres écrits.
 
Thème attendu, les critiques de livres et revues pour enfants. A propos de Histoire du poussin chaussé  de Simone Ratel, Freinet termine son appréciation positive de l'album par une réflexion : Les contes tirés du folklore contiennent tous une sorte de signification psychique qui leur assure une puissante résonance dans l'âme des primitifs et dans celle des enfants. Ces contes avaient un sens et une portée. On veut aujourd'hui faire plus rationnel, plus calculé, moins instinctif et on aboutit souvent à une sécheresse plus ou moins dangereuse selon le talent de l'auteur. Qui s'essaiera un jour aux véritables contes modernes, répondant à l'esprit des enfants du XXe siècle ?  (EP 6, mars 34, p.350). Chaque été, sans doute pour suppléer les journalistes professionnels en vacances, le journal Benjamin  animé par Jaboune, alias Jean Nohain, confie à ses jeunes lecteurs le soin de pourvoir au contenu d'un n°, en envoyant des articles imités de nos rédacteurs, des dessins imités de nos dessinateurs, le tout sera payé.  Freinet réagit en animateur de La Gerbe, réellement composée par ses lecteurs : Que ce soit flatteur pour les rédacteurs d'être ainsi pris pour modèles, c'est possible. Mais nous devons dénoncer cette pédagogie retardataire qui enseigne aux  jeunes lecteurs non pas à penser par eux-mêmes, à créer, mais à penser par les adultes, comme les adultes, à copier servilement... pour gagner une indemnisation à tant la ligne (EP 1, oct.34, p.23). Il est encore moins tendre avec Le Journal de Mickey  qui vient d'être lancé : C'est à désespérer de l'intelligence des éditeurs : des gribouillages informes, des histoires on ne peut plus bêtes (EP 6, déc.34, p.142). Il se montre favorable à Copain Cop  journal pour enfants créé sous le patronage de l'Office Central de la Coopération à l'Ecole, de la Ligue de l'Enseignement et du Syndicat national des Instituteurs mais, à notre surprise de le voir transiger avec son refus de tout endoctrinement, il conclut : Copain Cop serait certainement mieux accueilli s'il ne craignait pas d'être franchement socialiste et de donner les oeuvres pour enfants qui répondent à cette idéologie. Les temps viennent où il faudra être net et hardi  (EP 7, janv.35, p.166). Ne s'agit-il pas plutôt pour lui de critiquer la tiédeur politique des promoteurs? En effet, il se montre habituellement plus prudent sur le terrain de l'école. Par exemple, en recommandant la lecture du livre de Bertha Lask : A travers les âges, où un enfant d'ouvrier revit en songe les époques de luttes sociales, le servage, l'esclavage avec l'histoire de Spartacus, la guerre des paysans allemands, la Commune de Paris et la révolution soviétique, Freinet ajoute : Quant à introduire ces livres dans les bibliothèques scolaires, c'est là affaire plus délicate dont chaque instituteur devra décider lui-même selon l'ambiance et les possibilités locales  (EP 1, oct.34). Même prudence exprimée dans une critique signée P.B. (probablement Paul Boissel, de l'Ardèche) à l'occasion de la publication d'un album de Véra Barclay : Les belles découvertes de Pierre et Véronique, patronné par l'abbé Viollet et dans lequel une maman explique à ses enfants comment se reproduisent les plantes, les grenouilles, les oiseaux, les écureuils et enfin les hommes. Cela est dit avec beaucoup de tact, de naturel et de simplicité.  Devant les réticences de parents pratiquants, questionnés sur l'opportunité de faire lire l'album à leurs enfants d'une douzaine d'années, P.B. ajoute: Pour une fois que l'Eglise fait un effort d'émancipation, M. l'abbé Viollet se heurtera sans doute, surtout dans son entourage, à bien des résistances. Mais à qui la faute? En tout cas, quel cri d'indignation si c'était nous qui lancions un tel livre de bibliothèque enfantine! (EP 16, mai 35, p.380).  Freinet salue avec réserve la publication des Albums du Père Castor  animés par Paul Faucher, chez Flammarion : collection vraiment unique et qui se distingue nettement des diverses éditions pour enfants parues actuellement (...) Et pourtant, Père Castor, nous ne sommes pas encore satisfaits. Vous amusez les enfants; vous ne les éduquez pas puissamment parce que vous n'avez pu faire appel aux sources véritables de vie, à l'effort prolétarien, à l'harmonie du travail, à l'héroïsme de la souffrance ouvrière (EP 6, déc.34, p.144). Un peu plus tard (EP 19, juin 35, p.453), il critique dans cette collection Le royaume des abeilles  de Lida avec des dessins de Ruda : Nous mettons en garde le Père Castor contre la tendance capitaliste à sacrifier le fond à l'illustration, à "piper" l'intérêt du jeune lecteur sans prendre garde aux conséquences regrettables de cette duperie.  Par contre il conseille les albums publiés chez Istra par Carlier(auteur des premières brochures B.T.), sur l'histoire de la navigation, du rail et de l'aviation en regrettant que le texte en soit souvent trop condensé et trop technique, et de lecture difficile pour nos jeunes élèves qui en admireront du moins les belles illustrations (EP 17, mai 35, p.405).
 
C'est vis-à-vis du scoutisme que Freinet montre à la fois son exigence et son absence de sectarisme. A propos du livre de H. Bouchet : Le scoutisme et l'individualité,  il écrit : Nous sommes entièrement de l'avis de l'auteur, le scoutisme résulte d'une compréhension géniale des désirs et des besoins des jeunes enfants et des possibilités sociales de les satisfaire (...) Ceci dit sur le terrain plus strictement psychologique et pédagogique, nous avons à faire une réserve de la plus haute importance. Il s'agit de l'idéologie nationaliste et religieuse, ainsi que de l'illusion de fraternité des classes. Mais il conclut : Nous devons dénoncer partout l'erreur sociale de ces palabres, en nous efforçant d'adapter les principes pédagogiques de Baden-Powel aux besoins individuels et sociaux des enfants du peuple  (EP 6, mars 34, p.345). Un an plus tard (EP 17, mai 35, p.403), il rend compte d'un article de la revue Le Barrage, réagissant contre l'action nationaliste et réactionnaire des Eclaireurs pour la militarisation de la jeunesse et la préparation physique et psychologique à la guerre. Cela ne l'empêche pas de tirer parti de l'expérience du scoutisme. Ainsi, parlant d'un livre sur les jeux (EP 4, nov.34, p.97), il écrit en pensant aux masses d'enfants qui croupissent dans les villes, manquant d'espaces libres, trop mêlés et trop tôt à la civilisation qui impose ses déformations regrettables. Ces enfants-là ont besoin d'autres jeux: nous mettrions au premier rang les jeux scouts pour ceux qui peuvent les pratiquer - non pas que nous recommandions le scoutisme, on pense bien - mais il faudrait, dans les organisations ouvrières d'enfants, entraîner ceux-ci à des jeux actifs, en plein air, des jeux dans une certaine mesure créateurs, où l'imagination peut jouer un rôle prépondérant.  Un peu plus tard, tout en rappelant ses réticences sur l'esprit du scoutisme, il conseille de puiser des idées d'activités dans le journal L'Eclaireur de France  et dans le Bulletin des Comédiens-Routiers (EP 7, janv.35, p.167).
 
Dans le domaine strictement scolaire, Freinet recommande un pamphlet de Régis Messac : A bas le latin ! (EP 8, mai 34, p.457). Il oppose un livre sur le Père Girard, enseignant à Fribourg au début du XIXe s., à un autre sur l'enseignement mutuel en France à la même époque. On comprend qu'il approuve le premier d'avoir refusé d'écrire des manuels parce que "c'est ne rien comprendre à l'esprit de la méthode qui ne veut pas mettre sous les yeux des élèves ce qu'ils doivent trouver eux-mêmes. Leur donner des phrases et des règles toutes faites, c'est les dispenser de l'effort créateur et culturel de la recherche et de l'invention, c'est s'exposer à retomber dans la routine et le mécanisme de la mémoire".  A l'opposé, les protagonistes de l'enseignement mutuel affirment : "A ces enfants d'ouvriers, donnons l'instruction élémentaire. Nous les préparerons à l'habitude de l'ordre et de la subordination qui se puise dans les écoles mutuelles et se reporte dans les ateliers, mais encore, nous les mettrons en état de servir plus utilement dans l'intérieur des fabriques et de pouvoir étudier les procédés industriels dont la conservation et le perfectionnement sont si essentiels à la prospérité nationale".  Et Freinet de conclure : Si la pédagogie du Père Girard reste, par de nombreux côtés, parfaitement actuelle, on voit tout ce que cet enseignement mutuel contient de mécanique et d'antipédagogique (EP 9, juin 34, p.512). C'est sans surprise qu'on le voit conseiller la lecture du livre de Mlle Flayol sur le Dr Decroly  (EP 5, déc.34, p.119) et réagir (EP 6, p.142) à un "propos" d'Alain sur la paresse et l'effort, publié dans L'Ecole Libératrice, en écrivant : De deux choses l'une : - ou bien l'enfant sent la nécessité individuelle et sociale de l'effort que vous lui demandez. Et, s'il a un gros potentiel de vie, il saura s'y soumettre gaiement, sans que vous l'y contraigniez, - ou bien il ne comprend nullement le sens de cet effort (parce que peut-être il n'en a aucun que le désir des adultes de mortifier l'enfant, de le faire peiner, de le soumettre. Et il s'y refusera et il aura raison. Nous n'appelons pas cela de la paresse mais de la virilité. Alain continue à voir l'enfant avec ses yeux d'adulte et de professeur. La conception qu'il s'en fait changerait peut-être s'il pouvait assister au spectacle d'enfants régénérés par l'activité libre. Ce serait d'autant plus souhaitable que l'autorité d'Alain se retourne en définitive contre l'éducation libératrice, au profit de la réaction.
 
Sur un autre plan, sont-ils nombreux les bulletins pédagogiques à conseiller en 1934 la lecture des Essais de psychanalyse appliquée  de Freud (EP 6, mars 34, p.346) et surtout à consacrer trois colonnes à La crise sexuelle  de W. Reich (EP 8, p.455), trente-quatre ans avant le retour à la mode en mai 68? Citons la réaction de Freinet : Le livre de Reich nous paraît insuffisant ou même dangereux. Si l'homme, si l'enfant étaient encore à l'état de nature, la satisfaction naturelle du besoin sexuel amènerait immanquablement un état de détente salutaire. Chez les jeunes énervés, excités par l'alimentation, les lectures, le cinéma, les lumières, les couleurs, on court en effet le grave risque de voir les individus s'abandonner à la débauche sexuelle qui les "videra" physiquement et intellectuellement. Suivent des considérations hygiénistes qui évitent l'exacerbation des pulsions sexuelles. A la controverse de Reich contre le freudisme au nom du matérialisme dialectique, Freinet répond : Que la théorie freudiste ait été déformée par le capitalisme, par la mode intellectualiste d'une classe finissante, cela ne fait aucun doute ; que Freud lui-même n'ait rien compris aux théories marxistes, cela est fort probable. Ce qui n'implique pas que les théories freudiennes soient erronées, mais seulement que les chercheurs prolétariens doivent les recréer, en éliminer tout ce qui est l'abject produit du capitalisme pour en extraire les enseignements puissants qui, nous en sommes persuadés, naîtront de ces recherches.  A propos d'un récit signé *** et intitulé Puberté (Le journal d'une écolière) , Freinet écrit (EP 9, juin 34, p.516) : Nous comparons instinctivement ce livre à notre n° d'Enfantines : Maria Sabatier (ce recueil de textes de l'école du Prat, publié en juin 31, avait suscité l'inquiétude d'un militant pour la curiosité qu'il témoignait à l'égard de la maternité, inquiétude alors aussitôt tempérée par Freinet, I.E. n°44, p. 297) . Dans ces textes, écrits librement, choisis librement et imprimés, il n'y a aucune excitation anormale, aucune dépravation ; l'auteur ne sait pas comme *** qu'elle est sur le seuil de la puberté : on sent celle-ci, on comprend quel bouillonnement de vie agite cette jeune personnalité ; on devine d'inconscientes préoccupations sexuelles qui n'osent pas s'affirmer ; mais le mystère reste entier, non pas parce que l'auteur n'a su s'analyser, mais parce qu'elle se livre aussi tout entière dans sa complexité psychologique. Nous craignons que l'auteur de "Puberté" ait surtout voulu écrire un livre à scandale. Sous le couvert d'un pseudo-freudisme, on relate crément les premières aventures sexuelles d'une écolière névrosée. Freinet a su discerner lÕimposture de ce soi-disant journal dÕune écolière, nous savons que le véritable auteur était Alfred Machard, spécialiste de ce genre de littérature.
 
 Freinet revient sur le thème de la sexualité (EP 8, janv;35, p.191) à l'occasion d'un livre de Havelock Ellis sur Le mécanisme des déviations sexuelles  et réaffirme : Les spécialistes qui s'occupent, à divers titres, des déviations sexuelles et préconisent une thérapeutique exclusivement basée sur l'étude de ces déviations, négligent beaucoup trop le côté matérialiste et physiologique du problème. (...) Une alimentation naturiste, un exercice bien réglé, l'hydrothérapie auraient à coup sér fait disparaître cette obsession que l'analyse psychique est parvenue à grand' peine à canaliser. Rendant compte d'un livre de Claparède sur Le sentiment d'infériorité chez l'enfant , il relie, lui, ce problème à la libido mais approuve totalement l'auteur pour le traitement pédagogique du sentiment d'infériorité par le travail motivé (EP 11, p.264).
 
On s'attendait moins à trouver sous la plume de Freinet (EP 10, fév.35, p.240) un éloge appuyé du bactériologiste Charles Nicolle pour son livre La nature, conception et morale biologique.  Les citations qu'il en donne montrent qu'il a trouvé dans ce livre la réconciliation par la biologie du matérialisme et de la complexité : Ch. Nicolle détruit radicalement l'argument de ceux qui attribuent à la nature un but et un sens, et des voies pour la marche vers ce but. La nature est illogique et souvent monstrueuse; ses plus belles réalisations sont filles du hasard généreusement dispensé. Mais une grande loi paraît dominer toute l'évolution humaine : l'équilibre général de la vie, auquel doit répondre l'équilibre naturel individuel. Conception que nous avons senti instinctivement, tant au point de vue pédagogique que naturiste. (...) Quelle sera alors l'attitude sociale devant la nature? La grande loi, on l'a deviné, sera la recherche de l'équilibre : l'injustice est un déséquilibre que tend à rétablir l'injustice. "Le sentiment du beau n'a point une origine différente. Il nous instruit de l'harmonie. Qu'est l'harmonie sinon la marque sensible de l'équilibre? Le plaisir que nous en éprouvons est une loi biologique, l'émotion de nos sens conquis et satisfaits. Dans le domaine de la vie il n'est point de dogmes, pas même de vérité : il n'est que des états provisoires et fragmentaires. Vie, beauté, vérité évoluent, changent en même temps. Et, comme le bien se lie au sentiment de la justice, l'ensemble de ces intérêts les plus nobles de notre esprit, se confond avec le besoin, la recherche et l'amour de l'équilibre, donc avec la santé, la norme même de notre être."  L'enthousiasme de Freinet marque sa rupture avec la logique mécaniste, souvent présentée comme la seule voie du rationalisme, et son passage vers une logique du vivant, apparemment moins systématique mais plus rigoureuse s'agissant des problèmes d'éducation et de santé.
 
Une coopérative dynamique
 
Malgré les turbulences de l'année 32-33, le bénéfice d'exploitation est inespéré. Le problème est maintenant de pouvoir satisfaire les demandes de sympathisants nouveaux. Pour faciliter sa trésorerie, la CEL écarte le choix d'emprunter à la Banque des Coopératives et lance auprès de ses 500 adhérents un emprunt par actions de 50 F, avec intérêt de 5 %. Quelques mois plus tard, 300 ont été souscrites, soit 15.000 F. En apprenant la mise en liquidation judiciaire de la banque coopérative, les militants se réjouissent du choix opéré, car la CEL aurait pu tomber sous la coupe de l'Etat, ce qui dans le contexte du moment aurait été dangereux.
 
Le bilan de fin d'année scolaire 33-34 est encourageant pour les abonnements. Alors que le bulletin L'Imprimerie à l'Ecole  était passé, entre 1927 et 1932, de 200 à 500 abonnés, L'Educateur Prolétarien  a atteint 800 en moins de deux ans. Devant ce succès, on décide que le bulletin deviendra bimensuel en 34-35 (20 n° de 24 p. contenant chacun un encart de 4 fiches documentaires). La Gerbe, devenue bimensuelle depuis un an, compte 2.200 abonnés; il en faudrait 500 de plus pour son équilibre. Les textes envoyés par les classes sont publiés en rubriques : histoires d'animaux, contes, poèmes, jeux à construire, enquêtes documentaires et, sous le titre "autrefois", des récits de traditions, coutumes, des documents d'archives. A signaler également une sorte de feuilleton collectif : un personnage imaginaire appelé Gris-Grignon-Grignette, sorte de fouine qui parle, dont les aventures varient d'une région à l'autre, selon les enfants qui prennent le relais de l'histoire.
 
Pour les éditions, le problème du stock crée un déficit, assez léger pour les collections BT  et Enfantines, plus lourd pour l'édition sur carton des fiches documentaires FSC. Cela amène à ralentir le rythme de parution de nouvelles BT et à proposer, jusqu'au numéro 22*, des brochures qui sont en fait des recueils de fiches précédemment parues dans le FSC.
 
*Après la guerre, ces recueils de fiches étant épuisés, Freinet réutilisera les n° pour de nouveaux titres, ce qui explique l'anomalie des dates de première parution (par exemple, la BT n° 5 Le village kabyle  est publiée en juin 48 alors que le n° 6 Les anciennes mesures   date d'avril 34).
 
Néanmoins, les difficultés n'empêchent pas de nouvelles éditions : la Chronologie d'histoire de France (oct. 33), le livre d'Elise Freinet : Principes d'alimentation rationnelle  et une brochure sur La gravure du linoléum  (fév. 35). Freinet publie une version refondue de ses deux livres L'imprimerie à l'école  et Plus de manuels scolaires, d'abord en n° spécial du bulletin, puis en livre en y ajoutant des photos hors texte.
 
En octobre 34, a été proposée une version tout métal de la presse d'imprimerie.
 
Afin de faciliter le fonctionnement des prêts de films et de disques, des filiales départementales se sont créées dans l'Allier et les Pyrénées-Orientales. 
 
Depuis octobre 34, l'adresse de la CEL est transférée à Vence, car Freinet habite maintenant dans sa petite maison au quartier du Pioulier. Le local et les employés restent à Saint-Paul pendant quelques mois, jusqu'à ce qu'un autre local plus proche soit trouvé (sur la place de la mairie de Vence). Freinet n'aura plus alors que quelques kilomètres de déplacement pour aller y travailler.
 
Rayonnement international du mouvement
 
On assiste au développement de mouvements de l'Imprimerie à l'Ecole en Belgique (création de la coopérative belge, EP 5, fév.34, p.242) et en Espagne (participation de Freinet à l'école d'été de Barcelone, EP 1, oct.33, p.16 ; création du bulletin Cooperacion, EP 12, avr.35, p.273).  En Norvège, certains enseignants syndicalistes s'intéressent vivement au journal scolaire (EP 6, mars 34, p.300).
 
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