les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Un couple
Un mouvement
Une nouvelle approche du travail
et de léducation
Les Freinet
Simple et efficace, chaleureux et profondément humain, Freinet, soutenu par Elise, est reconnu comme un leader naturel du Mouvement.
Les joies ressenties à la suite de la venue de Freinet dans ma classe où il était resté tout un après-midi, sentretenant avec nos petits pensionnaires qui se pressaient autour de lui, buvant littéralement ses paroles, sa chaleureuse présence, la simplicité de son langage en parlant de nos bêtes, nos fleurs, enchantaient ces jeunes enfants échoués dans notre établissement à la suite de labandon des parents, du danger moral auquel ils avaient été soustraits. Demblée, ils savaient quil les comprenait parce quil les aimait.
Jaurais voulu dire le bonheur que jai eu de rencontrer cet homme qui, pour moi, fut celui qui incarnait le mieux lhomme de la tolérance, de la coopération et de la fraternité internationale (...)
Jaurais tant et tant de faits à rappeler... Mais les mots ne viennent pas sous ma plume ou restent au secret dans
mes petits tiroirs, tels des trésors.
Francine Gouzil
Jai souvent pensé au Congrès de Brest en 1965, durant lequel, en charge des activités des enfants des congressistes, jai vu Freinet leur faire une visite, se pencher sur leurs occupations, les questionner, répondre à leurs questions, tout simplement, sans paternalisme: la relation humaine dans sa plénitude!
Marie-Louise Donval
Disposant dun moment de liberté, je métais rendu au stand de la documentation. A lentrée de la salle, des panneaux accrochés au mur attirèrent mon attention. Il sagissait des «Invariants pédagogiques». Sans prêter attention à lassistance présente, je relevais des notes dans mon carnet quand, soudain, une main se posa sur mon épaule. Me retournant soudainement, je me trouvai face à face avec lhomme à limperméable beige. Sa présence fit sur moi une forte impression. Je ne savais quoi dire, je ne disais rien. Jeus tout à coup un grand battement de cur car je devinai que jétais face à Freinet, celui que je souhaitais tant connaître. Avec le sourire, et dune voix grave, il me questionna sur ma formation, mes premières tentatives dans ma classe. A la fin de lentretien, il se dirigea vers une table sur laquelle étaient disposés des documents, prit un petit livret, une «B.E.M.», me la remit et me dit:
«Tu as du temps devant toi, mon petit, continue sur cette voie, mais noublie pas quil faut aller lentement, mais sûrement».
Il mabandonna puis se dirigea vers le groupe qui lat
tendait.
Abdelkader Bakhti
Au Congrès de Nantes, en 1957, où nous sommes allés aider à tenir un stand syndical, installé dans un couloir, arrive vers nous un petit homme à lépaisse chevelure grisonnante qui parle avec un fort accent méridional:
«Tu peux venir maider à porter cette table?»
Cest Freinet, pas du tout comme on se létait imaginé après létude de quelques-uns de ses écrits à lEcole Normale, pas un ponte en cravate et en costume comme tous ceux quon pouvait voir défiler sur les estrades publiques, syndicales, politiques ou autres, portant sur eux et avec eux, dans leur serviette de cuir, la gravité de leur haute responsabilité, non, cest un homme tout simple, participant à toutes sortes de tâches matérielles, à qui on sadresse comme à un bon copain, sans ostentation, ni respect formel.
La surprise au cours des séances plénières du congrès est encore plus grande. Freinet souvent assis au bord de la scène, les pieds ballants, invite les participants à venir parler. Il décèle dans la foule tous ceux qui en ont envie et les interpelle:
«Je te vois tagiter, toi, là-bas...Tu as quelque chose à nous dire... Viens un peu ici quon técoute».
Et le camarade se déplace et prend la parole, sans solennité, sans cérémonie, sans formalité.
Guy Goupil
En janvier 1945, Freinet vient me chercher à Laragne pour diriger la classe des Grands et, pédagogiquement, le centre de Gap créé pour les 85 élèves victimes de la guerre.
Ma femme non-enseignante, mais participant aux activités, dirige les quatre prisonniers allemands et cinq femmes de service. Elle est économe, infirmière et monitrice.
Freinet dirige administrativement et me fait recevoir pendant huit jours dans ma grande classe - la bibliothèque de 90 mètres carrés - cent cinquante enseignants, instits, I.P., I.A..
Ce quil y a lieu de retenir, cest le grand esprit dinitiative de Freinet. Il se procure du mobilier scolaire et de la literie au collège de Briançon, des fruits à Vallouise et toute lalimentation nécessaire. Il trouve des poêles allemands, la chaudière et les radiateurs nous ayant lâchés en plein hiver avec neige. Il fait preuve dun esprit dorganisation remarquable, aidé par Elise.
Tous les deux, travailleurs infatigables sont durs pour eux et un peu pour les autres.
Marius Pourpe
Je ne peux pas dissocier le souvenir de Freinet de celui dElise, mais je les ai connus plus familièrement quand, en 1947, Elise ma demandé daller, pendant les mois de vacances, assister au tournage de «LEcole Buissonnière». Il se trouve que javais alors une équipe denfants un peu habitués aux jeux dramatiques.
Et nous sommes donc partis, un soir, par le train, avons voyagé toute la nuit et débarqué à Nice, puis à Vence. Nous étions une douzaine, y compris mes quatre enfants âgés de 4 à 12 ans. Le tournage se déroulait à Saint-Jeannet et toutes les matinées de travail, on venait nous chercher à lécole du Pioulier, en jeep, le plus souvent, et nous roulions très vite par les chemins étroits et caillouteux.
Un de mes anciens élèves, maintenant grand-père, se souvient avec émotion de ces kilomètres parcourus aux côtés du grand acteur disparu, Bernard Blier, alors tout jeune et juste libéré de son camp dAllemagne.
A chaque virage, beaucoup trop vite engagé, il étendait le bras devant le buste du petit pour le protéger, escamotant ainsi les secousses dangereuses... Le petit - cétait toujours lui qui était choisi - pense à ce geste de grand frère avec attendrissement et, bien sûr, Bernard Blier ne sest jamais douté quil donnait, ces matins-là, une magnifique leçon de sagesse et de générosité... avec les noisettes quil tirait de ses poches.
Moi, jétais aux côtés dElise, aussi, dans notre jeep. Elle me confiait alors quelques pensées émouvantes et des souvenirs à la fois très chers et difficiles. Par exemple, celui qui avait motivé la création de la jolie «Enfantines»: «Six petits enfants allaient chercher des figues».
«Tu te souviens, me disait-elle, quà la fin de la promenade, un de ces tout-petits se plaint dun grand mal au ventre parce quil avait mangé trop de figues chaudes. Eh! bien, ce mal au cur, cétait le mien. Voilà: le matin, il était arrivé de Paris, un camarade aquafortiste comme moi. Il me dit:
«Tu dois venir et me suivre à Paris. Notre meilleur graveur est parti. Nous ne voyons que toi pour le remplacer.»
Elise ajouta:
«Tu sais, Cécile, ce nétait pas ce petit garçon trop gourmand qui était malade... Cétait moi... car javais répondu en tremblant au camarade:
«Retourne à Paris ; moi, je reste avec Freinet.»
Et javais rassemblé cinq ou six petits et jétais partie avec eux dans la campagne de Vence, comme on se sauve.»
Un autre épisode a marqué pour moi la personnalité de Freinet: javais amené dAugmontel, Cosette, une fillette de douze ans, remarquable en jeu dramatique. On lui a donné aussitôt un petit rôle ; et on la voit effectivement dans le film.
Chaque soir, quand léquipe se disloquait - les enfants (Freinet en avait amené de Marseille) et les dirigeants - le jeune assistant du metteur en scène sapprochait de Cosette et lui baisait le bout des doigts. Jugez de la stupéfaction et presque de la honte de cette petite paysanne plus habituée à soigner les cochons et les vaches quà analyser la pratique du baise-main.
Le dernier soir, après les adieux aux acteurs, cet assistant sapprocha de Cosette et lui proposa de lamener à Paris pour faire du théâtre.
Cosette a pâli sous cette offre et elle a reculé, horrifiée à cette perspective et, sapprochant de moi, elle me cria:
«Non, non, Madame! (Les enfants mappelaient Madame comme on dit maman ), non, Madame, ne me laissez pas partir...»
Et elle pleurait denvisager ce départ insensé.
Le metteur en scène, désappointé, voulut sans doute sexpliquer:
«Mais enfin, pourquoi? Pourquoi refuser de monter à Paris où tout est si beau et si facile?»
Et Cosette, se serrant contre moi, bouleversée:
«Non, non, Madame, ne me laissez pas partir.
- Bien sûr que non, naie pas peur, je nen ai pas le droit, je ne suis pas ta maman. Je nen ai pas la permission.»
Freinet était de plus en plus réjoui par cette scène ; et il se tourna vers Cosette pour lui dire:
«Mais pourquoi tu ne veux pas aller à Paris?»
Alors Cosette, le regard noyé de larmes, sécria:
«Non, non, je ne veux pas partir parce que je me languirais trop de mes vaches!»
Cest alors que Freinet éclata franchement de rire et, radieux, sécria:
«Tu vois, vous, les gens du cinéma, vous vous croyez le nombril du monde et cette petite vous préfère ses vaches. Ah! elle est bien bonne celle-là! Très bien, Cosette, je te félicite, retourne à Augmontel, va à lécole et, après, tu verras.»
En définitive, quel enseignement tirer de ces deux anecdotes qui paraissent si anodines, surtout la deuxième.
Pour ma part, la première me confirme ce que je pressentais depuis toujours: Elise et Freinet formaient un couple très uni, malgré les dissemblances apparentes. Cétait un couple damoureux, et qui le resta jusquà la fin. Celui des deux qui était visé par le sort contraire acceptait dignement en serrant les dents et cest ce qui explique le nombre et la puissance de leurs «inventions» bouleversant lenseignement primaire des enfants du peuple et la réussite de leur Mouvement, malgré labsence dargent, labsence de tout soutien venu «den haut».
Quant à la deuxième, elle me confirme que Freinet était avant tout un homme ennemi des apparences, des faux-semblants, des modes.
Il était droit, courageux dans ses opinions, très bon, - bien sûr, les exemples ne manquent pas -, grand ami des enfants, des pauvres, des mal-aimés ; il était surtout un «croyant» de la terre, des saisons, des arbres, des animaux, des sources, de la montagne... en un mot, il était celui qui écrira: «Les Dits de Mathieu».
Cécile Cauquil et sa fille Françoise
Cest sur les marches de lédifice où venait de se prendre la photo de groupe que nous nous présentâmes à lui. Freinet était la gentillesse, la simplicité même. Je fus frappé par lintelligence de son grand front et par lair de bonté de son visage. Il était lanti-hiérarchie, mais la force qui émanait de sa personne en faisait, malgré lui, un leader naturel.
Dans les plénières, Freinet, col de chemise largement ouvert - alors que tous les instituteurs portaient la cravate - parlait si simplement, si éloquemment et avec un tel accent de conviction quon ne se lassait jamais de lentendre et de lapplaudir longuement, très longuement, tant nous étions heureux des perspectives infinies quil nous révélait.
Jeannette Le Bohec
Jaimais la spontanéité de Freinet. Et réciproquement, peut-être! Je retiendrai la capacité de Freinet à partager les joies et les soucis de chacun. Il connaissait le travail fait en classe, mais aussi les autres activités des camarades.
Lors de la soirée inaugurale du Congrès dAix-en-Provence, je le revois, assis sur la scène, marchant, donnant les dernières nouvelles tout en saluant les arrivants. Me lançant, avec sa bonhomie coutumière et un large sourire:
«Alors, Gente, ça marche toujours ce basket?»
Je revois beaucoup de moments chaleureux, vécus à Vence notamment où Prévert et Verdet venaient parfois nous rejoindre.
André Gente
Après 28 h de voyage, je me suis retrouvée à Paris que javais quitté en 1947. Jétais si heureuse de me retrouver en France, après 11 ans, que javais envie de chanter. Lautobus ma emmenée à lINRP, rue dUlm, où était le centre du congrès. A la conciergerie, jattendais Freinet à qui lon avait téléphoné pour lavertir de mon arrivée. Bientôt, il était en face de moi. Un homme de taille moyenne, bien bâti, visage hâlé, les cheveux bruns commençant à blanchir, une bouche généreuse sous une courte moustache. Les yeux bruns très gais aux sourcils touffus mont regardée amicalement avec un brin de curiosité.
Il a pris mes mains entre les siennes, chaudes, fortes, rassurantes, et avec un accent provençal, il ma dit:
«Alors, vous voilà, Madame ma correspondante!»
Il ma demandé si jétais fatiguée et, dans ce cas, je pourrais me rendre à lhôtel où une chambre métait réservée, car il devait rester jusquà la fin du travail, à lexposition de lArt Enfantin. Jai répondu spontanément que je préférais aider les copains. Je pense que ma réponse lui a fait plaisir, car il ma pris dans ses bras comme quelquun de très proche et, depuis ce moment-là, il ny a plus eu de Madame Semenowicz mais, tout simplement, Halina.
A Cannes, en fin juillet 62, Freinet ma reçue cordialement comme un membre de la famille. Cétait midi. Après le déjeuner, il avait un peu de travail au bureau et je me reposais au jardin. Vers quatre heures, Freinet ma installée dans sa voiture et nous sommes partis vers Vence. Pendant les deux semaines suivantes, je faisais avec Freinet ce trajet, matin et soir, tous les jours, sauf le dimanche, et je ne cessais pas dadmirer sa façon de conduire avec jeune bravoure et mûre expérience. Ces voyages étaient pour moi une inappréciable occasion de discuter avec Freinet sur de multiples problèmes: éducatifs, politiques, historiques, familiaux. Il suivait assidument les changements qui saccomplissaient dans tous les domaines, et surtout en éducation. Il était au courant de toutes les découvertes techniques, audio-visuelles etc... et sen servait largement pour sa préparation des outils scolaires. (...)
A ce moment, il y avait une colonie denfants de 7 à 12 ans et, pendant les repas que nous prenions avec eux, le matin et le soir, je pouvais observer les relations de Freinet avec les gosses. Ils lappelaient Papa Freinet. Comme il savait écouter les histoires, les plans et les vux de ce petit monde!
Cétait dailleurs un trait caractéristique de sa personnalité: il écoutait avec la même attention et respect les paroles des jeunes enseignants, des pédagogues expérimentés ou illustres, des ouvriers, des paysans ou des enfants. Il nessayait jamais dimposer ses opinions, mais plutôt déveiller la réflexion chez ses interlocuteurs.
(...) Freinet se reposait dune façon extraordinaire, il sendormait debout, le dos appuyé au tronc dun arbre et, après dix minutes, séveillait gai et prêt à reprendre le travail.
Pour complèter le portrait de Freinet, il faut ajouter quil était très laborieux. Se levant très tôt le matin, il écrivait ses livres et ses articles.
En élaborant la bibliographie «Célestin et Elise Freinet -1920 - 1978» éditée par lINRP en 1986, jai trouvé les titres de 12 livres, 138 brochures B.E.N.P, B.E.M. et 1540 articles.
(...) Ce qui me frappait le plus chez Freinet, cest son ardeur agissant comme un flambeau qui embrasait tous ceux qui lapprochaient.
Et cest comme ça quil restera toujours présent dans ma vie.
Halina Semenowicz
A la télé, les films sur linstit se réclament de notre pédagogie et les prétentieuses réformes de lE.N. narrivent pas à naître clairement, sembrouillent parce quelles ne sont pas naturelles.
Ah! le sourire de Freinet! Sil était là avec ses jugements simples, clairs et tellement naturels, réalistes.
Ja Majurel
Ceux qui lont connu gardent précieusement la mémoire de lhomme quil était. Comment oublieraient-ils tout ce dont ils sont redevables à sa pensée, et aussi à son amitié? Ceux quil a comme moi-même à plusieurs reprises accueillis tant à Vence que lors des congrès annuels, conserveront et transmettront le souvenir de cet homme dont la parole était aussi belle par son intonation et son rythme que par son style, dont la réflexion était aussi étonnante par sa clarté que par sa perspicacité, dont le regard était aussi remarquable par sa bonté que par sa vivacité et dont la personne était aussi respectable par sa chaleureuse simplicité que par son prestige et son courage.
Guy Avanzini
Comme tout être de forte conviction, il attirait. Dans la vie, on flotte souvent sans bien savoir où se poser. Et quand on rencontre quelquun qui semble vraiment savoir où il veut aller, on lui emboîte volontiers le pas. Ce pourrait être dangereux. Et cela la souvent été dans lhistoire. Mais, en la circonstance, nous étions tranquilles. Si nous avons participé à son combat, cest parce que cétait aussi le nôtre. Et lorsque nous jetons maintenant un regard en arrière, nous navons rien à regretter de ce qui sest passé. Dautant plus quil avait su se démarquer à temps des dogmatismes.
Cétait un «camarade» un peu plus âgé, qui avait connu de grandes difficultés dans la vie et avait donc une grande expérience. Mais cétait un compagnon toujours accessible qui tendait à nous faire croire que nous étions à son niveau. Il disait même - et ce nétait pas par coquetterie - quil nétait quun instituteur moyen et quil voulait participer à lélaboration de matériel et de techniques pour des instituteurs moyens.
«Jai toujours dit quil existe dans lenseignement une infime minorité déducateurs de race qui réussissent mieux que nous avec nos techniques, et cela avec une adaptation des anciennes méthodes ou tout simplement sans méthode.
Ce nest pas pour eux que nous parlons ou écrivons, mais pour la masse des 99,5 % des instituteurs qui nont ni les possibilités, ni les dons de ces éducateurs délite. Pour cette masse, dont nous sommes, il nous fallait trouver des principes, des outils et des techniques qui leur permettent dobtenir avec plus dintérêt, et donc avec moins de peine, un rendement plus efficace.» (Lettre du 5 /11 /61.)
Mais Freinet nétait pas seul. Sans Elise, le Mouvement de lEcole Moderne se serait-il développé aussi harmonieusement? Elle était en relation dialogique avec Freinet, cest-à-dire: complémentaire, contradictoire et opposée. Et cest cette dialectique, cette unité des contraires qui a permis au mouvement de se développer.
Freinet était dorigine paysanne. Il était essentiellement pragmatique. Il ne sengageait jamais dans une voie qui ne conduise à la concrétisation de laction et de lefficience. Sa parole, son activité avaient toujours pour fin un acte nécessaire et utile. Et cest cet engagement qui la rendu si grand.
Elise était fille denseignant. Elle appartenait à la classe moyenne. Son horizon culturel était très ouvert. Cétait une intellectuelle et, plus encore, une artiste.
Cette prédisposition ne lempêchait dailleurs pas de soccuper des questions matérielles quand cétait nécessaire.
Son champ principal dactivité était lexpression et la créativité, cependant que Freinet sintéressait surtout à la communication, à létude de lenvironnement, à lorganisation coopérative de la classe... Au cours des années, ils sont restés par nature distincts lun de lautre. Mais ils ont travaillé à une recherche de vérité et defficacité en sappuyant lun sur lautre.
Edgar Morin dit quun tourbillon ne se crée et ne survit quà la rencontre de deux flux de sens opposés.
Le Mouvement sest construit au départ sur le «tourbillon» du couple Freinet. Puis, il sest agrandi dautres tourbillons sur les plans national et international.
Grâce à Elise, lintensité, lextension de lexpérience, les magnifiques résultats obtenus en art enfantin ont permis de confirmer la justesse de la théorie de Freinet sur le tâtonnement expérimental et sur lapprentissage. Renforcés par cette expérience réussie, nous avons poursuivi avec encore plus de détermination nos recherches dans les autres domaines.
Mais rien de ce qui précède ne sest fait tout seul. Pour toute autre personne quElise, la difficulté serait apparue insurmontable. Comment a-t-elle pu croire que, malgré le vécu artistique médiocre des enseignants de ce temps, il ait pu subsister chez certains quelque lueur non encore éteinte? Durant notre scolarité, le souci de lart - et encore moins celui de lart libre - nexistait pas. Et cétait avec ces personnes en friche quil fallait mener la bataille indispensable! On ne peut imaginer la somme des initiatives quElise a dû prendre. Son rôle déterminant en cette affaire ne saurait souffrir aucune contestation.
Mais sa fonction critique est plus difficile à cerner. Elle a été le témoin constant de Freinet. Il pouvait sappuyer sur une critique de totale sincérité. Après quoi, il se déterminait en toute responsabilité.
Aussi, on ne saurait parler dune pédagogie Elise à côté dune pédagogie Freinet, mais dune tendance Elise avec une dominante artistique.
Aujourdhui, cette dimension que nous avons par trop négligée, devrait reprendre davantage droit de cité dans lécole et la société. Et cest le meilleur de ce que nous avons à offrir à nos enfants et à nos adolescents dans notre époque si déboussolée.
Paul Le Bohec
Pendant une bonne partie des années 50, en compagnie de mon ami Victor Pastorello (hélas! décédé), grande figure varoise du syndicalisme et de la pédagogie Freinet, parfois renforcé de la présence de François Simian, jai assumé, chaque année, la tâche de «commissaire aux comptes» de la C. E. L.
Arrivés en milieu de matinée à Cannes, nous nous rendions au Suquet où se trouvaient alors les locaux de la C. E. L. - et la fameuse table!- et où nous attendaient lexpert-comptable et Freinet.
Et là, comme aujourdhui lordinateur débite les données quon lui a fait engloutir, Freinet nous dévoilait les secrets de la Coopérative: trop grande abondance des stocks, déséquilibre des résultats, ce qui rapportait (B. T., Educateur...), ce qui coûtait (production de matériel pédagogique...), nécessité demprunt, etc... Tout était fiché dans sa tête et, en gros, bien sûr, il connaissait les balances de chaque chapitre, prévoyait avec justesse les rentrées et sorties dargent, lévolution des ventes et de la production, bref, se conduisait en parfait gestionnaire. Il sagissait tout de même dune entreprise dont le chiffre daffaires débordait le milliard de francs de lépoque. A méditer.
Lorsque nos camarades italiens pratiquant les techniques Freinet décidèrent de tenir Congrès dans la petite république de San Marino, nous jugeâmes, MmeJardin et moi-même, opportun de nous y rendre. Le voyage saccomplit sous une pluie battante. A Savone, peu avant Gênes, sous un véritable déluge, japerçois au bord dun trottoir,- oh! surprise!, Célestin Freinet soi-même! Du coup, halte.
- «Que tarrive-t-il? Que se passe-t-il?
- Nous venons davoir un accident de voiture, nous répond Freinet.
- Grave?
- Pas pour les personnes. Mais la voiture nécessite un passage chez le mécanicien et nous ne laurons pas avant demain ou après demain.
- Que faire? Nous temmenons?
- Non. Nous retournerons, Baloule et moi, à Vence dès que possible. Mais toi, tu vas à St Marin? Eh bien! tu me remplaceras là-bas.»
Et voilà comment nous fûmes reçus à San Marino avec honneurs et déférence, gratuitement logés et très sollicités pendant tout le séjour. Mais je dus me refendre de quelques discours officiels. Et nos amis italiens, à lévidence, ont beaucoup perdu au change...
Raymond Jardin
Il nest pas question de donner le vade-mecum du parfait disciple de Freinet. Freinet ne fut jamais le gourou à la parole indiscutable (...)
Au congrès qui suivit le décès de Freinet, le président de la C.E.L. demanda la traditionnelle minute de recueillement «après la perte dun père que Freinet avait été pour nous tous». Cela magaça car, pour moi, Freinet na jamais été un père, quil aurait pu être vu son âge ; il a été laîné à lécoute du plus jeune quil encourageait à toujours pousser plus loin sa réflexion, son action. Freinet, avec ses élans et ses erreurs, dans sa pratique et ses convictions, menant une permanente expérimentation et nous entraînant sur le chemin où il allait en éclaireur, nous apprenait à aiguiser notre attention, éveillant notre lucidité, soutenant notre réflexion pour mener à bien notre travail déducation, pour les enfants de nos classes, mais aussi éducation de nous-mêmes.
Freinet ma aidé à être un instituteur lucide, lesprit toujours en éveil, praticien lucide en même temps que citoyen lucide: citoyen, car il y eut toujours, avec lui, le sens du collectif dans la solidarité.
Fernand Lecanu
En 1962, le premier congrès de Caen me donna loccasion de connaître Freinet. Jappréciai tout de suite sa simplicité, son enthousiasme, ses relations avec les congressistes, et je compris que lesprit de sa pédagogie correspondait à ce que je recherchais: ouvrir la classe sur la vie, établir des relations adulte-enfants et non maître-élèves. Dès lors, je minvestis davantage dans les techniques quil préconisait. Ma première vraie rencontre avec Freinet eut lieu en 1965, au congrès de Brest. Ayant appris que jexerçais alors dans une classe de Transition, classes qui venaient dêtre créées, Freinet me rencontrant dans un couloir, me prit par lépaule et me demanda de venir parler avec lui. Moment de surprise et aussi démotion: Freinet, pédagogue connu dans le monde entier, sadressait à moi, jeune instituteur sans beaucoup dexpérience! Lentretien porta sur la pédagogie de groupe que je pratiquais, sur les difficultés que je rencontrais ; il me donnait son avis, me conseillait, sinterrogeait sur la pédagogie à mettre en uvre avec ces enfants nayant pu, ou nayant voulu, entrer en classe de sixième.
Pierre Legot
Dès 1948, jentrai en contact épistolaire avec Freinet, que seul sa mort a interrompu. Nous discutions en toute franchise de toutes les questions de politique, de religion, des opinions humaines et professionnelles, des expériences. Quoique notre première rencontre neut lieu quen 1956 au congrès de Bordeaux, je profitais très largement des conseils de Freinet qui avait le même âge que mon père.
Hans Jörg
Le chemin du Pioulier tourne et vire pas mal entre les champs en pente, dillets et de roses. Michel, mon mari, conduisait journellement autos et gros véhicules dans les rues de Marseille. Pourtant, jamais je ne lai vu aussi saisi que quand Freinet était au volant de sa 403 - Tournants, carrefours... quel Fangio cétait!
- «Mais, Freinet? Comme vous y allez!
- Oh! répondait Freinet, je connais tous ces coins, tu sais alors...»
(...) Freinet avait une vue profonde et juste de ces «fonds secrets» de chacun, si différents, mais si prometteurs.
Qui ne la pas vu, lair de rien, dire à celui qui parlait avec faconde: «Toi, là-bas, qui parles si bien des choses, tu peux peut-être réunir ceux qui aimeraient bien voir ta classe, tes inventions, tes créations....»
Mais à celui qui arrivait les bras chargés de feuilles des enfants, et doutils de sa fabrication et de bandes enregistrées....
- «Toi là-bas, qui te caches derrière le pilier, avec tes richesses, si tu nous expliquais un peu..., sous entendu: le pourquoi et le comment...».
Jai toujours admiré cette incitation pleine dattention, et souvent avec un brin daffectueux amusement. Jai toujours pensé que Freinet avait dans la queue de lil, la même malice que Brassens.
Cette considération que Freinet avait de lautre nous touchait. Son respect de toute vie, sa disponibilité éclairaient propos et gestes... Cétait bien au delà de la substantifique moelle de la pédagogie.
Paulette Quarante
Jai pratiqué un peu la correspondance et très timidement. En 1952-1953, jai parlé à Freinet de quelques contacts avec la Chine - la reconnaissance diplomatique date de 1964 -. Peu de temps après, une circulaire mapprend que je suis responsable des contacts avec la Chine. Pas moins!!
François Fergani
Jobserve que les Sciences de lEducation ont très souvent redécouvert, avec leurs outils, leurs méthodes, leurs mots un peu savants ce que les praticiens-chercheurs de lE.M. et de sa mouvance mettent en uvre quotidiennement dans les classes depuis des décennies. Citons au hasard: «la dictée à ladulte!», fondement de la méthode naturelle de la lecture / écriture ; «la situation-problème», base de lappréhension expérimentale et tâtonnée, par lenfant, du complexe, autrement dit, de la vie du réel ; «lévaluation formatrice!» qui fait appel à lauto-correction, lauto-évaluation par lenfant de son travail et de ses acquis. Célestin Freinet, lui, osait théoriser dans une langue populaire. Il abusait de la métaphore pour le plus grand plaisir du lecteur, mais parfois, bien sûr, au détriment de la rigueur de la démonstration ; il appuyait toutes ses théories sur des observations que chacun pouvait faire et sur sa pratique professionnelle dinstituteur. Pire encore, plutôt que de tirer profit de ses découvertes théoriques et techniques, il consacrait une grande part de son énergie et de ses moyens financiers à en faire bénéficier les autres qui plus est, sous forme mutualiste et coopérative... Bref, voilà bien quelquun qui nentrait pas dans les règles du jeu de la recherche universitaire. Et comme, de surcroît, il était porteur dun projet social et politique lamenant à dénoncer vigoureusement tout ce qui lui semblait contraire au bien de lenfant, il nen fallut pas plus pour que leffet boomerang se fasse sentir...
Nayant plus cours la dernière semaine de juin, je continuai à mimprégner concrètement de lesprit et des techniques Freinet à lEcole du Pioulier où je fus rapidement mis en situation dintervenant, dailleurs. Jeus également le plaisir de rencontrer Célestin Freinet qui maccorda un entretien. Si trois décennies ont rendu incertain le souvenir de la teneur de léchange, je me rappelle en revanche très facilement lhomme chaleureux dont la simplicité contrastait avec la grande richesse intérieure. Javais aussi été marqué par sa fatigue et ses difficultés respiratoires. Mais jétais surtout heureux de savoir que cet échange allait être suivi de nombreux autres, dès lautomne. Cest en tout cas sur cette perspective que nous nous étions quittés. Hélas, la Camarde en décidera tout autrement, le 8 octobre.
Jacques Jourdanet
Le 8 avril, mon fils est mort. Et là je voudrais insister sur le côté humain inégalé de Freinet et dElise. La pédagogie cest une chose. Mais, dans chacune de leurs lettres, ils trouvaient, le temps dun paragraphe très affectueux, le moyen de dire bonjour à ma nièce, à M. Champagne, le maire, de parler du chat de la maison, dévoquer la personnalité de mon frère... Et, bien sûr, à loccasion de nos deuils ou de nos ennuis, nous avons eu des lettres personnelles de Freinet et dElise qui montraient un cur formidable. Cest sans doute ce qui ma enchanté le plus chez Freinet et Elise, et ce qui peut-être a marqué le plus les gens, cette part daffectif qui faisait de nous un mouvement très particulier. Cest toute une époque. Pour moi cette affectivité a joué un rôle considérable. Ce qui na plus été le cas dans les générations suivantes.
René Hourtic
Freinet aurait pu nécrire que des livres, en autodidacte de génie quil était, exposant dans un style dailleurs excellent, où lanecdote si proche parfois de la parabole éclaire la pensée, ses observations, déductions, généralisations. Il serait un des nombreux théoriciens, et non des moindres, dont nous ne savons pas faire fructifier lhéritage. Il a préféré être maître-duvre, chef détudes et chef datelier dun vaste chantier de pédagogie.
Il parlait, loin devant nous, en visionnaire, puis revenait vers les infirmes que nous sommes, nous tendait une main secourable, nous invitant à le rejoindre, et suscitant la création, lutilisation, lamélioration, la modification constante des outils de travail, leur adaptation jamais achevée à un monde en perpétuelle mutation.
Et des tâtonnements, des essais répétés, des discussions, échanges, de toute cette vie coopérative bouillonnante, naissaient chaque jour des progrès.
Freinet nous a donné, en le motivant, le goût du travail coopératif et de la vraie culture.
Il a tissé un réseau damitié dans le travail (aller ensemble vers un but commun) entre des milliers denfants et éducateurs du monde entier.
Peu dhommes ont été, plus que Freinet, fidèles à leur idéal. Il nous laisse un héritage prestigieux. Pour terminer, je citerai Mr Vial: «Freinet est mort. Il est des morts qui vivent, - Intensément -».
(...) Nous nous garderons bien doublier, dans cette évocation dun grand disparu, Elise, sa compagne courageuse, qui a accepté les tâches les plus humbles, les besognes les plus pénibles, les plus rebutantes, à lEcole Freinet et à la CEL pour que vive et prospère la grande uvre entreprise, Elise, lartiste au cur pur et exigeant, qui nous a initiés au merveilleux de lArt enfantin.
Une exposition artistique «Ecole moderne, Pédagogie Freinet» est un phénomène unique dans lécole populaire française et même mondiale ; un sujet détonnement, dincrédulité, un éblouissement. Cest un chant despoir, damour, de confiance en la vie et en lhomme que les servitudes dune société marâtre et trop contraignante nont pas encore abêti.
Marie Cassy
Je me suis souvent exprimé sur Freinet et je serais incapable de résumer tout ce quil ma apporté. Si je ne devais retenir quun seul point, ce serait son appui systématique sur le positif. Non pas un optimisme de façade qui aurait mal cadré avec son bon sens paysan, ni une autosuggestion volontariste répétant que tout va bien, même quand on sent que tout va mal. Il sagissait pour lui de retrouver le seul socle solide sur lequel on pourrait construire.
Je me souviens quà son école de Vence, tout jeune enseignant sans expérience(dans aucune forme de pédagogie, je devais faire face à des cas particulièrement difficiles denfants dont le parcours éducatif était déjà marqué profondément par léchec, la détresse ou le rejet. Un optimisme de principe naurait pas tenu plusieurs jours devant certaines réactions dapathie ou dagressivité qui avaient de quoi désespérer les meilleures volontés. Freinet ne nous servait jamais le couplet de «lamour des enfants», car il savait que ça ne se décrète pas et que dailleurs certains enfants sont tellement démolis quils seraient tentés de mordre ou de griffer la première main qui se tend vers eux. Il essayait de nous faire comprendre que, dans toute situation, on ne peut construire que sur le positif.
Il ne cherchait pas à nier ou à ignorer les aspects négatifs, parfois aveuglants dévidence, mais il nous disait: «Ce qui est négatif, tu ne peux rien en tirer, tout au plus éviter de laggraver. La seule chose que tu puisses faire, cest de rechercher quelques points positifs, si ténus soient-ils, tappuyer là-dessus et travailler à les développer sans te préoccuper dautre chose, sans comparer à ce que tu aurais souhaité obtenir. Et tu verras que, sur cette base, tu pourras construire quelque chose qui samplifiera et réduira progressivement la part du négatif. Tu seras parfois surpris de résultats inattendus, mais de toute façon tu nas pas dautre solution, alors nattends pas, laisse de côté tout a- priori, recherche ce qui reste positif et construis dessus.»
Il faut reconnaître que, même devant des cas très difficiles, cette démarche nous permettait dabord de ne pas désespérer nous-mêmes, de découvrir des zones positives que nous navions pas soupçonnées et de nous rendre compte queffectivement, en construisant sur elles, nous parvenions à des modifications de comportement, tant caractériel quintellectuel et scolaire, au-delà parfois de ce que nous aurions osé espérer. Certes, il serait ridicule de laisser croire à des miracles, mais tout simplement des jeunes se surprenaient à reprendre courage et confiance en eux-mêmes. Cest cette démarche vécue auprès de Freinet qui ma orienté vers les cas les plus difficiles dans ma carrière dinstituteur spécialisé.
Je maperçus ensuite que cet appui sur le positif, si faible paraisse-t-il par rapport au négatif qui le submerge parfois, était pour Freinet bien plus quune attitude éducative, mais une véritable technique de vie qui lui avait permis de surmonter des épreuves dont on a peine à mesurer lampleur: sa blessure de guerre dont seuls les intimes savaient la profondeur, les autres loubliant devant le dynamisme du «mutilé», laffaire de Saint-Paul où la violence avait atteint un degré incroyable, un internement de 1940 dans larbitraire total, les attaques les plus injustes de son parti dans les années 50. Chaque fois, alors que tant dinjustice semblait sacharner contre sa personne, au lieu de se laisser engloutir ou de senliser à lutter sur le terrain du négatif, il avait su retrouver les points positifs sur lesquels il allait reconstruire, en repartant parfois de presque rien.
On pourrait faire lapologie de son courage. Je crois plus juste de parler de la démarche réaliste quil semble avoir acquise dans lenfance. Alors que dautres auraient désespéré pour beaucoup moins, il a trouvé chaque fois la force de repartir, non pas comme auparavant, mais mieux et plus loin. Si je ne devais retenir quune seule leçon de lui, je pense que ce serait celle-là, car elle ne concerne pas seulement notre classe mais toute notre vie.
Michel Barré
Ce qui me sensibilisait particulièrement, cétait lengagement social de Freinet, indissociable de son engagement pédagogique. Javais été très émue dapprendre quil avait accueilli dans son école de Vence des petits réfugiés de la guerre dEspagne. En effet, ayant dans mon enfance accompagné ma mère, militante syndicale, à des meetings pour le soutien à la République espagnole, ce drame mavait beaucoup marquée et il était important pour moi que le couple Freinet ait payé de sa personne pour sauver des enfants. Lors de mes séjours ultérieurs à Vence, des conversations avec les voisins dorigine espagnole me confirmèrent la réalité profonde de cet engagement.
Freinet cherchait des volontaires pour encadrer la colonie de vacances de Vence pour lété 53. Cela me tentait et Michel mencouragea à poser ma candidature mais, comme jétais totalement inconnue, - je navais été que lune des nombreux congressistes de Rouen -, je lui avais demandé décrire à Freinet. Ce qui me surprit fut, en réponse, la responsabilité que ce dernier me confia aussitôt. Des petits Parisiens devaient faire le voyage de nuit et il me demanda de me charger de les prendre auprès de leur famille et de les accompagner jusquà Vence. Dès mon arrivée à lécole Freinet, jétais considérée par lui comme si jen faisais partie depuis toujours, au même titre que des camarades plus chevronnés. On navait pas à faire ses preuves avant dêtre intégré, on était immédiatement dans le bain au sein dune équipe.
Jamais je navais ressenti à ce point la confiance faite demblée, une confiance qui provoquait aussi une responsabilité que lon naurait pas voulu trahir. Je crois que cette confiance a priori quil témoignait aux enfants comme aux adultes explique quun si grand nombre ait donné sans compter le maximum de soi-même pour sen montrer digne.
Micheline Barré