les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Autoformation - Coopération - Coformation
Une nouvelle approche du travail qui bouleverse les principes établis.
Je garde pour toute la vie la découverte dun nouveau chemin pour tout le mouvement éducatif.
Je ne pourrais résumer, dans un si court espace, tout ce que jai appris et compris, les enthousiasmes et les révoltes quon y a vécus. Je dirais simplement, que je garde pour toute la vie, comme le plus merveilleux élan initiateur, la découverte de la justesse du chemin que tout le mouvement éducatif doit suivre, notre propre auto-éducation: la «dignification» du travail, en le libérant du stigmate de la «servitude» comme il est encore si naturel entre nous, pour, au contraire, le transformer en réponse aux besoins non seulement physiques mais aussi moraux et sociaux de lhomme et par conséquent la «dignification» des personnes qui se réalisent par un travail dignifiant et dignificateur.
Maria Isabel Pereira (Portugal)
Pour les maîtres, la Pédagogie Moderne a été un élément de culture. Véritables chercheurs perméables à la vie de leurs classes, ils ont mesuré devant les enfants qui montaient, la superficialité de leur propre culture. Aussi ressentent-ils ce besoin de perfectionnement et de recherche. A lencontre de nombreux maîtres que nous ne blâmons point, ces enseignants ont choisi. Cest en toute liberté quils se sont engagés au plein sens du terme. Ils ont certainement dû lutter intérieurement, douter peut-être, subir des épreuves mais qui nont point engendré la moindre amertume.
En compensation, ils se sont enrichis de valeurs fondamentales comme lengagement, lintégrité puis la compétence. Après avoir tout donné, ils ont gardé précieusement la jeunesse, le dynamisme et enfin cette joie de vivre.
Abdelkader Bakhti
Quand Célestin Freinet fit connaître ses premières réflexions sur léducation et apporta ses nouvelles solutions pédagogiques, il ne pensait certainement pas quil provoquerait des modifications importantes de comportement chez de nombreux enseignants.
Encore moins quun mouvement se propagerait pour développer ses idées. Et pourtant!
Même les enseignants non adhérents au mouvement se mirent aussi à réfléchir davantage sur leur pratique pédagogique.
Je me souviens que le jour où je décidai dutiliser la Pédagogie Freinet, en somme de prendre en compte les élèves avec leurs savoirs et leurs compétences, je me suis senti soulagé de ne plus être le seul détenteur du pouvoir et des connaissances. De ce pouvoir qui sappuyait sur des connaissances institutionnalisées et figées. Les premières situations qui établirent la vie coopérative montrèrent combien les enfants pouvaient attacher dimportance à leurs responsabilités. Jappris la nécessité de la motivation pour permettre aux élèves de découvrir leurs capacités et de prendre davantage dintérêt à leur travail. Cette motivation dont Freinet faisait souvent état dans ses écrits et ses discours, considérée à son époque comme donnée négligeable, est actuellement prise en compte par les chercheurs en neuropsychologie pour un bon fonctionnement de cerveau. Freinet prédicateur! non! Bon observateur!
Apprendre à échanger en commun, à trouver des solutions devant des difficultés, à créer, sont des démarches qui ne peuvent conduire quà la formation de jeunes ouverts à la mise en place et à la participation des démocraties du futur.
La pédagogie Freinet établit une telle demande relationnelle quelle enrichit ses praticiens. A travers les rencontres de travail, de réflexions, elle favorise la rencontre damis, de chercheurs en quête de savoirs nouveaux sur tout ce qui touche léducation et la société. Rencontres damis proches ou lointains, la Pédagogie Freinet na pas de frontières puisquelle porte en elle le respect des cultures multiples des différents pays du monde.
André Lefeuvre
Enfin il ny avait plus de hiatus entre lécole et la vie. On essayait de bâtir le travail sur les intérêts et les questions des enfants, le métier devenait passionnant. On y pensait tout le temps et avec plaisir. On se retrouvait de temps en temps dans la classe dun camarade et on échangeait dans le groupe, nos trouvailles, nos idées, nos problèmes. Ainsi chacun sappuyait sur les autres en essayant dapporter aussi sa pierre. Nous avions une bibliothèque coopérative et nous nous tenions mutuellement au courant de ce qui sécrivait: non seulement les livres de Freinet mais bien dautres.
Joseph Portier
Quest-ce que jai finalement retenu de cette longue initiation à la pédagogie Freinet?
Je peux désormais utiliser les techniques Freinet dans toute situation dapprentissage et de formation quel que soit le niveau et lâge des participants.
Jai appris à poser, voire imposer le cadre pour assurer une discipline de production, grâce à certaines institutions comme le «quoi de neuf», le conseil, les présidences de séances, le secrétariat, etc...
Jai également appris à écouter les étudiants, à meffacer en tant quintervenant, à soutenir la prise en charge coopérative des apprentissages.
Jai appris à ancrer tout apprentissage autour dune production individuelle ou collective, à faire et à faire faire une production publiable qui respecte les exigences élémentaires du lecteur et de lédition.
Jai enfin appris que la communication et la production doivent primer tout travail, lapprentissage ne pouvant jamais être lobjectif premier dun cours, mais seulement le résultat dun processus de production.
Je crois, jai ainsi pu devenir un enseignant exigeant, tout en gardant de lhumour et le plaisir de faire classe.
Gerald Schlemminger
Jai compris quil pouvait y avoir des échanges authentiques entre les membres dun même corps de métier sans quon ait recours à une autorité supérieure infantilisante.
Jai compris que lerreur nest pas une faute appelant une sanction inhibitrice mais génératrice damélioration et de réflexion créatrice.
Jai compris que lenfant nétait pas un sous-adulte à dresser à limage de lhomme et de la société mais un être à part entière, adulte responsable en devenir quil fallait guider, épauler, soutenir dans ses trébuchements, ses choix, ses difficultés, sans jugement de valeur et quon pouvait lui faire confiance.
Jai compris que lexpression libre était indispensable à lélaboration de la personnalité, à la libération des tensions intérieures, qui, lorsquelles sont apaisées contribuent à cimenter le socle dédification de chaque individualité, que cette expression libre permettait léclosion duvres littéraires artistiques, scientifiques, corporelles, dignes de celles des adultes et je les ai reçues comme des cadeaux.
Jai compris que la culture nappartenait pas à une élite et nexistait pas que dans les musées et les bibliothèques et les autres... en thèque, quelle nétait pas statique mais évolutive, que chaque individu, chaque groupe avait la sienne propre, que cétait un devoir de la partager avec dautres pour quil y ait enrichissement réciproque.
Jai compris aussi le véritable travail coopératif qui se distinguait de la coopé-tiroir-caisse; cette nouvelle coopérative gérait la vie de la classe: travail, discipline, bilans individuels et collectifs, conflits collectifs et mêmes personnels quand le degré de communication le permettait. Jai aussi appris à me remettre en question face au groupe-classe.
Jai compris et appris le partage, des connaissances, désintéressé, généreux, constructif du mouvement qui a assuré ma formation continue, qui ma fait réfléchir sur la discipline, lautorité, la hiérarchie, la responsabilité, sur les
finalités de lécole de la société et de la vie.
Renée Goupil
Les discussions, les appels à la presse, les expositions, les publications de la C.E.L. ont peu à peu renforcé la portée de nos paroles, nous qui nétions pourtant quà la base, comme ne cessait de le dire Freinet, dans ce slogan: pour être Ecole Moderne, il nous faut bien être praticien, chercheur et militant. Cest un engagement qui, sil nétait pas toujours absolu, a bien meublé notre temps, notre tête, nos curs et souvent ceux de nos proches.
Freinet était, cest sûr, un rassembleur dhommes. Personnellement, il ne ma jamais dit: Fais ceci, ne fais pas cela. Vous voyez? Ce «cherche un peu, cest par là», sappliquait aussi à notre pédagogie, à ce quil appelait aussi bizarrement nos «techniques de vie». Il nentravait pas notre liberté de choisir, ni dassumer notre choix.
Je savourais surtout lenrichissement dû à toutes ces voix qui se faisaient entendre, aux paroles, aux idées, à la sensibilité quelles traduisaient. Cela ne métonnait pas que Freinet dise souvent en parlant deux, tous les camarades: «Ils sont mon laboratoire vivant».
Jaimais en moi-même, visualiser tous ces dossiers, toutes ces lettres, tous ces essais, qui sillonnaient les airs et convergeaient vers Freinet, qui savait puiser, synthétiser, propulser en action toutes ces énergies.
Qui na pas rencontré Freinet, même sur le parquet reluisant de la C.E.L. modernisée, avec sous son bras, un grand cageot de courrier national et international, noms modestes ou grands noms des sciences humaines, auxquels il répondait de sa plume? Le cageot de Freinet!
Ça ne sinvente pas, ça ne soublie pas.
Jai plus écrit à Elise quà Freinet dans un premier temps, très vite après le stage de 1946, elle mavait demandé de communiquer au petit Educateur rose, mes essais réussis ou non aboutis que je faisais dans ma «ruche», trop pleine denfants, mais vide de commodité et de matériel.
Le premier article, je lui ai demandé den faire le plan! Elle ma fait prendre confiance et jai compris quen écrivant on pouvait aider sans être aidé.
Jai essayé, je ne savais pas que je pouvais le faire, cétait cela aussi le brassage de camarades avec tous leurs fonds secrets: la Communication.
Un jour un représentant dune très renommée Maison dEdition de manuels scolaires, me trouve en classe, en train de défaire un sympathique colis de correspondance avec le val dAoste et dépingler sous le panneau «Géographie de lAmitié» des petits sachets de pain montagnard quon garde six mois, de fromage «Fontina» fromage des vallées... des textes, des photos de la Valpeline.
Il me dit: «Ah! Quand les instituteurs du mouvement Freinet se décideront-ils à travailler pour nos éditions. Vous seriez bien rémunérés car vous faites avec vos B.T. un travail remarquable.»
«Cest que, je réponds, nous, nous le faisons sans être payés!»
Au fil des rencontres, des congrès, je faisais connaissance avec une démarche que jai trouvée passionnante. Cest celle quavait pratiquée Freinet, dès la fin de la guerre 1914. Faire participer les enfants à lacquisition des connaissances. Cela avait donné avec laide de nombreux adhérents, la création coopérative de notre C.E.L. qui éditait, entre autre les Bibliothèques de Travail partant des recherches et enquêtes des enfants elles revenaient enrichir les documents «pour les enfants». Même à lextérieur, on reconnaissait que la C.E.L. navait guère déquivalent quant à la générosité du but, à lengagement personnel des coopérateurs, et à la valeur pédagogique des brochures éditées.
Paulette Quarante
Que représente donc Freinet pour moi? Je le confirme: avant tout, ce formidable mouvement coopératif qui lui a survécu, fait unique dans lhistoire des grands pédagogues. Un mouvement pédagogique dune rare richesse - je pense aussi à nos camarades hors frontières de la F.I.M.E.M.. Aux antipodes du reproche souvent entendu: les «Freinétiques» constitueraient une chapelle. Car, très familier du monde associatif, je puis dire que je nai jamais rencontré autant douverture, de respect des convictions de chacun, combinés à une telle recherche de la critique dialectique. Bien sûr, lI.C.E.M. a des spécificités. Elles découlent dailleurs, de la personnalité de Freinet et des valeurs quil défendait. Peut-être certains aspects pourraient-ils alors être considérés comme étranges. Pas pour moi qui pratiquais déjà ces bizarreries avant 1966: préoccupations écologiques et naturistes, végétarisme, culture biologique, Espéranto, pacifisme engagé - résistant et non bêlant... Jai certes aussi adopté à lEcole du Pioulier le «choc froid» dans la piscine, au saut du lit, en toute saison. Jai également quelques tics de langage: en réalité ceux-ci recouvrent des concepts forts que beaucoup, hors même du champ pédagogique, se sont appropriés en oubliant ou méconnaissant leur origine: art enfantin, expression libre, tâtonnement expérimental, périodes sensibles, travail individualisé....
Si la fraternité coopérative reste pour moi lun des traits fondamentaux de la pédagogie Freinet, cest quelle sétablit autant entre enfants, entre adultes, quentre adultes et enfants. Jamais je nai ressenti de relations hiérarchiques - de type paternaliste, par exemple - dans lI.C.E.M.. Les nouveaux y sont considérés très sincèrement par les anciens comme des égaux, riches de leurs potentialités. Cest ainsi que dès ma première année denseignement, je me retrouvai co-animateur de stages et que très vite je pus participer à des chantiers de production doutils. A moi de traduire alors le même souci dhorizontalité dans ma classe comme dans lécole.
Ce défi est-il plus difficile dans mes nouvelles fonctions? Sur le fond, non, puisque je me fonde sur les mêmes principes que ceux qui me guidaient en classe (droit des enfants, droits de lHomme, clarté des rôles, transparence, empathie, rigueur...), principes que je trouve condensés dans laphorisme spinoziste: «Ne pas rire, ne pas maudire, ne pas désespérer mais comprendre.» Oui, en revanche, sur la forme, car il maura fallu rechercher plus isolément des techniques adéquates. Par exemple, je double linspection décole dun audit dont la méthodologie et la déontologie - gage de liberté réciproque - me conduisent à offrir à léquipe - et à elle seule - un document danalyse systémique prolongé de pistes dévolution, lequel devient le point de départ dune réflexion en commun pouvant ou non déboucher sur des décisions de léquipe et une aide de ma part. Dans de telles conditions, et comme en classe avec la nécessaire prise en compte des limites de lautocorrection, la confiance nest pas entravée par le contrôle. Il en résulte une dynamique de progrès très encourageante. Autre exemple, lélaboration coopérative par les enfants dune «Charte des droits des écoliers de la circonscription de Nice VIII». Ou encore, la mise en uvre, dans la circonscription et au sein de lI.U.F.M., de «réseaux déchanges de savoirs pédagogiques», directement inspirés de mes pratiques de classe Freinet et du mouvement de Claire Hébert-Suffrin, compagnon de route de lI.C.E.M..
Fin août, je terminai ma formation professionnelle initiale parallèle et autonome par un stage dune semaine quorganisait le groupe départemental de lHérault de lInstitut Coopératif de lEcole Moderne. Jy découvris certes des techniques fort utiles mais surtout la puissante efficacité dune association coopérative, lauthentique partage des idées, la générosité et la simplicité des praticiens accomplis. Je compris alors que la force de Freinet avait été de créer un mouvement égalitaire, desprit communautaire, animé par une même éthique que chaque membre déclinait différemment dans sa classe. Jappréciai profondément la confiance généreuse faite aux nouveaux venus, la richesse et la diversité des témoignages, des réalisations.
Jacques Jourdanet
Comment se fait-il que moi, petit instituteur adjoint dans ma presquîle, jai pu accéder à des mondes qui métaient si inconnus? Ce fut, tout dabord, laccès à la radio avec le Concours du Meilleur Enregistrement Sonore (C.I.M.E.S.). Grâce à Guérin et Dufour, je métais initié à lenregistrement magnétophonique. Et mes élèves, profitant à plein du climat de liberté que javais instauré, exploraient hardiment tout le territoire de loral et du chant. Loriginalité de leurs productions séduisait toujours le jury. Avec quelle attention, certains soirs, nous écoutions le palmarès, ravis dy voir figurer tant de copains de la famille du B.E.T.A. (Bureau dEtudes des Techniques Audiovisuelles).
Puis ce fut le tournage, pour la télé, de notre «Enfantines»: Jean-Marie Pen-Coat, créée collectivement par mon C.P.-C.E.1. Que cest bizarre, un tournage!
Et enfin, baptême de lair pour aller encadrer un stage à Lévy, au Québec, avec Bambie Jugie, Delobbe et Pellissier. Jy suis retourné trois fois avec Delbasty, les Delobbe, Pellissier, Monthubert et Ueberschlag. Quelle aventure étonnante! Des officiels de la pédagogie auraient aimé y aller. Non, cétait nous, les sans-grades, qui étions désirés!
A Freinet et Elise, javais régulièrement soumis, pour critique, mes petites constructions théoriques. Si bien que, bien plus tard, je me suis senti suffisamment armé pour assurer des séminaires sur la pédagogie Freinet dans de très nombreux pays. Mes voyages ont été si nombreux et les relations ont été si approfondies que je me suis aperçu quil ny avait plus ni instituteurs, ni professeurs, ni inspecteurs, ni Allemands, Belges, Brésiliens, Canadiens, Danois, Espagnols, Finlandais, Italiens, Russes... Mais seulement, des êtres humains. Jai vécu ces moments de joie intense impossibles à rapporter. Ce nétait pas seulement le partage des repas, la richesse des excursions toujours accompagnées de camarades compétents, mais les expériences pédagogiques en vraie grandeur auxquelles les stagiaires participaient avec beaucoup délan. Et, évidemment, le plaisir de voir quelquefois subsister des traces de mon passage. Avec parfois, même, la traduction et la publication de certains de mes ouvrages.
Mais à lintérieur de ma classe, jai vu sépanouir de nouvelles techniques et jai pu expérimenter avec succès de nouvelles formes dexpression et de création dont jenvoyais les résultats à Elise qui mencourageait et les publiait très souvent. Elle avait accompagné nos premiers pas en se montrant suffisamment exigeante pour que lon ne se satisfît pas à bon compte de là-peu-près. Il fallait respecter les enfants et croire en leurs possibilités. Il fallait singénier à créer les conditions de la libre expression sans penser quil suffisait de se contenter de laisser faire. Non, il fallait prendre ses responsabilités, et ne pas hésiter à intervenir au départ pour mettre le train sur les rails. Après quoi, il ny avait plus quà se retirer de plus en plus pour ne pas bloquer les enfants par nos propres limitations. Nous navions plus quà nous préoccuper du soutien logistique.
Paul Le Bohec
A mesure que javais de bons résultats avec les nouvelles pratiques, je sentais le désir et encore plus la nécessité de les répandre, de partager avec mes collègues le Bien que javais découvert. Je prenais conscience que la coopération et la communication devenaient indispensables! Et les graines ont produit une très bonne récolte.
Les hommes et les femmes veulent pour leurs enfants une école bien meilleure que celle quils ont eue eux-mêmes. Freinet leur a apporté lespoir et la démonstration pratique. Cest ainsi que les choses se sont passées et ça continue. La contagion se fait par le contact, le réseau augmente, résiste aux obstacles, il devient de plus en plus fort, enrichi par les contributions de la technologie. Freinet sera toujours actuel, réel comme la vie même.
Flaviana M. Granzotto
Comme lusage des anciens manuels scolaires davant 1945 étaient interdit, et des nouveaux nexistaient pas encore, nous devions nous-mêmes réaliser des fichiers de calcul, de lecture, dorthographe des abécédaires, pour la première année scolaire et quelques fascicules pour les autres disciplines. Tout à fait dans lesprit Freinet, nous étions quatre jeunes instituteurs à nous rassembler et à mettre au point, ensemble, tout moyen de travail pour des enfants de deux ou quatre classes.
Les imprimés créés par Freinet - BTS-BTJ - et ses fichiers de travail nous apportaient une abondance de suggestions pour notre travail scolaire quotidien dans lequel nous étions soutenus par danciens élèves, filles et garçons. Un fructueux échange de réflexions et une coopération authentique devait ainsi naître entre maîtres et élèves. En outre, ces pratiques pédagogiques répondaient tout à fait aux présentations déjà développées dans le mouvement de «lécole du travail» de Georg Kerschensteiner et de Peter Petersen, entre 1920 et 1933, et que Freinet connut tous, lors de ses visites à Humburg-Altona (1922) et Leipzig (1928). Ce qui manquait dans les écoles allemandes, notamment à cause de leur trop forte dépendance de ladministration scolaire, Freinet lavait réalisé avec ses adhérents dans la C.E.L., où étaient produites, dans une très large mesure, des techniques de travail pour toutes les disciplines et toutes les classes dâge. Une abondance inestimable de suggestions était proposée à notre travail, adaptables à nos propres conditions.
Hans Jörg
Dans notre coin naquit un groupe Freinet second degré: les idées de Freinet y circulaient et un véritable tâtonnement expérimental en même temps que beaucoup denthousiasme permirent lessai de pratiques pédagogiques, conciliables avec linstitution du second degré: pédagogie de lécoute, du respect de ladolescent, du déblocage des forces vives, recherche doutils de travail, réalisation de journaux, correspondances à travers la France.
Maryvonne Conan
(...) Le plan professionnel - mais peut-on le distraire du plan personnel? - le plan professionnel se trouva bouleversé par la rencontre avec Pastorello, puis Alziary, enfin Freinet. Jy ai gagné une classe vivante, heureuse, ouverte sur le monde extérieur - javais limpression de mieux former mes élèves aux futurs aléas de leur vie -, plus facile à faire en fin de compte avec, évidemment, en contrepartie, une énorme somme de travail: fichiers à fabriquer, livres de base à lire, fichiers auto-correctifs à perfectionner, réunions, fouilles le jeudi avec des volontaires, voyages, théâtre, etc... Les rapports enseignants-enseignés se trouvèrent très profondément modifiés et des amitiés durables sétablirent entre les élèves et moi-même, amitiés qui perdurent encore avec des hommes et des femmes qui, à lheure actuelle, ont plus de soixante ans.
Ce qui apparaît aussi comme remarquable reste le ciment damitié qui naquit dabord entre les maîtres proches géographiquement, puis qui sélargit à ceux de régions plus lointaines pour même déborder le cadre de la France. Jentretiens encore avec des retraités de mon âge - jai 73 ans - des relations épistolaires. Cest dire!...
Et puis ce furent les stages Freinet où nous encadrions des instits désireux de sinitier aux techniques de limprimerie à lécole, en particulier celui de Boulouris, la présence dans ma classe de futurs enseignants venus parfois de létranger, les conférences sur les Techniques Freinet dont lune mentraîna à Lausanne, en Suisse. Enfin la tenue, pendant toute une année, de la rubrique pédagogique de lEcole Emancipée, rubrique alors sous la responsabilité dHélène Bernard, de Marseille.
Raymond Jardin
Célestin allait être le compagnon majeur avec lequel jai compris ce quétait lEducation, éducation, enseignement des enfants, mais aussi éducation de soi, par les contacts avec les enfants dune part, et, dautre part, grâce aux rencontres avec des camarades participant aux travaux de lI.C.E.M..
Certains camarades ont surtout creusé dans des disciplines différentes tout en maintenant la polyvalence des techniques dans leur classe: lun, curieux dhistoire, savait emmener ses enfants vers la recherche ; lautre de formation plutôt scientifique, initiait de façon très pointue ses élèves à lobservation, un autre obtenait dans sa classe de superbes peintures. Mais tous donnaient avant tout, la parole ou favorisaient les actions des enfants qui leur étaient confiés.
Fernand Lecanu
Pour moi, Freinet est comme un mariage qui chaque jour apporte plus daffinités et me procure ainsi des interrogations sur les différences existantes dans les quelques vécus de mon expérience, au Nord-Est du Brésil. La richesse pédagogique et existentielle quapporte la Pédagogie Freinet ma apporté des joies grâce aux possibilités acquises mais en même temps, je constate la différence de notre histoire dans le temps et dans lespace. Mais je surmonte ces différences quand je vis les principes de base de la Pédagogie Freinet: liberté dexpression, coopération, tolérance, respectant la démarche de chaque élève et de chaque professeur en liant lécole et la vie, le changement des habitudes avec une quête constante de nouvelles expériences mentretiennent en apprentissage continuel. Lapprentissage avec les écoles de favelas a été difficile et je me sentais faible devant les difficultés en étant éloignée mais jy suis toujours retournée car je crois que le travail avance.
Me sentir en processus dapprentissage constant mapprit comme à Célestin Freinet et à ses amis que le savoir nest pas la propriété de quelques-uns mais quil est à la portée de tous... Continuer mon chemin et apprendre chaque jour de ma vie pédagogique et personnelle font de moi «un éternel apprenti».
Fatima Morais (Brésil)
Ce nest pas seulement Freinet qui nous a apporté, mais le Mouvement Freinet tout entier. Bien sûr, Freinet en est à lorigine, mais les pionniers qui lavaient rejoint avaient le même ESPRIT.
Lexpression libre dans ses divers domaines, mamenait souvent à me poser des questions sur les réactions de tel ou tel enfant, sur... peut-être ses problèmes. Comment les déceler? Comment laider? Doù le besoin pour moi de me documenter davantage, de travailler à la commission «Connaissance de lEnfant».
La correspondance, les échanges, le travail au sein déquipes diverses, les stages, les congrès ont tissé entre les camarades des liens qui sont allés se renforçant au cours des années.
Sacrifier une semaine de vacances pour un stage, payer de ses deniers stages et congrès, non ce nétait pas un sacrifice. Cétait avec joie quon sy préparait, quon y participait pleinement, emportant documents, travaux... à soumettre à lappréciation des autres, toujours dans lespoir daider le Mouvement à aller plus loin.
Pour ceux des années 1950-70, cest toujours avec la même joie quon se retrouve - stages Guérin, Rencontres Espéranto...-, parfois après des années déloignement, et quon est encore prêts à se remettre au travail ensemble.
Pendant lété 1947, Paul suivit le stage Freinet à Cannes. Il consacra, en outre, bon nombre de jeudis à la correction des projets de B.T.. Le Chanvre (n°133) qui sortit en décembre 1950, puis lArchitecture Renaissance en Touraine (n°389) pour lequel il prit également des photos (travail de longue haleine qui ne fut publié quen janvier 1958!). En 1957 était créé le supplément S.B.T., puis B.T.Son en 1960, B.T.J. en 1965, B.T.2 en 1968 et Périscope en 1983 pour les collégiens et lycéens, J.Magazine en 1979 pour les enfants qui commencent à lire, Grand J. en 1990 pour les sept-neuf ans.
Dans notre milieu forestier, les animaux, la chasse à courre donnaient lieu à de nombreuses études et de recherches. En février 1956, lhiver étant très rigoureux les enfants du C.E. sétaient apitoyés sur le sort des cerfs dans la forêt enneigée. Chaque jour, apportant une nouvelle idée, une nouvelle aventure, peu à peu est née lhistoire de Faon-Faon, à la fois pleine dimagination et de détails réels pris sur le vif. Depuis sa naissance au creux dun taillis empli de violettes et de coucous, chaque jour une nouvelle page agrémentée de dessins allait sajouter aux autres, sur le mur. Il en est résulté la B.T.J. n°29, Cerfs, Biches et Faons, parue en 1968, mais dépouillée de toute la poésie de lalbum original.
Dans les cahiers de roulement, les circuits, les diverses équipes de travail, nous avons maintes fois vérifié cette formule chère à Freinet: «Travailler ensemble». Chacun exposait son travail, ses échecs aussi bien que ses réussites, ses problèmes. Tous profitaient des expériences des autres et senrichissaient mutuellement de leurs connaissances dans des domaines divers. - ex. après le stage de Grandmont, le cahier avec Emile, Le Gal et dautres -.
En travaillant ensemble, on apprenait à se connaître, à sapprécier, même quand on nétait pas daccord, nhésitant pas à apporter sa critique dans un but constructif. - Je pense à des critiques faites lors de démonstrations, qui voulaient surtout montrer aux nouveaux des écueils à éviter -.
Denise et Paul Poisson
Après la mort de Freinet, pour répondre au désir dElise de multiplier les manifestations ICEM dans diverses régions de France - Congrès régionaux -, nous avions mis sur pied, à Brest, durant les vacances de février 1969, les Journées détudes régionales ICEM pour tout lOuest. Elles devaient être un moment de réflexion et de discussion sur la pédagogie Freinet.
Lors de la dernière journée de travail à laquelle participait lInspecteur dAcadémie du Finistère, Madeleine Porquet, Inspectrice des Ecoles Maternelles, et militante du Mouvement Freinet, lui a demandé:
- «Accepteriez-vous la création dune Ecole Pédagogie Freinet?»
Favorable à cette «Unité Pédagogique», lInspecteur dAcadémie a donné son accord de principe... si une école souvrait, à Brest par exemple.
Nous avons attendu plusieurs mois... Une réponse affirmative est parvenue au Groupe finistérien de lEcole Moderne, début décembre 1969. Une école devait souvrir à Kérédern, un quartier neuf de Brest, à la rentrée scolaire 1970-71, cinq classes devant fonctionner à cette date.
Le 5 février 1970, le Groupe ICEM du Finistère, en Assemblée générale, précisait les conditions de notre acceptation:
l - Léquipe danimation de cette école constituerait une «Unité Pédagogie Freinet», avec la liberté donc dexpérimentation dans le cadre de cette pédagogie.
2-Léquipe proposée - 5 camarades de la région brestoise appartenant au Groupe ICEM 29 et volontaires pour vivre lexpérience - devrait être nommée «en bloc». Nomination globale de léquipe et non nomination dindividus.
3-Lécole fonctionnerait avec un effectif maximum de 25 élèves par classe.
Après les incontournables péripéties administratives et surtout syndicales, la création de lEcole Pédagogie Freinet de Brest-Kérédern fut acquise à 1unanimité, lors du Comité Technique Paritaire des 24 et 25 février 1970.
Au Mouvement du Personnel de juin 1970, chacun des cinq volontaires a ainsi formulé sa demande de mutation: Je sollicite ma nomination à lécole Pédagogie Freinet de Brest-Kérédern au sein de léquipe présentée par le Mouvement de lEcole Moderne du Finistère: Emile Thomas, Mimi Thomas, Marie-Louise Donval, Jacques Bachelot, Denise Cévaër. Je retire ma candidature si léquipe entière nest pas nommée.»
Finalement, nous avons été tous nommés et même au barême.
Nous commençons donc à cinq notre vie déquipe Freinet à la rentrée 1970-71.
Les deux premières années se déroulent dans une vieille école désaffectée dun autre quartier et qui a un petit air décole de campagne, en attendant la construction de lécole dans laquelle nous devrons normalement fonctionner mais sur larchitecture de laquelle nous ne pourrons hélas influer. Pourtant, les enfants avaient imaginé de nombreux plans!
Et nous allons tâtonner!
- Cinq maîtres qui vont travailler ensemble, échanger...
- 75 enfants (lère année de 1école) venant de 23 écoles différentes et dont le nombre va aller en augmentant comme celui des maîtres.
- Des parents à qui nous devrons expliquer une pédagogie différente de celle quils connaissent, que nous devrons convaincre... Malgré lopposition de certains, nous finirons par en convaincre la majorité.
Ce tâtonnement général va faire naître:
- les conseils coopératifs de classe et les conseils décole pour établir les règles de vie, discuter les projets...
- nos réunions hebdomadaires entre enseignants, sur tous les problèmes qui se présentent, en plus des réunions informelles à 2, 3...après la classe.
- nos réunions avec les parents et même des réunions de parents entre eux, à lécole.
-louverture entre classes pour différents ateliers au niveau de lécole. Exemple: réalisation dune fresque murale dans le préau (25 à 30 mètres de long).
- louverture aux parents qui animeront aussi des ateliers.
- louverture à dautres intervenants.
- louverture à des enseignants intéressés par notre pédagogie.
- les relations avec le Centre Social voisin où nous avons, un moment, organisé des ateliers pour les enfants du quartier le mercredi après-midi.
- des activités avec un groupe en recherche des Eclaireurs de France...
- Nous participerons même à linstallation dun marché bio dans le quartier en soutenant de jeunes agriculteurs.
Peu à peu, nous réussirons à créer un climat de confiance qui annule rapidement les rapports hiérarchiques dans lécole, facilitant ainsi, les relations à tous les niveaux. Mais malgré un inspecteur sympathisant, nous ne réussirons pas à faire établir dautres critères dévaluation de notre travail que linspection traditionnelle.
A la rentrée scolaire 1972-1973, nous intégrons lécole neuve «style caserne». Il y a dix classes, donc dix maîtres. Un peu plus tard, nous obtiendrons une classe de perfectionnement que rapidement nous allons transformer de notre propre autorité, celle de léquipe. Les enfants qui administrativement devraient sy trouver restent dans les classes dites normales, la maîtresse de perfectionnement les recevant à tour de rôle par petits groupes pour un soutien déterminé, même dautres enfants iront y chercher un «ptit coin tranquille».
Nous étions forts de nos idées et nous avons beaucoup travaillé et malgré larchitecture de lécole, une vie agréable pour les enfants sest établie même si, de temps en temps, il a fallu faire le point ensemble, enfants et enseignants. La vie de plus de 200 enfants ne sorganise pas comme pour 75.
Un extrait de la Charte de léquipe
Léquipe pédagogique de Kérédern est constituée denseignants volontaires pratiquant la pédagogie Freinet dont ils respectent les principes fondamentaux et qui sengagent à adhérer à ses projets pédagogiques et institutionnels.
Sur le plan pédagogique, les membres de léquipe rappellent leurs démarches actuelles:
- lapprentissage de la lecture sur au moins deux ans
- le respect du rythme de chaque enfant par le travail individualisé et lharmonisation des programmes
- le soutien pédagogique apporté de façon non-discriminatoire
- la libre utilisation de la bibliothèque décole, outil de travail privilégié
- lexistence dateliers décloisonnés, animés par des parents
Sur le plan institutionnel: la vie coopérative et la gestion collective de lécole...
au niveau de la classe:
élaboration en commun des plannings quotidiens ou hebdomadaires, des règles de vie du groupe classe, dune organisation matérielle propre au groupe.
au niveau de léquipe:
la mise en place de commissions chargées de ladministration, des finances, des relations avec lICEM, de la bibliothèque, des relations avec les parents délèves, de la vie syndicale la mise en place de réunions fixes hebdomadaires (problèmes administratifs) et de réunions pédagogiques.
au niveau de lécole:
existence dun conseil décole (délégués de classes et représentants des maîtres) qui statuent sur les règles de vie de lécole, les projets pédagogiques...
Ce qui a, peut-être, été le point dorgue pendant ces années, cest notre bibliothèque.
Au Congrès Freinet dAix-en-Provence, à Pâques 1973, où nous présentions une exposition sur le thème «Louverture de lécole», nous avons participé aux débats animés par Colette Marchand sur limportance dune bibliothèque et visité lexposition présentée par «La joie par les livres» «Echanges et bibliothèques». Nous nous portons volontaires pour lexpérience dune bibliothèque à lécole qui serait offerte par Echanges et bibliothèques.
Après diverses tractations avec lInspecteur, la Municipalité, la bibliothèque municipale et Mme Gruner Schlumberger présidente dEchanges et bibliothèques, celle-ci nous informe, le 3 mai 1974, quelle nous fournit la somme de30 000F pour lachat de livres, la Municipalité brestoise fournissant la même somme dargent pour laménagement de la grande salle de lécole.
Et laventure commence.
Une bibliothécaire de lAssociation qui la paie vient travailler de septembre 1974 à la fin de lannée 1975. Pendant trois mois, sous sa direction, des mamans vont travailler avec elle pour létiquetage, la couverture des livres, la préparation des fiches...
En janvier 1975, les enfants prennent possession de ce lieu qui va devenir le cur de lécole. Ils en deviennent les utilisateurs à part entière, avec laide de la bibliothécaire, des «bibliomères», dun enseignant déchargé dune partie de sa classe - mi-temps -, et dEmile le «bibliogrand-père» qui, ayant pris sa retraite lété 74, va pendant six ans travailler à la bibliothèque, bénévolement bien entendu, les après-midis du mardi et du vendredi.
Nous nétions pas peu fiers de notre trésor que sont venues visiter de nombreuses personnes militant dans différents quartiers de la ville, lorsque la bibliothèque a pris sa vitesse de croisière.
Avant cela, les enfants, les adultes ont tâtonné pour organiser lutilisation des 4000 documents: BT, livres, documentaires, albums, etc...
Il a fallu établir des règles, et plusieurs conseils de classe, décole, et réunions avec les parents ont été nécessaires. Cest que le passage à la bibliothèque était intégré librement dans le plan de travail des enfants et il fallait éviter lencombrement.
Nous avons vu se développer le plaisir de lire, lautonomie des enfants, la collaboration entre petits et grands, leur responsabilité dans le respect du livre - oh! bien sûr, il a fallu de temps en temps faire ensemble des mises au point: soigner les livres, ne pas faire de bruit etc...-, un dialogue plus authentique entre les mamans qui travaillaient avec tout ce petit monde. Des parents de milieu simple, ayant vaincu leur timidité pour venir aider se sont sentis valorisés.
Ça na pas toujours été un chemin de plaine, et il a fallu affronter quelques vicissitudes, chercher des solutions au départ de la bibliothécaire, au manque dinstituteur détaché, etc...
Les années ont passé. Malgré diverses circonstances défavorables: vieillissement du quartier, opposition larvée contre une pédagogie différente, problèmes avec lAdministration..., 25 ans après le démarrage de lécole, léquipe Freinet existe toujours avec sa bibliothèque. Lécole a été transférée dans un autre quartier de Brest où elle jouit maintenant dun environnement plus agréable. Il y a actuellement cinq classes.
Il nous arrive à tous les deux et à notre amie Marie-Louise de nous y retrouver. Quelques camarades avec qui nous avons travaillé, Annie, Yvon, Youenn... sont toujours là.
Mimi Thomas et Emile Thomas
Les années passées dans léquipe pédagogique de Kérédern à Brest furent essentielles dans ma quête dune technique de vie. Elles mont apporté dautres perceptions et perspectives dans le domaine de léducation.
En même temps que je participais à de nouvelles pistes dactivités, élaborées par léquipe, la recherche dune autre organisation structurale de lécole a très vite ouvert dautres horizons: la création dune bibliothèque lieu de vie permanent, le décloisonnement des classes, lécole ouverte sur le quartier, le cheminement vers léquipe élargie impliquant toutes les personnes ayant quelque rapport avec létablissement, ont exigé un énorme travail de réflexion et de mise au point... Doù des moments très heureux, entrecoupés de confrontations parfois houleuses. Mais aussi le sentiment pour tous les membres de léquipe, je crois, davoir réussi malgré une architecture et un environnement figés, la construction dune Ecole plus vivante et plus conforme aux besoins et aspirations des enfants. Et ce, malgré certaines critiques, suspicions, hostilités.
En retraite depuis 1983, jai, depuis deux ans, été sollicitée par les enseignants de lécole Freinet brestoise pour animer un atelier dans le cadre dactivités décloisonnées. Et je my sens bien, malgré laspect peut-être un peu désuet de mon atelier «bricolage»... et les enfants aussi, dailleurs, y donnent libre cours à la création.
Autre constatation: admirative devant lapprivoisement par tous, les enfants comme les maîtres, des outils modernes de communication, je décèle toujours dans le bouillonnement de leurs motivations et recherches, la pérennité des principes fondamentaux énoncés par Freinet... Particulièrement ouverture sur le monde.
Marie-Louise Donval
Les membres de lécole de Kérédern ont consacré plusieurs séances de réflexion aux conditions et aux principes de linspection. Ils ont décidé délaborer et de soumettre le présent projet:
Notre pratique pédagogique nous conduit à remettre en cause le principe de la hiérarchie.
- Dune part, nous travaillons en équipe pédagogique. Tous les membres de léquipe sont partie prenante dans les conceptions pédagogiques de chacun. De nombreuses décisions sont le résultat dune réflexion collective. La classe de soutien en est un exemple précis. La responsable de cette classe na pas décidé seule de la forme de travail adoptée, mais elle a auparavant réuni les enseignants de léquipe et élaboré avec eux les structures de sa classe.
- Dautre part, lun des grands principes de notre pédagogie consiste à établir avec lenfant des relations amenant à une remise en cause de la hiérarchie dans nos classes.Tout est basé, au sein de la communauté classe, sur une vraie coopération, qui, pour nous, consiste en une prise en charge, par la classe tout entière:
- de lorganisation de son propre travail.
- du contrôle des diverses activités
- de lélaboration de ses propres règles de vie.Comme nous tentons de changer les rapports enseignants-enseignés, nous pensons quil est nécessaire détudier et de modifier les rapports inspecteur-inspecté.Nous ne pouvons accepter linspection individuelle et larbitraire du rapport et de la note. Cest pourquoi nous avons pensé quil était nécessaire de proposer à ladministration une nouvelle forme de relations. Notre réflexion nous a amenés à envisager:
- le refus de linspection
Ce choix nest pas envisageable en équipe pédagogique.
- linspection collective: elle répond le mieux à nos aspirations déquipe. Elle nous amène à nous poser le problème de la notation: nous acceptons une note dans la mesure où celle-ci nest plus la sanction dun travail, dun choix idéologique
- la note serait attribuée en tenant compte uniquement du critère de lancienneté.
Il apparaît dans cette prise de position face à la note que nous ne pouvons plus avoir avec ladministration des relations hiérarchiques. Nous pensons que celles-ci devraient être dune autre nature.
LIDEN est avant tout un conseiller pédagogique, en particulier lorsquil rend visite à un instituteur.
Pourquoi, dans ces conditions, ne viendrait-il pas à lécole dans le cadre de visites motivées par des propositions de travail ou de réflexion sur des thèmes, comme par exemple la bibliothèque de Kérédern et la lecture, etc.....
Linspecteur, sil le désire, pourra venir dans nos classes et ses visites auront un caractère identique à celui des nombreuses visites que nous recevons et acceptons tout au long de lannée (parents délèves - psychologues - normaliens).
LEquipe de Kérédern
En septembre, les enfants ont très vite appris que jétais nommé sur le poste de directeur et nont pas manqué de me saluer, un peu ironiquement je dois le dire, dun «Bonjour monsieur le Directeur».
Eh! oui, cest mon tour cette année et pendant deux ans encore, il faudra que jassume le nom de Directeur.
- Comment ça, pendant deux ans seulement?
- Ben, oui. Chez nous, ça tourne, comme on dit. Léquipe des instituteurs - nous sommes 5 - sest mise daccord pour que la vie de lécole soit prise en charge par lensemble des instits, tâches matérielles, administratives et pédagogiques.
Cela rappelle, me dit-on, une gestion collégiale. Autrement dit, le directeur nest pas vraiment le directeur. Il représente lécole parce quil en faut bien un, mais tout le travail est partagé entre les 5 instits. Vous voulez des détails? Bon.
Tout dabord, une réunion hebdomadaire du mardi après la classe nous réunit tous. Sy joignent également la C.E.S. employée à la bibliothèque. Nous passons en revue les différents problèmes qui se sont présentés à nous, lisons le courrier de la semaine pris en charge à tour de rôle par chacun, ou selon ses disponibilités. Cest un moment important car cest là que se prennent les décisions et que sorganise la semaine à venir, que se répartit le travail à faire.
Par exemple,. Annie soccupe des finances. Ce qui ne veut pas dire quelle décide de dépenser toute notre fortune, celà se décide en commun. Chaque classe a des besoins particuliers en fin et en début ou au cours de lannée et chacun estime pour sa classe les commandes à réaliser. Annie rédige les conseils denfants qui paraissent dans le journal des enfants «Chipie La Galette». Elle range tous les papelards dans le bureau où il y a toutes les archives.
Quelquun defficace donc et dhyper organisée. Yvon, quant à lui, a la prérogative dêtre souvent lanimateur de nos réunions, réunions de parents, du conseil décole.... eh, oui, il cause bien, sait synthétiser, laisser le débat se dérouler sans trop de digressions et permettre aux arguments des uns et des autres de sexprimer. Ce nest pas systématique car là aussi on essaie de tourner et danimer à tour de rôle.
Maryse soccupe de la rédaction du «Chipie-Infos», la «feuille de chou» que reçoivent chaque lundi les parents délèves. Lien indispensable pour une bonne intormation entre les partenaires de lécole. Travail fastidieux certes quand il faut rédiger et mettre en forme les articles des uns et des autres et avoir la vigilance de ne rien oublier chaque semaine. Cest la mémoire du groupe en quelque sorte. Loïc et moi navons pas vraiment dattribution particulière. Et oui, cest comme cela. Alors que faisons-nous? On narrête pas... Entre les différents courriers à rédiger pour la mairie ou linspection, les coups de téléphone pour répondre ici et là, soccuper des relations avec les syndicats, il y a de quoi faire.
Et puis... et puis... ce nest pas tout. En effet, le directeur reçoit une indemnité supplémentaire. Et si vous vous distribuez le travail de direction, que devient cette indemnité, me direz-vous?
Eh bien! elle aussi est mise à la disposition de léquipe et est utilisée chaque année selon les besoins du moment ou bien on en discute lutilisation pour plus tard.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur léquipe de lécole Freinet. Travailler de cette manière permet à chacun de se sentir soutenu, davoir un rôle à part entière au sein de lécole et de faire partie dune dynamique collective indispensable à la bonne marche de lécole.
Youenn Tempéreau
Il y a bien longtemps déjà Célestin Freinet déballait au sein de sa classe de campagne les premières casses dimprimerie, réalisait ses premiers journaux denfants, engageait la première correspondance scolaire, avec René Daniel, instituteur finistérien.
Cétait là lillustration vivante de trois grands principes fondateurs de la pédagogie initiée par Freinet, créer, sexprimer et communiquer, puisés à la source des besoins fondamentaux de tout individu en devenir.
Textes imprimés, journal, correspondance, ces techniques comme on les a appelées avec parfois un effet réducteur pervers, se sont affinées au cours des années, mûries grâce aux échanges dexpériences coopératives de tous les instituteurs qui les pratiquaient, pour devenir des outils adaptés à leur époque....
...époque désormais bien révolue, quon le regrette ou non, quon se sente ou non gagné par la nostalgie de ces petits caractères de plomb manipulés avec soin, de lodeur éthérée des encres grasses ou du coup de langue sur lenveloppe pour les «corres», déposée précautionneusement dans la boîte aux lettres.
Car il faut bien le reconnaître, la cybernétique a fait une entrée fracassante dans les classes Freinet. Il ne se passe plus de jour sans que sentendent les bips discrets des ordinateurs ou le ronronnement incessant des imprimantes!
Le journal scolaire est passé à la moulinette du traitement de textes, le scanner avale dessins et photos des enfants, le fax avale et régurgite leurs échanges, des foisons de messages télématiques débarquent dans nos classes tous les matins, bientôt le mail électronique avec lescuela Freinet de Mexico sera un jeu.... denfants grâce à Internet!
Non, tout ceci nest pas le boniment illusoire dun représentant en matériel informatique branché, ces outils ne fonctionnent que soutenus par la trilogie de départ et ne sont quà son service, créer, sexprimer et communiquer de façon authentique.
On na jamais vu loutil créer le besoin, par contre création, expression et communication ne manqueront pas et ne manquent pas dêtre dynamisées par ces outils nouveaux donc prometteurs.
PS.: que les nostalgiques se rassurent, les casses de plomb de nos vieilles imprimeries Freinet et nos limographes sont toujours fidèles au poste!
Yvon Gac
Employée en tant qne C.E.S. je moccupe de la bibliothèque. Ayant fait des études supérieures, mon statut me fait pester quelquefois, mais jestime avoir de la chance de faire quelque chose qui mintéresse et dans un milieu où je suis considérée. Je me passionne vraiment pour le travail autour des livres et le public denfants est toujours surprenant. A lécole Freinet, la bibliothèque a une place importante dans la pédagogie. Cest agréable de voir quelle est bien exploitée. Il ne sagit pas seulement dun lieu où les enfants peuvent emprunter un livre mais dun lieu vivant où lon apprend à être autonome dans ses recherches documentaires, un lieu agréable où lon aime se retrouver autour dun livre.
La bibliothèque est un peu la plaque tournante de lécole où lon sait quon peut trouver une oreille attentive à toutes sortes de problèmes.
En fait, cest chouette de trouver sa place dans cette école si dynamique où tout est basé sur léchange, le dialogue et lécoute.
Laure Bertucci
Le journal, outil essentiel, avait besoin des nouvelles techniques pour être imprimé plus fréquemment.
Ces nouvelles techniques, on savait bien ce quelles étaient, mais les instituteurs nétaient pas très «branchés ordinateur».
Cétait en 1990 et lopportunité existait depuis peu: embaucher et payer un C.E.S. sans se ruiner. Lassociation de parents fut rapidement convaincue et je minstallai avec lordinateur, le fax, la photocopieuse et le téléphone dans la «Salle Informatique et Communication».
Les communications à lécole Freinet.
- Le journal des enfants (hebdo).
- Le journal dinfos adultes (hebdo).
- La distribution dans les classes des fax qui nous parviennent.
- La distribution dans les classes des messages minitel.
- La distribution dans les classes du courrier.
- La rédaction des fax, lettres, messages minitel.
Ma salle fonctionnait, comme la bibliothèque, en atelier permanent, lieu où lenfant va seul pour y faire ce quil a à faire, souvent taper un texte pour le journal, expédier un fax ou préparer un message pour le minitel.
Toutes les écoles Freinet ou presque ont leur journal. Cest là que les enfants sexpriment, il est lu par tous ou presque, et les parents ne sont pas les derniers à le lire. Tout à lheure un enfant de lécole me parlait de ses grandes vacances... «Dailleurs, tu as dû lire ça dans Chipie, Ça se passait au Portugal, tu vois pas...? ah! bon!». On y apprend plein de choses.
La messagerie minitel, quant à elle, permet des échanges de messages courts, des petits textes, des demandes de documentation, des demandes de correspondants, des résultats denquête... Ces messages peuvent être tapés directement au clavier du minitel, mais lordinateur permet quon les prépare à lavance et on gagne du temps à lexpédition, donc de largent. Le matin, il y a toujours un môme qui est en avance pour mettre en marche lordinateur et lancer le programme de récupération des messages. Les messages sont photocopiés et distribués dans chacune des classes pour être lus. Et si on veut répondre, on trouve un moment pour aller taper sa réponse! Tout cela nous paraît à nous un peu routinier, mais on se rend bien compte que ces petits font leur vie dune manière plutôt sympa, et acquièrent une facilité à communiquer que bien des adultes leur envient.
Le lundi, cétait le jour de maquettage et de la photocopie des journaux, souvent cinq feuilles A3 en recto verso, cent trente exemplaires de chacun, pour faire des journaux de vingt pages, agrafés au milieu. Tout cela occupe quatre enfants et moi-même pendant toute la journée, sur un rythme dément. Quelle joie de pouvoir distribuer, une ou deux minutes avant la fin de la journée, ce papier que tout le monde attend! Il restera, pour le lendemain, à faire les étiquettes pour lexpédition par la poste, de trente exemplaires, à des écoles qui nous expédient leur canard, en échange. Coopération, cest le concept primordial. Les enfants coopèrent, sentraident, demandent de laide aux adultes. Les adultes font de même entre eux et envers les enfants.
Jai participé à cette micro-société pendant trois années en contrat C.E.S.. où jai apporté mes compétences et certainement des marques de ma personnalité, jy ai appris beaucoup et jai donné autant. Jai participé à toutes les réunions du personnel de lécole (deux heures le mardi soir,. un repas à lextérieur chaque semaine pour discuter, plus détendu, les temps de récréation....) sans compter le colloque des écoles rurales, les réunions du groupe départemental de lICEM. Actuellement je perçois encore mes allocations de chômeur, suite à cet «emploi» et je travaille encore pour lécole, bénévolement si on peut dire (car je ne pourrais pas le faire sans les subsides prodigués par lASSEDIC! qui aurait bien tort de me couper les vivres!
Henri Boitier - Chômeur
Un jour, poussé par le désir de «protéger» mes enfants de relations pédagogiques néfastes (à mon goût), je poussai la porte de lEcole Freinet.
Les locaux nétaient pas moins poussiéreux, ni plus beaux que dans un autre groupe scolaire, mais jeus la sensation immédiate quon y respirait un air plus frais. Cétait en milieu de matinée et jarrivais un peu en intrus. Quelques enfants circulaient et me regardaient, lair beaucoup moins intrigué que moi qui découvrais dans leur manière dêtre la marque dune grande liberté. Cette première impression ne fit que se confirmer par la suite lorque je discutais avec les instits ou les enfants.
A «Freinet», à la base de tout, il y a le Respect de lAutre, à quelque place quil se trouve. Cela, je le remarquai tout de suite et cétait déjà énorme. Mais en plus de la vie en bonne intelligence, je sentais ce désir de fédérer, dassocier, dentrelacer les compétences, de nouer des liens entre les membres de lécole: instits, enfants, parents....
Ensuite, ce fut la très grande importance accordée à la liberté dexpression qui menthousiasma. Ce droit, si fondamental, est ici institué et vécu avec un rituel très solennel comme il se doit aux choses auxquelles on tient particulièrement. Mais la solennité ne brise en rien le charme de la spontanéité. Et comme ça fait du bien dentendre un enfant dire quil nest pas daccord et pour quelles raisons il ne lest pas!
Enfin, la pédagogie de lécole Freinet me remet en mémoire cette phrase superbe: «Apprendre sans désir, cest désapprendre à désirer».
Aussi, quand mes enfants sen vont ou reviennent de lécole, je me dis que «Freinet» est vraiment lécole telle que jai toujours désiré quelle soit.
Jacques Cosson. - (parent délèves)
Vue de lextérieur, cest une école absolument comme les autres: cest-à-dire franchement pas terrible, un peu grisounette sur les bords, un peu trop anodine au milieu. Vue de lintérieur aussi dailleurs: des dessins denfants surréalistes ou trop réalistes au choix, épinglés sur les murs. Un couloir flanqué de rires, de cavalcades et de traces de pieds sur les murs. Une cour un peu étroite un tourniquet banal. Et surtout des frimousses vieilles de sept à dix ans, absorbées dans leurs galops effrénés, ou des fronts tout plissés sur une addition un peu corsée. Une école, quoi.
Sauf que dans cette école, on ne pense pas tous les jours aux vacances, parce que dans cette école on sy trouve bien. Je sais de quoi de parle, jy suis allée.
Il y a un petit quelque chose qui flotte dans lair, un petit vent qui donne faim dapprendre, de regarder, de construire, de faire des projets, et de les réaliser, de rire et de voyager, de jouer et de travailler, de rencontrer des tas damis et de les aimer. De vivre, enfin. Normal, vous allez me dire une gamine de neuf ans, cest rare quelle nait pas envie de tout ça O.K.. Mais avez-vous déjà rencontré un enfant à qui lécole donne envie douvrir les yeux?
Alors bon, moi, je dis merci. Merci à mes parents dabord qui ont eu lidée éminemment appropriée de me mettre à lécole Freinet. Et merci à lécole pour mavoir permis dapprendre à mon rythme, sans être jugée ni classée instantanément dans les «bons» ou les «nuls». Merci pour mavoir permis de développer ma propre personnalité, dexprimer mes idées sans être obligée de rentrer dans aucun moule. Merci pour toutes les choses indispensables - étrangement extérieures au programme scolaire - que jai apprises: gérer mon travail toute seule, faire du ski, gréer un bateau, faire du théâtre, mexprimer en public - cette liste nest, bien entendu pas exhaustive - en plus des matières classiques dans lesquelles je me débrouille plutôt bien. Tout ça dans lambiance la plus épanouie que jai connue de ma vie daccord, pas très longue. Cinqannées de bonheur. Si, si, cest possible.
Hélène Festy - Ancienne élève - Ecole Freinet