les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Pratiques dans nos classes


Il n’est pas possible d’évoquer la pédagogie Freinet sans aborder le quotidien de la classe.

Ayant compris que l’efficacité et la cohérence de cette pédagogie passaient par un matériel adapté, j’investis un mois de salaire dans des outils acquis à la C.E.L.: imprimerie, limographe, collection des «Bibliothèques de travail», matériel de linogravure et de peinture, supports auto-correctifs d’apprentissages individualisés... Et je me lançai sans écouter les conseils de prudence de Freinet lui-même: «Ne vous lâchez jamais des mains.... avant de toucher des pieds! C’est une grande loi psychologique du tâtonnement expérimental... Les audacieux espèrent se cramponner des mains assez longtemps pour rebondir sur leurs jambes en tombant. S’ils se trompent, c’est la catastrophe. La même loi est valable en pédagogie... Vous ferez comme l’excursionniste qui veut avancer et monter, certes, puisque la destinée de l’homme est de toujours partir à la conquête d’un morceau de ciel bleu tentant au-dessus de la ligne des montagnes. Vous suivrez les sentiers battus le plus longtemps possible, tant qu’ils mènent dans la direction désirée... Et vous attaquerez les difficultés sans vous lâcher des mains, solidement liés à la cordée qui vous ramènera, s’il le faut, non sans quelque brutalité, sur le terre-plein d’où vous pourrez à nouveau repartir pour l’inéluctable conquête.»
Mon attitude pourrait paraître irresponsable. En réalité, j’avais minutieusement «préparé mon excursion» et m’étais «encordé» puisque j’allais rester en liaison étroite avec des collègues chevronnés.
Jacques Jourdanet

Une fois la classe organisée, nous imprimons notre premier journal scolaire, «I’lsard», illustré au texticroche et au limographe ; ce N°l paraît en octobre 1962. Plus tard, lorsqu’il devient plus volumineux, M. Batlle en crée un second «Engolasters». De jour en jour, l’expression écrite s’améliore grâce aux nombreux textes libres, fichiers auto-correctifs, bandes enseignantes, bibliothèques de travail, correspondance... Celle-ci est toujours enrichissante, et nous avons la chance, par surcroît, de correspondre avec des maîtres chevronnés, l’Andorre présentant pour eux, un certain attrait. Cécile Cauquil, en particulier, nous apprend de nouvelles techniques de dessin, peinture, illustration des lettres et des albums: surtout, de merveilleuses frises que les enfants s’empressent d’imiter, puis d’en créer à leur tour.
Stimulés par la réalisation des journaux et des albums, les enquêtes, les réunions de coopérative, la correspondance et les liens affectifs qui se créent, les activités artistiques et manuelles: tapisseries, peintures, monotypes, linogravure, pyrogravure, filicoupeur.. petit à petit, au fil des jours, les enfants s’épanouissent, participant activement et avec plaisir, à toutes les disciplines.
Je garde de ces années-là, des souvenirs indélébiles, sans oublier les voyages-échange: I’accueil des corres., toujours si cordial, chaleureux, en Ariège, Aube, Aude, Gironde, Landes, Pyrénées Orientales, Tarn... Ces échanges sont pour tous une source de joies, d’apports culturels, d’ineffables contacts humains. Je n’ai qu’un regret: celui de ne pas avoir connu plus tôt ces méthodes de travail.
Françoise Marti

Puisque je me suis intéressé surtout à l’imprimerie à l’école, j’ai cherché contact avec des écoles françaises et belges pratiquant la méthode Freinet. J’ai reçu régulièrement des journaux scolaires que j’ai lus avec une chaude attention. Ce que j’ai constaté: les petits textes sont d’une sincérité touchante et d’une vérité visible.
Entre temps l’imprimerie à l’école avait fait ses débuts dans notre pays. Un jour, j’ai été accueilli dans la classe du collègue Roger Spautz de Wiltz. La salle de classe ressemblait plutôt à un atelier avec son matériel: casses scolaires Freinet avec les caractères, composteurs et porte-composteurs, presse à volet. Le collègue Spautz, qui lui-même avait fait quelques stages à l’école de Vence, m’a parlé des avantages et des désavantages de la pédagogie Freinet. J’ai vu les enfants au travail et j’ai été frappé par leur facilité d’expression. Même la grammaire était devenue active et motivée. Après des visites dans d’autres classes Freinet, j’ai pris la décision d’introduire l’imprimerie dans mes classes.
Sachant les ressources de la commune peu florissantes, j’ai tâché, avec l’accord et l’aide de ma collègue à Rosport, Mademoiselle Gillen, d’organiser une séance de théâtre dont le bénéfice servirait à faire les premiers achats. Aidé et conseillé par le collègue Spautz, j’ai fait ma première commande: presse à volet, polices de caractères, composteurs, rouleaux à encrer, feuilles de papier et autres petits accessoires. Au début du mois de mai 1960, les classes de Rosport étaient munies d’une imprimerie. On installait les différentes casses avec les caractères dans les deux salles ; la presse à volet fut placée dans une chambre à part. Le 20 mai 1960, le premier texte, rédigé et imprimé par les enfants, sortit de presse. Ce fut un texte allemand, portant le titre: «Meine Schildkrote» - Ma tortue - l’auteur était Patrick Sadlo.
Le journal scolaire «La Source» existe depuis 1960. Le journal est avant tout un recueil de textes libres d’enfants. Par le journal, les moments «mémorables» de la vie de classe sont fixés définitivement sous une forme qui défiera les ans, comme ces photographies de famille dont la lumière des années ne parviendra plus à effacer les traits. Dans le journal, en dehors des textes libres, il y a des poèmes, des pages de la vie de classe, des comptes rendus de visites, de voyages collectifs, d’enquêtes.Et puis il y a la page de la vie locale et la page des correspondants. Le tirage de notre journal se fait à cent exemplaires. Le journal se vend parmi les élèves eux-mêmes et les habitants du village.
Aloyse Steinmetz

En 1948, j’ai repris un poste en octobre: institutrice -Directrice d’une école de filles de 4 classes où j’ai pu m’organiser pour travailler partiellement Ecole Moderne Freinet dans la classe de Fin d’études malgré les réticences de mon Inspecteur Primaire. Coopérative scolaire dans ma classe, ébauche dans l’école où les autres maîtresses restaient très traditionnelles. Correspondance interscolaire selon l’organisation mise au point par le camarade Alziary qui a suivi mes efforts et m’a attribué des classes de régions différentes pour motiver au maximun l’étude du milieu. Journal scolaire avec échanges. Plans de travail selon Educateur et BEM avec ébauche du travail individualisé grâce aux BT et au Fichier scolaire coopératif ainsi qu’aux fichiers autocorrectifs de Roger Lallemand.
L’année scolaire 49-50 a été particulièrement riche en réalisations. Les forêts de la commune, mitraillées par les batailles, ravagées par un insecte vorace, le bostryche, ont fait l’objet de coupes nombreuses et il s’est installé dans la vallée de nombreuses scieries volantes en plus des vieilles industries du bois existantes. Cela m’a fourni un complexe d’intérêt comme on disait alors, qui a duré toute l’année. Freinet a suivi notre travail de près et m’a apporté encouragements et critiques par des lettres fréquentes, me demandant des comptes rendus détaillés et une réflexion sur ma pratique qui allait au gré de l’étude du milieu très riche.
Je trouvais formidable qu’il s’intéresse ainsi à mon travail et me fasse participer à la recherche en cours.
J’ai eu à réfuter plusieurs fois ses accusations de scolastique, notamment dans la nécessité que j’éprouvais d’avoir des textes d’auteurs en appui aux textes libres d’élèves. J’ai eu par la suite, la satisfaction de voir arriver les SBT sur ce sujet.
Je pensais que travailler à l’avènement d’une société future n’excluait pas une certaine adaptation aux contingences présentes et mon engagement social et syndical me rendait particulièrement sensible au drame naissant de la crise du textile. Plus de perspective d’embauche à 14 ans de mes filles dont à peine 1/10ème partaient en 6ème à l’issue du CM2. Je me devais de préparer sérieusement le CEP ou les bourses 2ème série ou l’entrée en centres d’apprentissage hors de Bussang, ce qui entraînait un certain bachotage malgré les fichiers autocorrectifs. Je devenais critique face aux aspects un peu trop bucoliques de la pédagogie recommandée dans l’Educateur.. les problèmes des écoles de ville allaient y apparaître.
Yvonne Humm

Avec mes petits de classe enfantine, je tâtonnai longtemps en Art Enfantin. Tous ces balbutiements qui durèrent des années se soldèrent par plus ou moins d’échecs et de réussites pour nous mener enfin, comme aimait à le dire Elise, à une voie royale où ma classe, devenue entre temps un C.P.- C.E.l- C.E.2, se mit à produire, sans autre stimulation qu’un matériel impeccable et un intérêt très vif de ma part, des œuvres dont la variété, les dimensions, l’inspiration me coupaient le souffle et dépassaient de bien loin mes très modestes capacités artistiques. Heureusement que la règle était de ne conseiller ni thème, ni trait, ni couleur. En le faisant, j’aurais étouffé à coup sûr les imaginations qui avaient su se débrider.
Je ne suis pas arrivée seule à lancer ma classe. Elise m’a longtemps accompagnée. Ce fut d’abord l’envoi pour critique de nos petites peintures. Puis, avant le congrès d’Angers 1949, elle lança à tous un appel pour une exposition d’albums d’enfants: «Il faut que nous ayons là-bas un beau stand susceptible de faire sentir aux visiteurs la fertilité, la fraîcheur, l’éclat du génie enfantin... Le dessin, les couleurs parachèvent le texte...»
Le bain de mer forcé de son petit chat que Guy-Guy nous raconta nous fournit le texte d’un album que la classe illustra parfaitement et que j’emportai à Angers. (Je l’ai encore).
Elise et Freinet s’en enthousiasmèrent. Le 13/12/49, elle m’écrivait:
«Freinet vous demande comme une grâce de nous laisser encore un peu vos albums» La classe de Paul avait aussi présenté son «Jean-Marie Pen-Coat» déjà édité en «Enfantines».
Mais une plus belle récompense nous attendait: «Le petit chat au bain de mer» parut peu après en numéro 1 d’une nouvelle collection CEL en couleur d’albums d’enfants par des enfants qui devait durer quelques années. C’était une première et, pour moi, une totale surprise et un immense encouragement.
Je dois au stage de Boulouris (1956) que Freinet et Elise animèrent, ma prise de conscience claire de l’Art Enfantin. Elise faisait peindre enfants et adultes et partait en guerre contre le «pompier»:
«Ces dessins pauvres et secs, sans chaleur ni tendresse... Maisons tracées à la règle, hommes réduits à une anatomie sommaire... arbres aux toujours mêmes branches rayonnées... fleurs stylisées sans grâce...».
Elle lui opposait:
«La création originale, inédite, chargée d’affectivité et de caractéristiques personnelles dans la ligne, la mise en page, dans l’arabesque... («L’enfant artiste» CEL 1963).
Elle cingla d’un «Le pompier, c’est vous» la malheureuse qui avait posé une question par trop stupide. Elle voulait à tout prix sortir de l’ornière «l’indécrottable primaire». Aujourd’hui encore, elle trouverait à s’employer.
Dès 1949, elle s’était attelée à cette immense tâche et la poursuivit sans relâche jusqu’au début des années 60, par des cahiers de roulement et des chaînes d’albums. Les premiers traitaient de théorie, les secondes présentaient des réalisations de classes.
Pour déscolastiser le dessin et la littérature enfantine, elle s’acharnait à travers ces pages à pourchasser les poncifs, à secouer les inerties et les timidités, à fustiger les irresponsables qui laissaient traîner ou s’égarer un cahier..
Ses contraintes d’éditions pour «La Gerbe», «Les Albums d’Enfants», la revue «Art Enfantin» n’étaient pas toujours comprises, non plus que ses nécessaires exigences pédagogiques.
Elle maintenait haut sa pédagogie de subtilité et nous étions nombreuses à la suivre.
La classe maternelle au travail d’Hortense Robic que je visitai à Naizin, puis, à Saint-Cado (Morbihan) me stupéfia et me fit faire un grand bond en avant. «Un dieu est en elle», avait dit une inspectrice.
C’était si vrai que je n’ai jamais retrouvé mieux que ce petit univers chatoyant et laborieux où les petits de 2 à 5 ans maniaient avec le même bonheur: pinceaux, aiguilles, ciseaux, marteaux...Voici ce qu’en écrit Freinet, le 5 novembre 1961:
«Je ne m’étonne pas que la visite de sa classe ait fait avancer ton évolution. A voir les productions d’Hortense, on pourrait croire qu’elle n’est qu’expression libre, disons anarchique, non codifiée. Or, c’est Hortense qui, parmi les écoles maternelles, a l’organisation du travail la plus parfaite. J’ai vécu quelques jours dans sa classe et j’ai admiré le soin qu’elle apporte aux outils et à l’organisation du travail. Quand les enfants rentrent dans la classe, tous les outils sont prêts. Les enfants peuvent se mettre au travail. Hortense n’a à peu près rien à dire. Elle n’a qu’à aider ses élèves au travail».
Mais d’autres noms de petits pays devenaient des symboles: Augmontel - Tarn - (Cécile Cauquil), Saint-Benoît - Vienne, (MadameBarthot), Pitoa - Cameroun - (Lagrave) et tant d’autres qui se mirent à remplir la revue «Art Enfantin», les expositions, dans une profusion de lignes et de couleurs ; avec le moment fort de la «Maison de l’Enfant» du premier congrès de Nantes (1957).
La peinture enfantine a été le meilleur de ma vie d’enseignante. Outre la joie qu’elle m’a donnée, elle m’a permis de mesurer dans quel état de sous-développement l’école traditionnelle abandonnait les enfants. Car ce que l’art enfantin m’avait démontré était transposable à toutes les activités scolaires. Et c’est à Elise que je devais cette conscience-là.
Mais je serais tentée de croire qu’Elise elle-même a aussi appris en avançant avec nous. Le filon qu’elle avait découvert était plus riche qu’elle ne l’avait sans doute d’abord pensé. Comme nous, elle s’émerveillait des productions, de plus en plus riches, des «classes-artistes» dont sa propre école.
Le 10 juin 1961, elle nous exprimait son enthousiasme: «Nous sommes actuellement plongés dans l’aménagement de notre musée de Coursegoules. Nous sommes envoûtés et pensons céramique... Ce sera un succès que notre maison. Que d’enseignements pour moi, en cette fin de carrière! Chapeau devant l’enfant!».
Mais c’était elle «l’inventeur». Elle qui, la première en France, avait porté le pic dans la veine en nous invitant à l’imiter. Il ne faudrait jamais l’oublier.
Je n’en étais pas restée à l’art enfantin. Dès 1949, ma classe pratiquait le texte libre que j’avais abordé sans appréhension, croyant que: papier + crayon = texte libre. L’exploitation que j’avais vue en faire Madame Veillon, dans sa démonstration du congrès d’Angers: vocabulaire par la chasse aux mots, grammaire, orthographe... bousculait la tradition mais ne m’effrayait pas trop.
J’en serais peut-être restée longtemps à ce stade du texte narratif dont on usait ensuite plus ou moins traditionnellement, si je n’avais vu naître dans la classe de Paul, à l’école des garçons, des textes qui, par leur fantaisie, leur poésie, l’expression directe ou indirecte d’une joie ou d’un tourment me firent m’interroger sur cette mise à la liberté qui avait si bien porté ses fruits dans mes ateliers artistiques. Mais il m’apparaissait clairement que les enfants n’accèderaient pas spontanément à cette liberté. Là, non plus, il n’y aurait pas de miracle si je ne m’en mêlais pas. Il fallait un apprentissage, un certain forçage, la nécessaire prise de conscience par les enfants que, non seulement, ils avaient des yeux pour voir, mais une vie intérieure pour sentir et ressentir. Et que ce qu’on sent et ressent, on peut l’écrire.
Je me donnais alors le droit, sans culpabiliser vis-à-vis d’un idéal de liberté formelle, d’exiger d’eux un texte obligatoire, à heure fixe. Seule liberté: le thème.
C’est ainsi que par un tâtonnement semblable, mais bien plus rapide que celui que nous avions connu en art enfantin, la classe entra dans le texte libre libre qui méritait son nom parce que les enfants avaient appris à ouvrir en grand l’éventail de toutes leurs possibilités, dans une véritable liberté d’expression qu’ils avaient conquise.
«Je crois que les perles sont des petits enfants. Je leur parle à mi-voix. Si quelqu’un m’écoutait, il ne comprendrait pas ce que je dis parce que je parle le langage des perles aux perles.» N 8 ans.
«La Terre s’est faite entre elle. Elle se guérit de sa fatigue. Elle est très fatiguée à force de tourner sur elle-même. Un jour, elle tombera, tombera. En tombant, elle tournera et des millions, millions de gens vont mourir en quelques instants. Ces pauvres gens qui n’avaient rien fait. Ça aussi, c’est l’avenir. Ça se fera, ça ne se fera pas. Je ne sais pas si la Terre tombera un jour. Tomberas-tu? Tomberas pas? Terre dure, Terre molle.» F. 9 ans.
Il y en eut des centaines de cette veine...
Je ne me lançai qu’en 1960 dans la méthode naturelle d’apprentissage de la lecture. Je comptais sur ma longue expérience du C.P. pour pouvoir, au besoin, redresser la barre. Car je ne pouvais me permettre d’échouer. Pour les enfants d’abord. Ensuite pour le bon renom de l’école laïque. Et, enfin, pour moi-même à qui les collègues n’étaient pas prêts à faire de cadeaux. Je dis donc adieu à l’ennuyeux «Poucet» et son écureuil. Un adieu définitif. Désormais, l’apprentissage se fera sans livre, à partir des textes d’enfants. Et tout se passera bien.
Jeannette Le Bohec

Pour l’apprentissage de la lecture et pour diffuser le journal scolaire, l’imprimerie était indispensable, je rédige le télégramme suivant adressé à la C.E.L. à Cannes:
«Envoyez police C. 14 - Composteurs - Casse - urgent - Ecole Neublans». Ce texte est refusé, mais le postier le renvoie après nous avoir consultés et vérifié que rien d’anormal n’était survenu à l’école. Nous avions déjà une presse et une police avec des caractères plus fins, nous allions pouvoir réaliser notre premier journal imprimé avec les petits et les grands élèves.
Nous échangions nos journaux avec des classes d’Alsace, de l’Aube, du Midi. Les textes libres nous apprenaient la vie dans des villages différents du nôtre. Parfois les élèves étaient très surpris. Ainsi, apprendre que dans un village du Midi, il n’y avait pas une seule vache, c’était impensable pour des petits Jurassiens. De même, apprendre que la quantité de vin récoltée dans ce même village aurait pu remplir tout le volume de notre classe - 10 m x 10 m x 4m - alors que le vin récolté dans notre village jurassien atteindrait à peine 50 cm, était incroyable.
Comment démarrer en peinture sans avoir la matière première, pratiquement inexistante? Au stage de Cannes nous avions su qu’il suffisait d’acheter chez un droguiste les poudres et pigments des peintres en bâtiment. Je préparais les peintures en les délayant avec du petit lait que la fromagerie nous donnait. Pour le blanc, nous utilisions les tubes de blanc pour les chaussures en toile!
Les enfants peignaient librement: aucun sujet imposé et aucun sujet refusé. Les enfants se sont passionnés très vite et peignaient beaucoup. J’avais créé une atmosphère, une ambiance qui facilite la création. J’essayais d’appliquer les principes de base de Freinet à l’atelier de peinture aussi: expérience tâtonnée - part du maître - milieu aidant.
Comme pour le journal, nous échangions nos peintures. Les classes du Midi nous surprenaient avec leurs envois aux couleurs éclatantes.
Chaque mois, des peintures étaient envoyées à Elise Freinet. Elles les renvoyait avec des conseils et des annotations: bien - assez bien - pompier - parfois très bien...
Madeleine Belperron

Freinet et Elise avec ses beaux journaux des Petits de l’Ecole Freinet, nous montraient qu’en classe, nous pouvions à part entière, avec les enfants, mettre en chantier un outil de libre parole et de communication: Le Journal Scolaire.
Cette petite étincelle devait allumer vraiment un grand feu!
C’était en moi comme une grande roue qui se mettait à tourner et m’entraînait dans le sens même de mes révoltes, et de mon envie de dépasser avec mes petits le cadre rigide de l’Instruction Publique «Lire, écrire, compter» en y ajoutant les racines de la vie vécue, sans étouffer les élans que chacun porte en lui dans ses rêves.
A la rentrée, révolution avec mes 48 CE 2, beaux garçons remuants et pleins de feu à l’idée «de faire»...quoi? Un Journal! «Près de l’étang», avec pour symbole, sur la couverture, le dernier né, prototype des constructions aéronautiques (nous sommes près de l’aéroport de Marignane): la silhouette de l’Hydravion géant, 6 moteurs, le S.O 200! Tant qu’à faire....
Le papier? Nous le ramenions fièrement par la Canebière, juché sur nos épaules. C’étaient les bobinos des quotidiens marseillais. On les allongeait en plusieurs couches épinglées. Michel les découpait à la cisaille de marine, sur la table de la cuisine.
La pâte à polycopier bave un peu à la cinquantième page... On grave bravement les linos récupérés à la B.O.A.C. compagnie d’aviation anglaise...On met trop d’encre sur le lino de couverture... Je couds les feuilles ensemble... Et nous envoyons ce trophée, fièrement à Alziary, ce camarade au grand cœur et à l’œil bleu, responsable des journaux. Plus tard il m’a raconté qu’il s’était dit, en voyant ces grandes pages pas trop d’équerre, ces marques d’encre «je n’ai jamais vu un journal aussi (a-t-il vraiment dit: «minable»?) mais si riche de contenu.
(...) L’année où Elise et Freinet avaient au Pioulier monté un four à céramique, et embauché un professionnel pour aider les enfants à démarrer, ils avaient demandé que beaucoup d’écoles leur envoient leurs créations, peintures ou dessins.
Nous avions posté notre provision, comme les copains. C’était normal. On n’y pensait plus....
...Freinet, devant la petite pièce de l’entrée, me dit: «Viens, je vais te faire voir les belles choses qu’on a sorties de notre four!»
Dans ses mains, je reconnais le dessin du Santon «la femme au fagot» - la bouscatière - de notre Conte de Noël.
«Tiens, il me dit, c’est ta classe, là-bas, dans le vieux chalet, à ta «Cabucelle», qui l’a dessiné. Je te le donne!»
L’épais carreau 25 x 25, gardait la naïveté de ses couleurs, mais il était transfiguré par le savoir faire de l’artisan, qui savait manier l’émail et le feu.
Je n’ai jamais pu dissocier l’objet du geste de celui qui me l’offrait: il est des étincelles qui réchauffent, longtemps.
Paulette Quarante

Je n’ai jamais rendu visite à Freinet en France, mais j’ai échangé avec lui une correspondance intense, qui a stimulé et orienté le travail de direction pédagogique que j’ai réalisé de 1955 à 1963 dans l’actuel Centre Infantil Helen Keller, qui s’occupe de l’éducation des enfants aveugles et ambliopes et où, pour la première fois au Portugal, autant que je sache, ont été appliquées les «Techniques Freinet» et pour la première fois au monde, elles ont été essayées avec des enfants aveugles.
Maria Amàlia Borges

On s’est toujours gardé de sombrer dans la gadgétisation, la fétichisation de l’outil. Celui-ci doit servir la vie, une vie valorisant au plus haut point la coopération, la création, l’imagination.
De l’imprimerie ou le cinéma, il y a 70 ans, à l’ordinateur ou la télématique, ces dernières années, le Mouvement a toujours su intégrer avec succès les dernières innovations technologiques. Les tentatives pour réduire la Pédagogie Freinet à la simple utilisation de techniques, outre que bien souvent elles sont l’œuvre de gens qui dénient à l’éducation scolaire sa dimension politique et qui, de ce fait, ont échoué dans l’appropriation de ces techniques, n’y changent rien et témoignent en définitive de nos réussites en la matière. Pour nous, il ne s’agira jamais d’innover, histoire d’innover. Bien au contraire, à travers ses réseaux de communication horizontale, la pédagogie Freinet a toujours fait la preuve qu’on pouvait utiliser ces différents outils autrement qu’aux fins mercantiles ou encore de domination et de manipulation auxquelles ils sont trop souvent voués.
Loin d’occulter tous ces outils et techniques qui ont jalonné l’évolution de notre Mouvement et qui représentent souvent à notre corps défendant la Pédagogie Freinet dans l’esprit de beaucoup de collègues et autres éducateurs, il convient d’affirmer toujours plus fort à quel point ils ont pu être galvaudés dans leurs récupérations diverses.
Pierrick Descottes

J’avais six ou sept ans quand, aux alentours de 1930 Freinet - ou, plutôt, sa pédagogie - arriva chez nous, un matin, sous la forme d’une caisse d’où Monsieur Oudin, mon maître, sortit parmi un tas de copeaux, un engin inconnu qu’il nous présenta comme étant une presse d’imprimerie, avec laquelle nous allions pouvoir imprimer un journal. Je sais maintenant que c’était une presse automatique ; la seule, d’ailleurs, que j’aie jamais vue et dont le mécanisme a toujours fait mon admiration. Un tour de manivelle, et la feuille engagée sur un plan incliné, était entraînée et plaquée sur le bloc de caractères par un rouleau presseur. On n’avait plus qu’à la prendre, imprimée, et tourner la manivelle dans l’autre sens, ce qui entraînait les caractères vers l’arrière. Alors, un rouleau encreur passait d’abord sur une plaque pour s’y charger d’encre, puis sur les caractères pour les encrer, pendant qu’une came soulevait le rouleau presseur afin qu’il évite tout contact avec les caractères... Bref, nous avions une presse automatique. Le malheur était qu’une partie du bâti en fonte avait été cassé dans le transport et il fallut toute la science du mécanicien local pour, au moyen d’une soudure «autogène», nous la réparer!
Au milieu des copeaux de la caisse, il y avait aussi deux caisses de polices de caractères, une pour nous et une pour la petite classe, des composteurs, des porte-composteurs...
On rangea donc tout cela. On fixa la presse sur un de nos longs bancs de chêne qui nous servaient de sièges sous le préau pendant les récréations. Et après des essais qui durent se montrer satisfaisants, nous pûmes commencer notre journal, sur le modèle de ceux que notre maître nous avait déjà montrés.
Dès qu’une feuille était imprimée recto-verso, on nous la distribuait, perforée de deux trous pour être enfilée sur deux vis de laiton maintenues par deux languettes de métal blanc. Cela, peu à peu, constituait notre «Livre de Vie». Deux rectangles de carton tenaient lieu de couverture et les collections de calendriers des postes subirent alors, dans toutes les maisons, un rude assaut.
Nous n’avions qu’une matière pour illustrer notre journal: le contre-plaqué. Nous y découpions des silhouettes qu’on appliquait sur des blocs de bois où elles étaient maintenues par des pointes dépassant de 2 ou 3 mm, pour prendre place sur la presse. Plus facilement on dessinait sur le contre-plaqué et on incisait le pourtour du dessin. On faisait, après, sauter tout autour la première couche de bois du contre-plaqué. On évitait ainsi le travail délicat de la scie à découper.
Nous échangions notre journal avec ceux de quelques autres écoles.
Nous recevions aussi des colis - Je ne me rappelle plus d’où ils venaient, ni comment - L’un d’eux, en tout cas, contenait des «graines» de vers à soie que nous avions élevés jusqu’à obtention des cocons. Dans un autre, il y avait des kakis bien mûrs et Mme Oudin avait apporté une petite cuillère afin que chacun puisse y goûter: «c’est comme de la confiture de citrouille!» disaient les copains. Ce que je répétais le soir à ma mère, sans préciser que, personnellement, je n’avais pas participé à la dégustation, le simple fait d’utiliser la cuillère après les autres me dégoûtait particulièrement.
Nous avons reçu aussi les premières B.T., et «Chariots et Carrosses» est, depuis ce temps là, bien restée dans ma mémoire.
Nous avions des séries de fiches dont nous reproduisions les dessins. J’avais eu à dessiner ainsi une charrue avec un drôle de versoir demi-cylindrique que je n’ai revu nulle part ailleurs.
Pierre Chaillou

C’était au début des années 60 ; et cette année-là, Nicole et moi avions décidé de faire correspondre les élèves de nos deux classes. Nous l’avions décidé de notre propre chef, ainsi qu’on pratiquait alors. Nous en avions informé nos élèves à la rentrée ; nous les avions «mariés» selon nos critères d’âges, de sexes, de milieu social, de caractère, de comportement, de choix préférentiels de leurs activités..., afin, pensions-nous, qu’ils échangent leurs lettres avec un camarade qui leur conviendrait au mieux. Nous avions également fixé un rythme d’échanges, codifié le contenu et la nature de ces échanges.
Nous habitions à une vingtaine de kilomètres l’un de l’autre et désirions tenter l’expérience d’une correspondance rapprochée. Cette proximité nous donnait l’occasion de fréquentes rencontres et à l’occasion de chacune nous avions pris l’habitude de nous apporter les lettres et les documents prêts à être envoyés au lieu d’attendre les délais d’expédition que nous nous étions fixés.
Mais, en échangeant ainsi au coup par coup, en devançant le rythme préétabli, sans nous en rendre compte, nous bousculions le système que nous avions élaboré au début de l’année et nous le mettions en déséquilibre pour finalement le faire basculer. Et créant ce déséquilibre, nous allions donner aux enfants l’occasion de démarches qui devaient nous amener à nous poser des questions qui n’avaient jamais jusqu’ici effleuré nos esprits d’adultes.
Nous nous sommes très vite aperçus que des enfants rapides répondaient dans un délai très court et arrivaient à s’envoyer lettres et réponses en bien plus grand nombre et en bien moins de temps que nous ne l’avions prévu. Certains écrivaient même sans attendre la réponse de leur correspondant. D’autres continuaient à écrire selon leur rythme beaucoup plus tranquille. Enfin, restaient toujours les récalcitrants, car il en existait! qu’il fallait toujours presser pour qu’ils arrivent à terminer leur lettre en temps prévu.
Il s’était créé dans la classe une motivation qui était née d’elle-même, en dehors de nous, les maîtres. Grâce à cette possibilité d’échanges plus rapides et plus nombreux, la correspondance changeait peu à peu de visage, prenait une place de plus en plus importante dans la vie scolaire et s’y implantait plus profondément. Petit à petit, au fil des jours et des ans, elle allait changer totalement l’atmosphère de la classe et son organisation.
Cette atmosphère nouvelle, si intéressante à voir se préciser et évoluer, nous engageait à réfléchir sur nos pratiques des années passées, à nous poser des questions sur l’attitude que peut réserver un enfant à la proposition d’écrire (proposition? obligation?) venue du maître. A réfléchir également sur la nécessité de s’organiser de manière à ce que la responsabilité de l’engagement d’écrire se noue entre les enfants eux-mêmes et pour qu’il ne soit plus le choix exclusif de l’adulte. Et finalement, nous ne pouvions échapper aux questions suivantes:
Dans une classe Freinet:
- Est-il obligatoire que tous les enfants écrivent à un correspondant?
- Peut-on accepter qu’un enfant se tienne en dehors de l’activité de correspondance?
- Un enfant ne participant pas à la correspondance, en souffrira-t-il sur le plan de l’expression libre, de la socialisation?
- Quelle place nouvelle la correspondance peut-elle être appelée à prendre dans notre pédagogie?
Nous n’étions pas les seuls à l’Ecole Moderne à nous rendre compte que des structures nouvelles pouvaient apporter à nos élèves, à nos classes, des possibilités d’expression auxquelles nous n’avions pas jusqu’ici donné le moyen de se manifester. Il fallait donc se débarrasser du cadre un peu étriqué dans lequel, nous avions jusqu’ici fonctionné, pour laisser la place à toutes les possibilités d’ouvertures que les enfants devaient pouvoir explorer. C’est ainsi que, dans le Mouvement, est né un nouveau chantier, qui, après quelques temps de tâtonnement, s’est donné le nom de correspondance naturelle.
Pourquoi naturelle? Tout simplement, parce qu’en suivant les intérêts des enfants, nous retrouvions toutes les démarches qui sont à la base des idées de Freinet et de ses méthodes naturelles. Ce fut un chantier très actif qui mobilisa des dizaines de classes. Nous nous rencontrions dans les congrès, dans les stages, nous échangions nos idées, nos découvertes, par lettres, par nos bulletins. Nous nous retrouvions sur ces bases toutes simples:
- plus de recherche de correspondants au début de l’année scolaire,
- ne pas imposer de correspondants à nos élèves. Attendre que naisse, chez eux le désir d’écrire.
Pour passer d’une pratique à une autre, pour donner à nos idées nouvelles, une réalité scolaire, il nous a fallu bien des années de confrontations, de discussions. Egalement bien des expérimentations, de mises à l’épreuve à même la vie des classes, abandonnées, améliorées, remises en chantier.
Nous savions bien que rien ne naît de rien. Que si nous en restions à attendre que l’enfant découvre la correspondance, par lui-même, nous courions à un échec certain: que jamais rien ne se produirait. Ainsi rapidement s’est posée la question de l’outil, comme dans toute technique de la Pédagogie Freinet. Nos tâtonnements pour arriver à des solutions de plus en plus affinées, nous ont amenés à établir des listes de classes, la formation de groupes pour pallier le trop grand nombre de classes intéressées.
La publication de «Gerbes» apportant des messages venus d’autres classes. Le chantier apportait le maximum d’idées, d’informations. A chacun, ensuite, maître et élèves, d’y puiser ce qui lui convenait.
Les échanges entre maîtres étaient passionnants, en fonction de démarches très variées, suivant les enfants, les années, les relations établies et les plus ou moins bonnes réussites. Ce qui se passait dans les classes n’était pas moins enthousiasmant car tout était devenu possible. Le champ des relations ne se limitait plus aux relations entre deux classes. Elles pouvaient s’établir à volonté dans les limites des possibilités de chacun des intéressés. Ainsi s’élargissait l’horizon national et même international. On ne recherchait plus seulement les classes de même niveau scolaire, les tranches d’âges correspondant à celles des enfants de la classe: au cours moyen, on pouvait aussi bien écrire à une maternelle, à un collège, à un lycée.
Parallèlement, s’élargissait la correspondance avec l’adulte. Cette dernière pouvant prendre autant d’importance que les échanges interscolaires. Et quant à son importance sur le plan civique et sociologique, il est inutile de le souligner.
Tous ces changements, venus sensiblement, d’une année sur l’autre, n’ont pas été, on peut l’imaginer, sans bouleverser la vie de notre communauté scolaire. On ne pouvait plus y travailler comme au temps où, chaque mois, on envoyait sa lettre et où on attendait la réponse pour en rédiger une autre. Au fur et à mesure qu’évoluait la correspondance, l’organisation journalière, hebdomadaire se devait d’évoluer elle aussi. Il a fallu inventer de nouvelles formes de travail pour se donner le temps de réaliser tout ce qui se mettait en chantier, prendre connaissance des envois écrits, écouter les bandes reçues, écrire individuellement, collectivement, enregistrer....
D’une forme plutôt individualisée du travail de chacun, on s’orienta, petit à petit, vers la constitution de groupes qui se révélaient plus efficaces et dynamiques. Ces groupes fonctionnels, temporaires au départ, finirent par s’institutionnaliser sans exclure pour autant les groupes de circonstances et prendre l’habitude de la vie en petite communauté, se fixer leurs propres règles de cohabitation tout en s’intégrant à celles de la collectivité. Le rôle du maître changeait, devenait moins intervenant. Nous en arrivions ainsi à mettre en pratique ce rêve d’autogestion qui était, à l’époque, le principe de base de nos recherches pédagogiques, en même temps qu’il était celui de beaucoup d’autres adultes, d’autres associations, en relation ou non avec l’Ecole Moderne.
L’autogestion, nous la retrouvions dans toutes nos activités: coopératives, pédagogiques. Par exemple, on n’avait plus la possibilité de vivre le texte libre comme auparavant: lecture collective, correction au tableau... Ensemble, nous avons mis au point des façons nouvelles pour qu’il garde sa place, d’ailleurs différente suivant les années et les élèves concernés. De même, nous avons dû innover pour les ateliers, le travail personnel, le journal scolaire...
Ainsi se continuait, se renouvelant sans cesse, cette belle découverte de la correspondance naturelle qui devait tant changer les classes qui l’avaient adoptée, qui devait nous faire progresser dans des directions que, sans elle, nous n’aurions jamais explorées.
Elle est encore présente aujourd’hui à l’Ecole Moderne. En raison des évolutions technologiques dont elle a tiré grand profit et auxquelles elle a su s’adapter, on la retrouve dans les réseaux télématiques, informatiques qui intègrent également le téléphone, le fax et tout ce qui, depuis les années 60, a forcément transformé, sinon l’esprit, du moins les conditions dans lesquelles on peut maintenant continuer de communiquer de classe en classe.
Marcel et Yvonne Jarry

Par ma classe de plus de 40 élèves, près d’un petit port du Finistère, un colis d’algues, de plantes marines, de coquillages, fut expédié à nos correspondants de je ne sais plus quelle région de France. En ouvrant le paquet sur son bureau, l’institutrice fut effrayée de voir un petit animal en sortir: un crabe!
Cris dans la classe! L’événement nous fut raconté par lettre. Il eut un succès chez nous. Peur d’un crabe! Ça alors!
La boîte à idées: question tirée un jour: «pourquoi y a la lune?». Son auteur, un bonhomme de cours élémentaire 1ère année. La discussion commence et s’échauffe quand un autre garçon s’écrie: «c’est Jésus! Il a tout fait! - sous entendu: à quoi bon vous casser la tête, puisque la réponse est toute trouvée? - Oh Jésus! Jésus! reprend vivement un troisième.»
Si mes souvenirs sont bons, les fillettes n’avaient rien à dire ; mais elles étaient intéressées. Je calmai le jeu en disant d’apporter des albums sur le soleil, la terre, la lune... Chaque album, magnifiquement illustré, fut étudié par un groupe de 2 ou 3 enfants et présenté à la classe.
Pourquoi y a la lune? Vaste sujet donc!
Jean Mahé

(...) La première année, en classe enfantine, puisque je n’avais pas obligation d’apprendre à lire, je me suis lancée dans la «lecture naturelle». J’utilisais notre propre matériel d’imprimerie à gros caractères. L’année suivante, j’obtins une nouvelle classe créée à l’école des garçons, un cours préparatoire. Après mon expérience de l’année précédente, je continuai sans risque ma méthode naturelle de lecture, à laquelle j’ajoutai la motivation apportée par la correspondance avec un C.P. de Saint-Chamond (Loire) dont l’instit était Maître d’Application (...)
La lecture des textes libres était l’occasion d’échanges entre les enfants (questions, précisions). La participation active à la «mise au net» motivait souvent un besoin de compléments sur des plans divers - aussi bien linguistiques que documentaires - qui intéressaient autant les maîtres que leurs élèves.
Un grand frère venu à Noël voir sa famille, dit à sa sœur qu’avant la guerre il y avait dans la grande classe une imprimerie et que les élèves y imprimaient eux-mêmes des poésies, des comptes rendus etc. L’imprimerie, objet interdit pendant la guerre à cause des utilisations possibles, avait due être cachée. Après maintes recherches, nous l’avons découverte dans le grenier. Notre premier journal scolaire reprenant son nom d’avant-guerre: «Jeunesse laborieuse», sortit en janvier 1946.
Toutefois, la deuxième classe, en attendant du matériel neuf, dut écrire à la main ses quatre pages.
Denise Poisson

Je repars gonflé à bloc de mon premier stage Freinet; - septembre 1961 - et désireux d’expérimenter. Aussitôt tout change: les gamins qui peinaient à faire des rédactions sur des sujets imposés se mettent à parler de ce qu’ils vivent et prennent plaisir à en faire part aux autres. Au lieu de prendre les problèmes dans le manuel, on les invente et, plus tard, avec la méthode naturelle de math de Paul Le Bohec, on découvre des horizons infinis... Avec le magnétophone, le langage oral prend sa place et son importance - mais dommage qu’il n’ait pas été plus utilisé...
On commence la correspondance: avec la Tunisie, au moment de l’affaire de Bizerte, les petits Tunisiens nous écrivent qu’ils voulaient tuer les soldats français - L’actualité de la décolonisation nous touchait directement...
On remplace les leçons ex-cathedra par les exposés d’élèves.
Joseph Portier

Là où je me plaisais le mieux avec mes élèves, c’était quand, l’essentiel du travail de la journée étant fait, nous pouvions dessiner et peindre... En réalité, dans le milieu de la journée, quand un élève estimait qu’il avait fini le travail donné, il laissait son cahier sur le coin de la table pour que je puisse jeter un coup d’œil en passant, et il pouvait sortir son cahier de dessin (format cahier écolier, mais sans lignes, fourni par la commune), et dessiner au crayon ordinaire et aux crayons de couleurs pour ne pas distraire toute la classe par des allées et venues vers le matériel de peinture... En fin de journée je passais. Je feuilletais l’un ou l’autre cahier. Je demandais des explications sur ce qui était dessiné, ou bien je disais: «Il est amusant, ton clown!» ou bien: «J’aime bien tes petites maisons. Elles ont l’air de petites bonnes femmes sous leur capuchon» etc. Puis je disais: «Si tu avais beaucoup de courage, (!) tu pourrais refaire ce dessin-là sur une grande feuille» - souvent papier canson de taille moyenne car nous n’étions pas riches! On m’avait dissuadée de peindre sur papier d’emballage, car la peinture, en principe opaque, laisse quand même paraître un peu la couleur du papier, m’avait-on dit, et ça rend les couleurs moins belles. On m’a dissuadée aussi de faire faire les grandes lignes du dessin à la craie, mais directement à la peinture. C’est pourquoi j’avais trouvé cette solution moyenne de «projet» sur cahiers. Avec la peinture on recommandait de peindre toute la surface.
Plus tard, avec les crayons feutres on pouvait choisir un papier de couleur.
Les gros crayons feutre convenaient généralement, sauf pour quelques élèves qui aimaient faire des arbres, des fleurs, des animaux, des personnages avec beaucoup de détails. Alors on a acheté aussi des stylos feutre fins...
Des collègues des classes voisines ont apprécié les dessins qu’elles voyaient affichés aux murs de notre classe. L’une d’elles aurait voulu que je vienne faire dessiner ses élèves. Mais c’était impossible! Je ne pouvais pas forcer à dessiner celui qui n’avait pas d’idées pendant le temps attribué, et la collègue n’aurait pas pu supporter ma façon de faire fantaisiste (laisser faire du dessin pendant que les autres font autre chose!).
Avec ma manie de faire dessiner les plus petits - cinq ans - pendant que je m’occupais des autres, et de leur demander ensuite de m’expliquer avec beaucoup de détails, j’ai eu un jour une assez grande joie: une maman qui était venue chercher son enfant qui avait eu un bec de lièvre déjà corrigé en partie par une opération m’a affirmé qu’il avait fait de gros progrès pour parler depuis qu’il venait à l’école. J’avais l’impression que je n’avais rien fait de spécial pour lui!.
Marguerite Merklen

Avant de connaître Freinet, je suis déjà, grâce aux Daniel, sensibilisé à sa pédagogie et très motivé pour participer au Congrès de l’Ecole Moderne à venir, celui d’Angers, en 49, d’autant plus que l’un des thèmes de ce congrès s’intitulait:
«L’expression libre des enfants par le texte libre, les journaux scolaires, le dessin, le théâtre, le cinéma et la radio.»
En somme ce que nous avions abordé, en bonne partie, chez les Daniel ; cela ne pouvait donc pas mieux tomber.
Une autre surprise attendait les congressistes: la première projection du film: «L’école buissonnière».
Un moment d’intense émotion qui m’a permis de sentir L’ESPRIT qui imprègne la Pédagogie Freinet.
Cette fois, c’est le grand choc avec ce premier contact direct avec Freinet et plusieurs centaines de camarades unis par cette chaîne d’amitié et de coopération dans le travail qui fera l’originalité et la force du Mouvement de l’Ecole Moderne.
Et c’est l’occasion d’entrer dans la grande ronde de la correspondance avec un correspondant régulier et une équipe de correspondants mensuels. Personnellement, j’ai toujours considéré les échanges interscolaires comme une puissante motivation de travail et un apport très riche tant sur le plan pédagogique que sur le plan social.
Un exemple: mes grands élèves du CM2 et de F.E. ayant vécu la longue grève des cheminots en 53 alors qu’ils étaient chez leurs correspondants près de Troyes, à 800 km de la maison, sans plus pouvoir communiquer avec leurs parents, doivent encore se souvenir de ce que peut être une grève dure. Au bout de 19 jours chez les correspondants, au lieu des 8 ou 9 jours prévus, nous avons dû affréter un car pour rentrer en Bretagne avec le billet retour SNCF en poche.
Emile Thomas

A Moëlan St-Thamec je me suis lancée dans le texte libre et le dessin libre. Je faisais mon propre tâtonnement sur des disciplines qui ne me semblaient pas trop dures à appréhender, sur l’expression orale également.
Je n’ai pas tout de suite abandonné le livre de lecture que j’ai trouvé dans l’armoire de la classe, d’autant plus que l’inspecteur tenait à ce que je le garde en combinant les leçons de lecture avec les textes des enfants. Mais ça ne m’a pas plu et bien vite j’ai remis les livres dans l’armoire. «Lili et Toto» prenaient leur retraite.
Je ne me servirai que des textes écrits par les enfants ou écrits par moi sous leur dictée.
Mais il fallait se faire accepter des parents avec lesquels, ou tout au moins avec certains desquels nous étions déjà proches, car gravitait autour de l’école un groupe de parents intéressés par l’école et qui avait constitué une Amicale Laïque.
Le même mois, nous avions acheté chacun une imprimerie et tout le matériel ainsi qu’un limographe, une fortune!.
Le soir, je tirais au limographe les remarques que les enfants avaient faites sur les textes et j’ajoutais cette page dans leur livre de vie. Et ça a marché. Les parents ont accepté ce livre de vie comme livre de lecture de leurs enfants.
«Ne vous lâchez jamais des mains... avant de toucher des pieds», disait Freinet.
Les enfants dessinaient librement, illustraient leurs textes qu’ils essayaient de bâtir eux-mêmes. Peu à peu, je me suis rendu compte que ce n’était pas suffisant. Il fallait aider les enfants à se surpasser, à aller au maximum de leur expression, à préciser ce qu’ils avaient voulu exprimer, etc.
Peu à peu un état d’esprit nouveau s’installait dans la classe. On en est venu au calcul vivant, à l’organisation coopérative de la classe...
Pierre et Henriette Fort de l’Aube que nous rencontrions pour la première fois au stage de 1952 à l’école de Saint-Philibert Trégunc où René Daniel, en 1926 avait réalisé avec l’école de Freinet la première correspondance interscolaire - ont voulu correspondre avec nous, Emile passé dans la grande classe, et moi toujours au CP, avec pour les grands la promesse d’un voyage-échange à la fin de l’année (c’était la coutume à l’époque de faire ces voyages au début de l’été). Ça nous a un peu «effrayés» car Pierre et Henriette étaient des chevronnés et il ne fallait pas les décevoir, leurs élèves et eux-mêmes. Nous ne les avons pas déçus. On en parle encore 40 ans après.
La correspondance interscolaire a été un volet très important de la pédagogie Freinet, pour moi. Elle m’a beaucoup aidée à créer entre les enfants et aussi pour moi, une sorte de force, de motivation qui nous poussait toujours plus avant. Les parents vivaient intensément l’arrivée des correspondants. C’est dans notre petite école de campagne que je l’ai ressenti le plus lorsque la classe d’Emile recevait les «corres». Les parents se préparaient longtemps à l’avance, blanchissaient les murs de leur maison, faisaient le grand nettoyage. Il y avait toujours des volontaires pour accueillir les enfants qui ne pouvaient être logés chez leurs correspondants: maison trop petite, ou un autre empêchement. C’était l’événement de l’année.
A la rentrée 1957, pour des raisons familiales, nous nous sommes retrouvés à Brest, laissant des parents déçus de nous voir partir. C’est vrai que nous avions formé une équipe solide coopérative dans et autour de l’école grâce à cet esprit Freinet que nous avions réussi à faire passer.
A Brest, dans l’école maternelle où j’ai passé 13 ans, j’ai continué à travailler de la même façon.
Mon esprit logique, mathématique, m’a conduite naturellement à entraîner les enfants à raisonner, réfléchir, chercher des solutions pour régler telle ou telle situation, au lieu de leur mâcher la besogne, avec de temps en temps, le petit coup de pouce de ma part, mais aussi faire quelquefois la pause pour reprendre plus tard le problème: situation mathématique, organisation de la classe, recherche d’outils etc. Combien de fois j’ai constaté des démarches originales des enfants.
Mimi Thomas

1935-1936: Les techniques sont intégrées peu à peu. Nous engrangeons, encouragés, beaucoup de satisfactions. La coopérative scolaire fonctionne avec bonheur. Les candidats aux examens et concours ne subissent aucun échec, sans bachotage notoire. Les plus jeunes suivent l’exemple des grands. A certains moments privilégiés, on peut témoigner que la classe travaille dans une sorte d’enthousiasme. Du C.P. au C.S. chacun pratique la gravure du livre ; ou mieux la vit! Tous les moments libres sont consacrés au travail de la gouge après la réussite d’un dessin spontané. Je m’en réjouis car j’apprends moi-même combien la gravure exige une forte discipline sensorielle et motrice. Discipline majeure de la main et de l’outil qui ouvre la matière. Ensemble, nous inventons un outil inédit qui servira de gouge. Des baleines de parapluie (acier de qualité) coupées en bonne longueur, emmanchées sur de courts morceaux de manche à balai sciés à onglet, limées pour obtenir un tranchant efficace, deviennent d’excellents outils qui ne coûtent rien!
1937. Un ami graveur sur bois m’avait initié à son art. Lors d’une visite, il s’extasie devant certaines réussites. A tel point qu’avec notre accord il les présente à la galerie Mignon-Massart, la plus importante de Nantes. Elles ont été produites, assure-t-il, par une équipe de jeunes artistes que je suis censé diriger dans ma campagne. Accord de la directrice qui demande des tirages réduits à 20 exemplaires, sur beau papier, numérotés et signés. Un autre ami maître-imprimeur à Pornic, nous offre des tirages de qualité professionnelle. Prix de vente: 75 francs l’exemplaire (20 % pour la galerie). Ça marche si bien qu’une partie des fournitures scolaires est prise en compte par la coopérative scolaire. Le trésorier élu tient le registre. L’amicale prend le reste. Désormais notre Ecole communale rurale est devenue réellement gratuite!
1939. Il faut bien révéler à la directrice de la galerie que les artistes sont élèves d’une petite école primaire. Pour vaincre son incrédulité, quelques-uns de nos bonshommes se prêtent à dessiner, graver, imprimer devant elle, dans un coin de son bureau. Stupéfaite, elle offre d’exposer gracieusement les meilleurs gravures, dessins, aquarelles et gouaches dans sa galerie pour la première quinzaine de juin. Nombreux visiteurs intéressés. Echos dans la presse locale, reproductions à l’appui. Naturellement, les adversaires de notre Ecole pratiquent la classique ignorance superbe à notre succès.
Sur ce plan particulier, c’est toi Elise, qui as inspiré cette force militante de mon itinéraire. Au Pioulier, en décembre 1945, je t’en remercierai.
Maurice Pigeon

Lors de mon stage à Beaumont-sur-Oise, du 17 septembre 1961 au 15 février 1962 (classe de perfectionnement), je prends contact avec Georges Gaudin, responsable de la Commission «Spécialisée» de l’I.C.E.M.
Nous faisons la synthèse d’un cahier de roulement, à propos de la coopérative et de la discipline de travail. Dix camarades y participent. Il s’agit d’échanges, au sein de l’I.C.E.M., sur leurs pratiques coopératives, durant l’année 1961-1962.
Dans un chapitre: «Le Conseil de Classe», on peut lire: «Qu’on l’appelle Conseil de Classe, Conseil de Travail ou Conseil de Coopérative, c’est un moment privilégié de la classe, une prise de conscience progressive de l’existence du groupe scolaire et des responsabilités qu’il implique».
En 1962, à l’école Lamartine de Saint-Nazaire, dans ma classe coopérative de perfectionnement fonctionnant en auto-organisation, l’expression libre met les enfants en prise directe avec les réalités sociales et politiques.
C’est le début de mon aventure auto-gestionnaire, commencée avec Jean Le Gal, au sein du Groupe Freinet de Loire-Atlantique.
Elle se poursuivra à Saint-Nazaire, jusqu’en 1968. La Commission «Enfance inadaptée» de l’I.C.E.M. sera la première à rendre compte de nos recherches.
J’ai vécu, durant cette période, une intense activité pédagogique qui me mena à de nombreux stages, réunions, colloques, à des débats avec Laborit, Mermoz, Lobrot... à des contacts avec l’étranger.
Dans un leader de «l’imprimerie à l’école» en 1932, Freinet écrit:
«Théoriquement, si elle est comprise comme moyen pratique pour des enfants de s’organiser librement et de gérer leurs propres intérêts, d’améliorer même leurs conditions de travail, la coopérative n’est-elle pas entièrement recommandable et ne peut-on vraiment saluer cette initiative comme un essai pratique de réaliser l’auto-organisation des écoliers?»
Et Freinet relie son travail scolaire à un projet coopératif, à Bar-sur-Loup, aux côtés d’ouvriers et de paysans (La Coopérative Abeille Varoise) et aussi à un projet politique.
La Pédagogie Freinet, pour mériter le qualificatif d’auto-gestionnaire se doit d’accepter, de favoriser vis-à-vis de ses propres outils et techniques, la contestation et la critique des élèves car la formation de l’homme nouveau ne s’exerce qu’à travers la remise en cause permanente des techniques, des institutions et des individus, tant au niveau scolaire qu’au niveau social.
L’auto-gestion, c’est la libération de toutes les forces instituantes, la critique de l’ici et maintenant, la démystification de l’enseignant, c’est la prise de conscience de toutes les pressions institutionnelles qui s’exercent sur l’individu et sur le groupe. C’est une démarche réaliste et vivante.
C’est le tâtonnement expérimental appliqué au groupe, processus d’élaboration de l’aptitude à la critique sociale.
Elle ne saurait être réduite à l’utilisation de quelques techniques libératrices, ni limitée à quelques formules disciplinaires nées des conseils de classe.
Notre pratique de l’auto-gestion pédagogique est liée à notre conception politique et sociale de la société.
L’auto-gestion reste une idée jeune et neuve. Les difficultés de tous ordres ne doivent pas amener à minimiser la force de l’aspiration qu’elle contient
Elle n’est pas une utopie, elle apparaît comme la proposition de renouvellement et d’espoir.
Nos pratiques ne sont pas le fait d’éducateurs isolés.
De 1971 à 1982, les recherches se poursuivent au sein d’une Commission Nationale, éditant un bulletin où participent 60 camarades.
Des chantiers «autogestion» se développent au sein de l’Ecole Moderne, animés par J. Chassanne.
Ces militants, engagés dans une éducation sociale et politique, suscitent les critiques de ceux qui n’acceptent aucune remise en cause de la pédagogie Freinet, ni de l’I.C.E.M..
Pierre Yvin

J’avais été frappé par le comportement des élèves de Delahaye. On ne les voyait pas tous aux récréations, un certain nombre, contrairement à la réglementation stricte de l’époque interdisant à l’élève d’être en classe sans la présence du maître, restait à finir un travail ou trop pris par celui-ci. On en voyait partir, non à onze heures trente, mais un quart d’heure, voire une demi-heure après la cloche. Ces mêmes, pourrait-on dire, revenaient à une heure pour la rentrée de une heure trente, s’introduisaient presque clandestinement dans l’école, contrairement aux nôtres qui attendaient presque la sonnerie pour pénétrer dans la cour où surveillait le maître de service. Delahaye, lui, était depuis longtemps dans sa classe avec ses volontaires. Par quel miracle ces enfants étaient-ils métamorphosés? A ma demande, Delahaye me donna toutes les explications voulues. Après le départ de ses ouailles, il m’invita à pénétrer dans sa classe où les tables étaient déjà dérangées pour occuper d’autres fonctions que d’accueillir un postérieur fatigué au bout de quelques minutes, à supporter un corps alourdi d’inappétence intellectuelle, et des membres qui intérieurement et par nécessité de l’âge auraient bien voulu s’agiter dans toutes les directions. Pas de bras croisés. La classe était une ruche bourdonnante, certes, où la récolte de son miel se faisait par la participation désirée, voulue, de chaque élève. Ici, on imprimait un journal scolaire: «La petite usine» qu’il fallait faire propre et sans faute pour envoyer aux correspondants d’une école éloignée de France, travaillant dans le même sens, là on observait et notait l’évolution de poissons dans un aquarium après que le maître et les observateurs eussent réfléchi sur ce qu’il convenait de savoir et qu’un plan eût été élaboré dispensant pour un temps le maître de patronner ses enfants. On disposait aussi d’un pathé baby. Les films que l’on passait servaient à asseoir quelques connaissances. Dans un coin encore la scie débitait en morceaux convenables le contre-plaqué qui allait devenir après calcul, dessin, évaluation de dépenses, un coffret ou un porte-brosse. Chacun s’y retrouvait.
Jean Vial

Les élèves sont pour le moment disposés en U. C’est le moment décisif où le texte de l’enquête sur le voyage des pèlerins à la Mecque va être rédigé avant l’impression. Au tableau, le maître a reporté ce texte qui est commenté du point de vue du style, de la syntaxe, de la propriété des termes. Au beau milieu de la classe, le projecteur de diapositives est en batterie, prêt à fonctionner. Au fond, se trouvent l’imprimerie, les tables de travail où les enfants peuvent fabriquer leurs propres diapositives, et le matériel audiovisuel: magnétophone, appareil photographique, etc....
Aux murs, les textes réglementaires (progressions), mais aussi un planning à éléments détachables, propre à «l’Ecole Moderne». Lorsqu’une partie du programme officiel a été traitée, il suffit d’ôter l’étiquette correspondante.
Mais ce n’est pas tout. Les enfants de l’Ecole Moderne sont, on le sait, de merveilleux dessinateurs, et ceux-là confirment pleinement la règle. La décoration de la salle témoigne du sens de l’observation, mais aussi de l’imagination et du goût artistique des enfants. On prend alors conscience des lacunes de la pédagogie traditionnelle, qui fait du dessin, une discipline annexe, alors qu’il peut et doit être un extraordinaire instrument de connaissance et d’expression.
Avant notre arrivée, les élèves avaient procédé à une enquête sur un événement capital. Il s’agissait pour eux d’effectuer une recherche très détaillée sur le pélerinage à la Mecque auquel participaient souvent les membres de leur famille. Des groupes s’étaient rendus dans les agences de voyage, avaient interviewé les responsables, s’étaient procurés des documents.
Les éléments du puzzle allaient être assemblés pour aboutir, d’une part au texte libre, mais aussi à la leçon de géographie, d’histoire, de calcul, d’étude de milieu, de dessin. Le thème peut sembler exceptionnel, il n’en est rien. On a l’impression que chez le maître, car, il est chez lui dans sa classe, l’exceptionnel est quotidien. Ce n’est pas une boutade: que l’on en juge par les exemples des thèmes qui vont suivre. La fête du mouton fait elle aussi l’objet d’enquêtes approfondies, de même que la révolution agraire, enfin tout ce qui est d’un intérêt à la fois actuel et humain, tout ce qui peut transformer l’acte en éducation totale de l’homme et du citoyen.
L’après-midi, le maître nous a dévoilé les trésors d’ingéniosité grâce auxquels il a pu «démarrer». Rien, ou presque, au départ. Une planchette, quelques clous et un morceau de toile et voilà une imprimerie. Et pour le rouleau? ont demandé nos stagiaires intrigués. Pour le rouleau, il suffit de prendre un morceau de manche à balai et de la gaine d’un morceau de vieille chambre à air!
Le maître ne se limite pas aux démonstrations verbales. Tout en parlant, le voilà qui prépare sous nos yeux un stencil, qui encre le support, et voilà le texte dont il distribue des exemplaires à la ronde. Habituellement, c’est un groupe qui est chargé de ce travail, mais aujourd’hui le temps presse.
Mais la véritable surprise et le clou de la soirée, c’est l’audiovisuel que le maître a depuis cette année intégré à son enseignement. Ce sont les élèves qui ont la joie de voir leurs dessins projetés en images lumineuses sur l’écran, accompagnées de la bande magnétique qu’ils ont réalisée eux-mêmes avec bruitage et fond sonore. Des trucages simples, des variations lumineuses donnent à cette séance une extraordinaire ambiance de poésie enfantine. Déjà, les techniques du mixage et du montage sont acquises, bien avant les mots sans doute.
Une innovation intéressante concerne le fichier autocorrectif. C’est une mémoire composée d’une boîte à fiches où les élèves puisent les connaissances qui leur font défaut, et qu’ils enrichissent au fur et à mesure, lors des leçons, mais aussi chaque fois que l’occasion se présente de vérifier telle ou telle règle de grammaire ou l’orthographe de tel mot.
Rapport de visite chez Abdelkader Bakhti

Dès ma 1ère nomination, je mis en place des échanges avec une école mayennaise. Bien sûr, les échanges furent modestes mais déjà une prise de contact entre élèves, de quelques heures, un mercredi après-midi, permit d’apprécier les bienfaits de cette forme de travail.
Dès lors, allaient commencer d’année en année d’autres formes de correspondance scolaire en privilégiant toujours la rencontre humaine entre les élèves.
Pas besoin d’être distants de plusieurs centaines de kilomètres pour trouver le dépaysement, quelques dizaines suffisent: campagne-ville, petite école et groupe scolaire...
L’expérience aidant, l’envie de varier les échanges m’ont amené à oser une aventure «folle» et rompre complètement avec la logique qui m’avait animé jusqu’à présent!
Une opportunité? un défi à moi-même? un pari fou? toujours est-il qu’une correspondance de 7 ans avec la Guadeloupe allait apporter des échanges aux formes inattendues avec une saveur exotique!
C’est grâce à la présence dans ma classe d’une famille antillaise dont le papa avait proposé, à l’occasion d’un voyage aux Antilles, de porter un colis dans l’école de son village d’origine.
Ainsi allaient démarrer des envois distants de 7000 kilomètres avec l’impossibilité de se voir au cours l’année scolaire.
Ce sont eux qui ont pris l’initiative de venir les premiers au bout de 5 ans de correspondance.
Le retour eut lieu 2 ans plus tard. La possibilité d’y participer fut offerte à tous les élèves ayant correspondu scolairement, et de découvrir la Guadeloupe et plus particulièrement Anse-Bertrand.
Il va sans dire que la découverte d’un territoire d’Outre-Mer restera gravée dans ma mémoire et dans celle des enfants. Pour la plupart d’entre eux, c’était la 1ère fois qu’ils sortaient de la métropole.
Avec le recul, en analysant cette expérience, je me rends compte que je la dois au mouvement I.C.E.M. et donc à Freinet que je n’ai rencontré qu’au travers des livres et documents.
André Brochard

La peinture coûte cher. Qu’importe! Quelqu’un trouve un moyen pour faire face: on achète à peu de frais de la poudre de couleur bon marché chez un droguiste et on la fixe avec du lait écrémé... et oui, nous l’avons fait... en attendant la «solugouache» et surtout les crédits qui permettent de l’acheter.
Le dessin libre utilise beaucoup de papier, alors commence la chine, chez les peintres, les droguistes, des grands albums de papier peint, lors des renouvellements des collections.
Un père d’élève, devenu père d’ancien élève avec les ans, représentant dans une grande droguerie en gros, continuera à nous en apporter en quantité pendant des années.
Le verso de chaque feuille est blanc, enfin presque, si on fait abstraction de l’énorme numéro noir qu’il porte en son centre et que les enfants ont souvent du mal à couvrir avec la peinture.
On fait aussi le tour des imprimeries pour récupérer les chutes de papier ou les restes de rouleaux.
Les techniques d’impression coûtent cher, notamment le lino ; chez des artisans poseurs sur sol on récupère chutes et échantillons. On cherche même le plastique que les enfants découpent ou sur lequel ils dessinent avec une colle à tissu ; «le texticroche», qui permet un tirage d’une cinquantaine au moins d’exemplaires.
Puis on utilise la carte de Lyon, le bristol gravé au stylo-bille ou découpé et collé en couches successives après avoir cherché à utiliser des techniques de gravures sur zinc et sur cuivre abandonnées à cause de l’usage des acides qui s’avèrent trop dangereux pour les enfants malgré tous les stratagèmes inventés pour leur en éviter le contact.
Cette recherche est fructueuse et ouvre des horizons sur l’utilisation des matières pour l’expression artistique.
Tout cela est présenté au cours des réunions et des stages, chacun apportant au groupe sa découverte.
Ainsi va le progrès par la recherche collective et anonyme, ne réclamant aucune reconnaissance de droit d’auteur, d’aucune sorte.
(...)
Le groupe normand organise sa propre exposition permanente, une exposition qui sera à la disposition des camarades organisateurs de réunions ou de stages, ou de toutes manifestations Ecole Moderne de la région.
Nous en prenons la responsabilité. L’ensemble des œuvres répertoriées est rangé dans une énorme caisse de contre-plaqué d’environ 1,2 x 1,5 x 0,2 m organisée de telle sorte qu’elle puisse être expédiée rapidement, par train ou camion, à la demande.
Nous avons fonctionné ainsi pendant des années.
Certes, nous ne nous barbouillons pas de grands mots et à travers les œuvres enfantines, nous ne cherchons pas à évaluer les compétences de nos élèves à l’aune d’on ne sait quels critères que nous aurions établis ou qu’on nous aurait fournis sur on ne sait quelle base soi-disant objective.
Ce que nous voulons, c’est aller le plus loin possible avec les enfants ; ne pas les mettre en concurrence les uns par rapport aux autres, mais au contraire les amener à s’aider, à s’épauler sans rivalité d’aucune sorte. La concurrence, le plus souvent travestie en émulation, stimule sûrement certains parmi les meilleurs mais, malheureusement, décourage plus souvent les plus provisoirement démunis.
Les comparaisons que nous proposons sont celles qu’on fait avec soi-même ; celles qui consistent à constater ce que l’on peut faire aujourd’hui que l’on ne savait pas faire hier.
Il n’est sûrement pas sain de chercher à se dépasser uniquement pour dépasser les autres. Il est peu, très peu de champions et beaucoup de gens ordinaires.
Nous voulons avant tout à partir de la vie, aller vers la vie, là où du passé naît l’avenir.
Nous nous refusons à substituer à la scolastique, tant critiquée par Freinet, une nouvelle scolastique moderne tout aussi néfaste que la première, faite elle-aussi d’exercices abstraits, présentés comme des situations de vie, tout comme les problèmes des certificats d’études étaient donnés comme des exercices de la vie pratique. Nous refusons d’entretenir ces illusions ; nous nous méfions des savantes réflexions pédagogiques qui ignorent le plus souvent la vraie vie.
On a envie de crier, aujourd’hui comme hier: «laissez les enfants vivre!» ou plutôt: «faites-les vivre naturellement comme des enfants!»
Guy Goupil

Le journal scolaire, la correspondance, le voyage-échange, ont motivé l’essentiel du travail. Ils ont laissé des traces profondes chez les élèves. Certains ont maintenant la cinquantaine et parlent encore du journal, des correspondants, et du voyage-échange qu’ils ont fait.
Les techniques en constante évolution doivent être maîtrisées pour servir et non pas pour asservir ; rien n’est définitif, il faut aller de l’avant dans une recherche permanente.
C’est ce que nous avons fait.
Il est réconfortant de constater que trente ans après la disparition de Freinet, les nouvelles générations qui ne l’ont pas connu travaillent avec le même élan, avec le même esprit et aiment encore contacter les «anciens».
Camille et Yvette Février

Un grand principe chez Freinet, c’est l’expression libre de l’enfant, au premier chef le texte libre.
Quelques exemples feront comprendre le comment et le pourquoi d’une telle expression:
Louis est un garçon doux et souriant. Né juste avant la guerre, il a à peine connu son père qui, prisonnier en Allemagne, n’est rentré chez lui qu’à la Libération. Louis a donc vécu cinq années seul avec sa mère sur une petite exploitation rurale. Avec le retour du père, c’est une petite sœur qui est née et Louis a dû partager la mère qu’il avait pour lui tout seul pendant ces années. Un jour, il nous a raconté un rêve: il avait construit un avion pour traverser la Manche et il embarquait dans l’aventure sa petite sœur. Mais l’avion avait eu des ratés et il s’abîmait en mer, engloutissant Louis... et sa sœur.
Rêve, puis récit à toute la classe. Cela a-t-il aidé l’enfant?
Bernard est un joyeux luron qui n’hésite pas à se moquer de lui-même. Il nous lit un matin l’aventure qu’il a vécue la veille au soir: alors que la famille se préparait à manger la soupe, la pluie s’annonce ; «vite, il faut ramasser le linge qui est étendu» dit la mère à ses deux filles. Bernard, qui n’aime pas la soupe, se précipite vers le buffet, prend des morceaux de sucre qu’il fait fondre dans son assiette ; mais ce n’est pas ce qu’il espérait. «Je n’ai pas faim - eh bien, passe ton assiette à Andrée.» Celle-ci commence à manger mais s’étonne du drôle de goût. «Oh! dit la mère, tu as voulu sucrer ta soupe! tu vas tâcher de me la manger!». Le récit que fait Bernard, le penaud, est salué par les rires des camarades et, avec l’accord de l’auteur, on décide de jouer la saynète pour la fête de Noël. Le succès près du public fut assuré.
Dans les années 50, on ne parlait pas de sexualité de façon aussi libérée que maintenant. Quand Pierre annonce qu’il a un texte «J’ai mené ma chèvre au bouc», l’instituteur, citadin, se sent dans ses petits souliers. Mais il faut laisser lire le texte. Or, c’est tout simple: Pierre et ses copains ont mené la chèvre jusqu’au clos du bouc, y ont fait entrer la biquette, puis sont sortis après avoir fermé la barrière. Et que pensez-vous qu’il arriva... Par dessus la haie, le bouc, plissant le nez, faisait des grimaces aux enfants. Et Pierre, tout en lisant, grimaçait lui aussi, et cela nous fit tous rire.
On ne rit pas toujours en classe. Quand Guislain propose «Les colères du maître», je ne peux que laisser lire, et, malgré plusieurs autres textes intéressants, c’est évidemment le texte de Guislain qui est choisi, imprimé, distribué à chaque élève et inséré dans le journal que la classe envoie à des classes correspondantes.
Ce sont là des témoignages pour montrer la diversité des récits que les enfants peuvent écrire et pour souligner combien les camarades de la classe sont attentifs à ces «confidences» de leurs condisciples. Evidemment, quand le texte lu est plutôt écrit pour son intérêt documentaire, les questions posées à l’auteur éclairent le propos et peuvent mener à des débats ou des études plus poussées qui feront l’objet de recherches dans les livres, qui inviteront en classe un déporté rescapé du camp de Struthoff ou un ancien mineur de la mine de fer de Diélette ; elles seront aussi l’occasion d’une enquête. Ainsi sont nées, entre autres, deux B.T. très différentes l’une de l’autre:
Le vitrail: à partir d’un texte de Pascal qui racontait comment il avait réalisé un vitrail ; discussion, interrogation, décision: il faudrait voir comment se fait un vrai vitrail. Comme on ne peut se déplacer à trente-cinq, une équipe ira jeudi - c’était avant le congé du mercredi - avec le maître visiter l’atelier du maître-verrier M. Bourget. Visite, échantillons de verre et plomb, compte rendu en classe. Et, après mise au net, un manuscrit qui est accepté par les P.E.M.F.. est édité et servi aux abonnés.
Ainsi naît la vie: Vincent apporte en classe un épi de maïs qu’il a cueilli chez ses grands-parents ; il explique la fécondation: épi mâle, épi femelle. Etonnement des auditeurs. Puis: «c’est comme cela pour tout?» Discussion. Et, évidemment: «Et pour nous alors?» Il n’y a plus qu’à mettre au net le dialogue qui s’est instauré en classe. Puis, avec le contrôle de trois mamans des enfants qui ont le plus participé au début et qui ont accepté de relire le projet avec l’instituteur, un nouveau manuscrit est adressé aux P.E.M.F. et, en septembre 1970, est servie la B.T. N°710. Bien sûr, depuis vingt-cinq ans, la libération de la parole quant à ces problèmes de sexualité a dépassé le cadre modeste de la brochure ainsi réalisée, et c’est tant mieux. Mais encore fallait-il écouter, accepter le débat en classe et essayer d’apporter des réponses aux interrogations des enfants.
La classe est une communauté de travail ou chacun mène en partie la vie de tous. Il est bien évident que le maître d’école n’abdique pas devant ses élèves ; il ne s’agit pas de laisser faire et laisser dire ; ainsi que le disait Freinet, c’est la discipline du travail qui régit la vie scolaire. L’écoute d’un texte, son choix parmi d’autres, sa mise au point collective, vocabulaire, syntaxe, orthographe, devant tous au tableau, c’est une vivante leçon de français. Mais ce sera peut-être aussi l’occasion de préciser des notions d’histoire, de géographie, de calcul. L’exploitation du texte libre peut être variée, mais il peut aussi se suffire à lui-même.
Cette communauté de travail, on la vit au jour le jour, de façon intense, dans une classe transplantée comme celle que nous avons vécue en 1975: classe verte au manoir d’Imbranville et où, à chaque heure de la journée, enfants et adultes - l’instituteur et les collègues détachés avec lui - vivaient très proches les uns des autres, et où le maître n’était plus le personnage distant, mais celui avec lequel on partageait les repas et avec lequel on pouvait bavarder ou plaisanter. Et les visites en groupes de travail enrichissaient par leurs comptes rendus l’album de fin de séjour. Mais, là aussi, l’extérieur apportait ses «leçons»: le travail en laiterie, l’exploitation maraîchère, les basses-cours, le château Renaissance. Même un jour, c’est Patrick qui a été l’enseignant: il nous fit découvrir, dans un sentier très ombragé, alors que nous partions en exploration matinale, la grive qui, sur une pierre du chemin, cassait la coquille de l’escargot qu’elle venait de cueillir dans le fossé.qq
Fernand Lecanu

Sur le plan pédagogique, j’ai fait part à Guérin d’un contact avec une école groenlandaise et Paul-Emile Victor. L’école groenlandaise a enregistré en français une bande sur le thème «24 heures de notre vie», thème choisi par Guérin pour un multiplex international lors de l’inauguration de la Maison de la Rdaio à Strasbourg. Il est venu à Montargis pour enregistrer des étudiants finlandais. Je suis très heureux que mes relations avec P.-E. Victor aient permis la réalisation de B.T. sonores.
François Fergani

C’était au Congrès Freinet d’Angers à Pâques 1949, mon premier contact avec un rassemblement national des militants...
Je fus immédiatement accroché par le verbe haut d’un grand gars qui discutait avec deux autres collègues en regardant au sol une galette de cire qu’il essayait de faire tourner avec un système resté confus dans ma mémoire. C’était quasi une scène de marché aux puces... Et il disait:
«On va enregistrer sur la cire, comme Charles Cros. Les correspondants écouteront, égaliseront la surface et pourront à leur tour enregistrer leur message...»
- Enregistrer? Mais ça m’intéresse!!!
Et de découvrir Raymond Dufour...
Freinet, venu écouter les résultats, et adoptant le style Dufour, dit en riant:
- «Tu es sur la bonne voie. Je crois que tu as déjà atteint là un bon niveau de réussite. C’est au moins du 1%!»
A Nancy en 1950. Il fait appel à deux collègues: Piat et Hure, radios-amateurs ondes courtes, qui fabriquaient leur matériel de liaison radio avec le monde entier. Ils sont venus chacun avec un magnétophone à fil.
Oui... parfaitement! A fil de fer spécial, très fin, qui glissait dans une gorge à une vitesse très élevée, capable d’enregistrer et de restituer des sons - les premiers «dictaphones» des secrétaires de Monsieur le Directeur...-. Imaginez lorsqu’il cassait! des perruques... des perruques...!!! Il fallait alors faire des nœuds qui éliminaient des paroles. Et il coupait les doigts!
Au cours du congrès, c’est cependant sur de semblables engins que nos magiciens ont mis en ondes, «comme pour une véritable émission radiophonique», un petit album né dans la classe de Maurice Beaugrand de Grange-Lévêque (Aube): L’histoire de Cochonnet, diffusée à tout le congrès en dernière séance.
Au cours de la même année, à l’imitation de Piat, Raymond s’était essayé à enregistrer sur un magnétophone à fil. Toute une aventure, pour un enseignant non technicien!: son de mauvaise qualité, incidents multiples avec le fil.
C’est alors que Gilbert Paris vint...
Je l’avais rencontré dans les escaliers des coulisses de la salle des fêtes de Ste-Savine où il était venu enregistrer l’harmonie municipale pour, par la suite, leur graver des disques. Il était venu avec une caissette en bois dont la face supérieure portait deux bobines entre lesquelles défilait à bonne vitesse - 77 cm / seconde - un ruban standard. Ce ruban sera, par la suite, connu de tous. Et merveille! Ce jeune homme, préposé à la cabine technique d’un cinéma de quartier, avait fabriqué tout seul ce magnétophone, dont la qualité sonore m’émerveilla immédiatement. Pas de doute! Pour moi qui connaissais un peu la gravure directe sur disque, impossible à réaliser par des enseignants, il tenait la solution à nos recherches.
... Si bien qu’au Congrès de Rouen, en 1953, Gilbert est venu avec un appareil, volumineux certes, mais solide et d’usage universel, que l’on appela le «Combiné»: capable de lire les disques 78 tours, les nouveaux microsillons 45 tours et 33 tours et de sonoriser une fête scolaire, car de forte puissance sonore. Bref! Le loup Blanc!
Bien sûr, il pesait une bonne vingtaine de kilos!
«Première qualité d’un bon enseignant audiovisuel: être d’abord un bon déménageur», disions-nous. Les lois de la propagation des sons ne peuvent se modifier: pour avoir puissance et qualité sonore, il faut le poids et le volume».
Dufour (Oise), Denjean (de Beauvoir-en-Lyons - 76) avec qui j’ai fait un des premiers voyages-échanges en 1946, Lagarde (Vayres - 33 -), Brillouet (la Vallée en Charente-Maritime) et moi-même avons été les premiers équipés. La correspondance sonore s’ajoutait aux autres techniques Freinet. Ce n’était plus de l’utopie!
Une documentation multi-médias prenait son élan. Pages imprimées, lettres individuelles, posters, albums illustrés de photos en positif, diapositives en noir et blanc, enregistrements sonores, etc... composaient les envois.
Pour l’ensemble des militants, l’enregistrement magnétique était devenu une technique Freinet évidente, même s’ils ne la pratiquaient pas. L’organisation, en été, des stages familiaux de 12 jours de formation aux techniques audiovisuelles attira quasi régulièrement de 80 à 150 camarades pendant plus de 25 ans.
La ténacité de Raymond devait nous faire aller plus loin. Plusieurs fois, il avait insisté pour que Gilbert Paris et moi soyons avec lui à une rencontre avec un professionnel de la radio, Jean Thévenot qui, chaque semaine, le samedi à 14 h, diffusait des enregistrements réalisés par des amateurs disque ou grâce au ruban.
- «C’est lui qu’il faut voir», avait bien précisé Raymond.
Grâce au «Combiné» de Gilbert Paris, Raymond avait pu envoyer à Jean Thévenot des bandes enregistrées dans sa classe. L’une d’elles, Le Rémouleur, avait été diffusée dans l’émission de la deuxième chaîne de la Radio-Télévision Française, l’émission Aux quatre Vents. Peu de collègues l’avaient écoutée, mais lorsque nous l’avons découverte, elle nous accrocha immédiatement. Son ton était tout à fait nouveau à la Radio.
Ce qui frappait, d’abord, c’était le ton, authentique des élèves de Raymond qui n’étaient plus des écoliers, mais des jeunes, curieux de parler avec ce personnage pittoresque, qu’ils voyaient de rue en rue. L’ambiance sonore, les crissements des lames sur le grès de la meule qui tournait cahin-caha, grâce à un système prélevé sur une vieille bicyclette, les réponses sobres du rémouleur, coupées par ces bruits de travail...
- «Oui, mon petit, c’est assez dur...
(bruit de lame qu’on aiguise...)
- J’ai plus de poumons...»
Tout cela s’enchaînait harmonieusement et apportait une émotion profonde à ces trois minutes d’instantané sonore. Pour le sujet lui-même, le ton des personnages, cette ambiancen’avait rien de commun avec la majorité des reportages rigides des professionnels de l’époque.
Il nous fallut mieux connaître ce Jean Thévenot.
Ce fuent les débuts d’une étroite collaboration de près de 30 ans avec Jean Thévenot et laradio de service public.
Le travail continuel en réseaux coopératifs permit de parfaire notre maîtrise de la technique et celle des enfants qui se révélèrent très performants, tant dans la prise de son que dans le montage et la maîtrise de l’oral.
Autre conséquence immédiate de cette rencontre, nous avons mieux pris conscience d’un invariant fondamental des techniques Freinet: le changement de statut de l’enfant par la pratique des techniques de communication, comme l’imprimerie l’avait réussi. Il effectue un vrai travail, ayant une valeur sociale indéniable: lorsque les auditeurs de la France entière écoutent Sabine, 7 ans, (élève de Claude Curbale), interviewant sa mamie charcutière, ou - autre instantané sonore qui fut célèbre - lorsque, dans ma classe, nous avons ouvert un colis venu des Nouvelles Hébrides, dans le Pacifique, avec textes, albums, lettres et coquillages qui nous faisaient rêver...
En 1955, Gilbert Paris apportait au Congrès d’Aix-en-Provence un nouveau matériel de sa conception: le Multistandard C.E.L. capable d’écouter et d’enregistrer dans tous les formats existants avant que le dynanisme commercial d’une firme impose au monde entier son standard d’enregistrement. (Largeur de la bande, position de la piste enregistrée, vitesse de défilement. C’est ça une «norlaisation»!).
Bientôt aussi, Gilbert sortait un magnéto à cassette autonome, commun dans le commerce, mais bien amélioré, possédant une qualité compatible avec une diffusion radio.
Un Central de regroupement et de préparation des bandes envoyées par les classes pour l’antenne radio s’installait, d’abord dans notre chambre à coucher puis dans le sous-sol de notre maison où Gilbert viendra travailler.
Une sonothèque coopérative était créée et, dpuis 1960, nous avons alimenté plus de 650 émissions et mis au point près de 300 titres de disques et de cassettes CEL et PEMF. Les ensembles audiovisuels vendus approchent le million.
Actuellement, il est bien difficile (sophistication des techniques et coût de réalisation) de réussir notre professionnalisme-amateur du passé, ce qui n’empêche pas de profiter, dans le cadre de la classe, des potentialités de créativité de ces techniques.
Pierre Guérin