les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Réactions à la pédagogie Freinet


La totale nouveauté de la pédagogie Freinet ne pouvait que surprendre.

Quête fébrile à la bibliothèque de l’Ecole Normale: un ouvrage de Freinet, tout de même... Discussions avec mes camarades de promotion. L’un d’eux me prêta «Les techniques de l’Ecole moderne française», puis s’intéressera lui aussi à la pédagogie Freinet. Demande auprès du Directeur en vue d’effectuer un de mes stages en tutelle à l’Ecole du Pioulier. Refus: «Je vous ferai un cours de deux heures qui vous en apprendra davantage qu’un mois passé chez Freinet» (sic, hélas!).
Deux années dans la petite école élémentaire de Gairaut, à Nice, me firent comprendre combien il était facile de s’enraciner dans la population, si on décidait de s’impliquer, et combien les enfants en tiraient alors partie. Une année à Tourrette-Levens dans une école de 250 écoliers, mais... avec la responsabilité d’une classe unique composée exclusivement d’enfants maghrébins que les collègues ne voulaient pas..., confirma la découverte précédente. Ma plus grande satisfaction fut d’obtenir des familles, en butte au racisme de l’environnement, une marque de confiance - incroyable a priori: à la suite des visites que je fis auprès de chacune et du travail de l’année, j’obtins que tous les enfants pussent quitter un mois leurs parents pour bénéficier d’un séjour en classe de découverte... Ici encore, le mouvement Freinet m’apporta un soutien extraordinaire: exposant les difficultés que je rencontrais auprès de la commune qui refusait de cofinancer la classe d’environnement, la solidarité financière des camarades au Congrès de Montpellier me permit de montrer à l’I.D.E.N. que j’étais vraiment déterminé à compenser la défaillance municipale par une quête publique... argumentée. Quelques jours plus tard, le préfet inscrivait d’office la dépense au budget de la commune...
Jacques Jourdanet

En 1968, 1es responsables désireux d’associer plus intimement des camarades d’autres cantons à une rénovation pédagogique créent le Groupe Romand de l’Ecole Moderne (GREM). Une centaine d’enseignants préparèrent alors le premier Congrès suisse de l’Ecole moderne, doublé d’une nouvelle exposition artistique où se déroulèrent de remarquables démonstrations des diverses techniques: imprimerie, limographe, monotypes. Lausanne était l’idéal lieu de rencontres et les autorités locales très collaborantes.
Pourtant,d’autres «patrons» surveillaient attentivement et avec plus ou moins de bienveillance ces enseignants quelque peu remuants et dérangeants.
Ce fut, dès lors, le prélude à des moments plus difficiles. En effet, la société, victime d’un insolent progrès, se calfeutre, s’affaiblit dans son confort matériel, se dirige vers la fracture sociale. La réussite à tout prix devient le leitmotiv à tous les niveaux et l’écolier en pâtit. Les enfants plus lents, faibles ou rêveurs n’ont plus place en classe - en ont-ils jamais eu -? L’individualisme, additionné de la folie de la compétition à tous niveaux, modifie les mentalités. En classe, le stress s’installe, sournois et gagne même les enseignants découragés.
«Ils ne mouraient pas tous,
Mais tous étaient frappés», disait La Fontaine...
Comment s’étonner, dès lors qu’au sein du GREM le militantisme se mit à fléchir?
Heureusement, des forces nouvelles arrivèrent de Suisse allemande, franchissant avec aise la barrière linguistique en apportant un souffle nouveau. Il faut dire que ces collègues avaient eu, auparavant, de nombreux contacts de travail avec le GREM. Ces jeunes impressionnent par leur attitude critique face à des groupes de pressions très nombreux dans leur région. Ils ne craignent ni le scepticisme, ni l’hostilité officielle.
Ces dernières années, en coopération étroite avec les derniers du GREM - des filles surtout - ils organisent régulièrement des rencontres avec exposition, à Zurich, Berne, Genève ou Lausanne. En 1996, à Fribourg, ils y évoqueront la mémoire de Freinet.
Jean Ribolzi

De retour à Neublans, la tête pleine de toutes ces nouvelles idées pédagogiques, nous commençons à pratiquer:. texte libre, atelier de peinture, journal scolaire écrit à la main en attendant l’imprimerie et nous commençons timidement les échanges. Parallèlement, Roland a écrit des articles concernant ces pratiques dans un journal local y insérant quelques textes libres d’enfants. Réactions immédiates des collègues de deux villages voisins qui mettent en garde les parents: quatre élèves quittent l’école! Nous demandons une inspection, celle-ci se déroule très bien et
nous pouvons continuer.
Madeleine Belperron

J’ai encore en mémoire la réflexion de Sylvie, une élève de onze ans qui m’avait connue en pédagogie traditionnelle. Deux ans plus tard, alors que je m’étais déjà bien engagée dans la pédagogie Freinet, elle m’avoua: «Vous savez que vous avez drôlement changé, maîtresse». Eh oui! je la voyais avec un autre regard et c’est fou ce que l’on est capable de faire quand on vous regarde positivement ; car il s’agit bien de faire. Cette expérience de Magny-Cours, avec le recul, n’a rien d’extraordinaire en soi, mais nous avons réalisé quelque chose, avec d’autres et, sans ces autres, sans Célestin Freinet, nous ne l’aurions pas fait.
Aujourd’hui, je suis seule, Raymond est mort depuis quatre ans. Beaucoup d’amis du Mouvement ont également disparu: M.Beaugrand, ME Bertrand, M.Berteloot... Je suis heureuse de pouvoir les faire revivre maintenant.
A Raymond qui n’a pas entendu comme moi, le merveilleux témoignage de sa fille, à Célestin Freinet que j’aurais tant aimé connaître et à tous mes amis, j’offre ce bel hommage de Pascale adressé à ses parents: «Le plus beau cadeau que vous m’avez offert, c’est votre éducation dans l’esprit et les principes de la Pédagogie Freinet»
Jacqueline Massicot

Dans la foulée de soixante-huit, je fus, heureusement, sollicité pour participer dans un Centre Régional de Formation à un passionnant travail d’équipe. Au bout d’une dizaine d’années la remontée du traditionalisme m’amena cependant à me tourner vers l’ICEM, dans les rencontres nationales duquel je rencontrai des préoccupations proches des miennes chez des collègues tant du primaire que du secondaire. Ces échanges débouchèrent rapidement sur une véritable coopération au sein d’un groupe de travail fondé en 1980.
Mais, face à un retour de plus en plus agressif de trop vieilles démarches, je me sentis tenu de me positionner clairement face à une hiérarchie nouvellement placée pour les promouvoir. Peut-être eussé-je pu le faire de façon plus discrète? Toujours est-il que, malgré un dossier professionnel jusque là tout à fait positif, l’Inspection Générale de ma spécialité et son relais régional ne cessèrent jamais plus de me poursuivre de leur sollicitude! A commencer - pour ne prendre qu’un exemple - par un transfert quelques jours après la rentrée, du poste dont j’étais titulaire au Centre de formation de Professeurs dans un collège de quartier exposé, à 120 km de là et avec des élèves en difficulté... La Pédagogie Freinet avait commencé à transformer ma vie, pourrais-je plaisanter!
En fait, je ne regrette strictement rien. Au contraire, dirais-je même avec le recul. Remis en contact avec la réalité de la classe, je pus y expérimenter et en témoigner en pleine connaissance de cause. Et de façon beaucoup plus crédible que depuis un poste de formateur.
La plupart de mes anciens collègues du Centre peuvent se retrouver aujourd’hui chefs d’établissements ; j’ai, quant à moi, beaucoup plus apprécié la possibilité de continuer à travailler et témoigner librement dans des revues pédagogiques, syndicales, de spécialistes ou autres pour combattre, même sans gros résultat apparent, une conception tellement modélisée et expositive de l’enseignement technologique qu’elle en paraît caricaturale.
En ce sens, la Pédagogie Freinet m’aura finalement bien apporté la liberté.
Même si, ô combien précieuse, m’aura été la présence constante des camarades: seul on n’a jamais raison contre tous et on ne saurait «tenir la distance».
Heureux néanmoins d’avoir pu éviter d’appeler au secours, car convaincu que toute liberté a quelque part son prix.
Prix que d’autres, à commencer par Freinet lui-même, ont dû payer nettement plus cher.
Liberté aussi d’explorer pleinement, dans des directions pour la plupart signalées par lui, des pistes souvent entrevues par lui. Et selon des démarches plus ou moins éprouvées par lui et ses premiers compagnons.
Alex Lafosse

Dans mon travail avec les étudiants de l’Ecole Normale, c’est-à-dire avec les futurs «éducateurs du peuple», je m’efforce de leur faire connaître la Pédagogie Freinet, aussi bien par des livres que par des rencontres avec des enseignants Freinet que j`organise (p.ex. en 1995, une excursion en Forêt Noire où existe un groupe Freinet très actif). En même temps, j’essaie de leur démontrer la nécessité de l’attitude envers les élèves, décrit ci-dessus par Célestin Freinet.
Ce dernier but est très difficile à atteindre. Les jeunes étudiants à 80% des étudiantes d’ailleurs sont issus pour la plupart d’un milieu «bourgeois» et ont parcouru un Lycée traditionnel. Là, ils ont été formés dans la conscience d’avoir mérité leur succès scolaire par leur intelligence et leurs efforts, succès moyen d’ailleurs, parce que ceux avec un baccalauréat de qualité s’en vont faire des études universitaires. Ils sont donc très «sages», très naïfs et imprégnés par l’idée d’apprendre au plus vite comment on dirige une classe «comme il faut». Finis les temps où j’étais mise en cause par des étudiants impatients de changer l’Ecole, ni quoi que ce soit... Ceux et celles devant moi aujourd’hui ont appris la leçon qu’il faut s’adapter, se plier aux exigences si l’on veut avoir un des postes très rares... Il y en a même qui m’en veulent lorsque que j’essaie d’organiser un cours selon les méthodes Freinet, c’est-à-dire lorsque je leur propose le choix d’objectifs de travail, ou des groupes ou des méthodes de travail... Tout ce qui n’est pas nettement imposé, qui sent le risque d’une décision personnelle, de la liberté, leur inspire peur, ou plutôt méfiance...
Ils se plient déjà avant qu’on le leur ait exigé. Et la pauvre vieille qui cherche à leur insinuer une autre attitude, à ébranler quelques-unes de leurs convictions, se sent bien des fois un peu seule parmi eux.
Ce n’est donc jamais la majorité qui se laisse inspirer de cette autre conception du travail pédagogique, inspirée et initiée par Célestin Freinet il y a 75 ans. Mais quelques-uns, dans chaque promotion, commencent à s`y intéresser, «prennent feu» et cherchent activement le contact avec la Pédagogie Freinet. J’ai toujours trouvé une possibilité pour ceux-là de faire un stage dans une classe Freinet, ou de participer à des rencontres, etc.
Les autres apprennent la Pédagogie Freinet par les livres, ou les minimalistes par les notes prises par leurs camarades et la récitent dans les examens. Et cela n’est déjà pas mal, n’est-ce pas?
Ingrid Dietrich

Comme beaucoup d’autres, je n’étais pas toujours d’accord avec Freinet. Mais il prenait soin de nous donner la parole parce qu’il croyait à l’importance de la confrontation des idées. Il m’avait même confié la rubrique de l’Educateur: «La part du maître». La plupart du temps, il acceptait tels quels mes articles, sans jamais les censurer et se réjouissant même des problèmes que, parfois, je posais. Il ne me demandait de reprendre que ceux qui n’étaient pas directement compréhensibles.
Il avait été déçu et presque choqué d’apprendre que moi, le fidèle des fidèles, je n’imprimais plus, que je n’avais pas de journal scolaire et que je n’utilisais pas la correspondance. - Après onze années de pratique! -. Il m’expliquait qu’il était d’accord pour dire que la correspondance n’était pas faite pour l’histoire et la géographie, mais pour mieux se connaître. Moi, je pensais que, jusqu’à 9 ans, les activités de la pédagogie Freinet suffisaient largement pour cela, pour peu qu’on ait souci de développer les langages, ce que je m’efforçais de faire dans des domaines inhabituels comme le parlé, le chant, la gymnastique et la mathématique. Mais lui, il avait plutôt une optique grande classe. Et il avait raison de penser qu’à ce moment-là, il fallait ouvrir les fenêtres sur le monde. Elise me comprenait mieux parce que je me trouvais davantage sur sa ligne. - Mais Freinet craignait que mes interventions ne dissuadent des camarades de ce niveau de pratiquer la correspondance, alors qu’il pensait qu’elle était accessible à tout le monde et que, par sa seule introduction, les choses s’en trouveraient déjà considérablement et positivement changées.
Je n’étais pas non plus d’accord sur le fait qu’il fallait construire le savoir mathématique sur le réel, alors que je pensais, et que mes élèves m’avaient conforté dans l’idée, qu’il fallait d’abord s’en désengluer. Mais bien que fondamentalement opposé à cette idée, il n’en avait pas moins publié le récit de mes premières expériences. Elise me disait:
- «Ici, tout le monde est contre toi. Et moi, je serais plutôt de leur coté. Mais, continue, tu pourrais avoir raison contre nous tous».
Mais si j’ai eu en grande partie raison, ce n’est pas contre eux, mais avec eux, parce que j’avais appliqué leurs idées à l’enseignement des mathématiques. Elise s’était d’ailleurs rapidement rangée à mon point de vue parce qu’elle sentait qu’on ne pouvait faire totalement confiance au seul calcul expérimental.
Même comportement de Freinet à propos de «Rémi à la conquête du langage écrit». Les premiers cahiers l’avaient un peu inquiété. Mais il ne les en avait pas moins publiés. Lorsqu’il avait choisi comme thème du congrès d’Annecy: «Critique de l’école traditionnelle», nous avions été plusieurs à lui dire notre désaccord. Alors, il avait opté pour: «Les maladies scolaires». En cette occurence, nous avions eu tort, car cette critique était à faire, comme elle l’est encore à faire maintenant. Ayant connu tout ce qu’il avait connu, il n’hésitait pas à affronter la réalité en face. Nous, nous étions beaucoup plus timorés.
Paul Le Bohec

Freinet m’appelait aussi «Viens ici, Paulette 40, fais-nous rire avec tes misères...»
Freinet paraît-il, n’avait découvert que je travaillais dur et sérieusement que sur le témoignage d’Elise! C’est en riant que je racontais «la dernière» de ma Directrice, ou de mon Inspecteur. Je disais cela - qu’y faire? - avec mon accent, n’est-ce pas?
Alors les copains riaient aussi.
Donc, la «dernière» anicroche: dans mon vieux chalet sur le mur de ciment gris sale, il nous prend l’idée de peindre une belle fresque à la peinture (en 1952, je crois). Arrive «Madame». Une exclamation: «Mais que faites-vous! sur le mur!!! Si l’Inspecteur des Bâtiments communaux arrive, vous vous rendez compte?» Moi: «Mais Madame, ça se lave... Elle, soulagée: «Ça se lave? Oh! alors, c’est beau...»
Freinet ne restait pas sur notre beau rire. Il était déjà à imaginer les garde fous qui pouvaient nous faire conquérir peu à peu plus de liberté vis à vis des Corps Constitués.
Et celle de l’inspecteur, tout de noir vêtu, depuis son grand feutre, qui arrive, le dernier samedi du trimestre, ler avril - 3 mois de classe sans vacances, 6 heures par jour, 5 jours par semaine -. Section Enfantine CP - 56 enfants, entassés. Pas de femme de service pour accompagner les plus petits au «cabinet» au fond de la cour! Il fallait déranger 23 gamins quand «ça pressait».
Ma colère s’était déjà déchaînée contre le Conseil Municipal. «Faites-moi des bureaux à étages... Je mettrai plus d’enfants».
Le ton montait des deux côtés.
Poussée à bout, sur la page de Vie de notre journal, j’écris:
«Laissez venir à moi les petits enfants...»
Nous sommes 56 et chaque enfant n’a que 0,94m2 de place... Tout de suite il gronde: «Vous osez m’écrire cela sur votre journal public: vous savez que vous êtes tenue à l’obligation de réserve...»
- «Mais Monsieur l’Inspecteur, si je ne l’écris pas à vous, alors à qui..»
Imperturbable, mon chef hiérarchique compte mes zouaves et note sur mon rapport: «La maîtresse a retrouvé de meilleures conditions de fonctionnement: Présents 48!...
Paulette Quarante

Elles ont l’âge d’être grands-mères maintenant, mes élèves! Celles que je vois de temps en temps se sont bien débrouillées. L’une d’entre elles est venue me voir cet été: elle est coiffeuse et esthéticienne.
Elle m’a expliqué que, aller à l’école pour elle, ce n’était pas aller à l’école comme on l’entend communément, c’est-à-dire, aller à la corvée avec tous les ennuis qui peuvent s’ensuivre. Elle appréciait surtout nos sorties dans la nature. Puis elle a continué ses études et elle a constaté qu’elle en savait autant que les autres qui avaient peiné en vase clos. Elle ironise sur celles qui vont bosser. Elle, elle va s’occuper de son commerce, surveiller son personnel, former des jeunes et conseiller ses clientes.
Il s’agit d’une forte personnalité et sa réussite n’est pas due uniquement à l’école.
D’ailleurs un cas isolé n’est pas une preuve. «former en l’enfant, l’homme de demain», aimait à répéter Freinet.
Il faudrait un sondage pour savoir si les anciens élèves des écoles Freinet ont été mieux formés que les autres.
Juliette Moulineau

Je voulais pouvoir appliquer intégralement la méthode Freinet et venir aussi en aide aux enfants en difficulté scolaire, souvent pour des problèmes familiaux: séparation des parents, jalousie entre frères et sœurs. Dans ce dernier cas, le signaler aux parents qui ne s’en rendent pas compte et le déblocage se produit rapidement. Voici le cas précis d’un élève: «Nous sommes 3 enfants, mon frère aîné est le préféré de mon père, ma petite sœur la préférée de ma mère et moi de personne». Surprise des parents à qui j’ai signalé ce fait et qui se sont mieux occupés du 2ème enfant qui a aussitôt fait de rapides progrès et finalement obtenu un bac technique.
Autre blocage, une enfant de 12 ans, d’intelligence normale, ne savait pas lire «parce qu’il n’y avait pas d’atomes crochus entre elle et la maîtresse du C.P.». Le rattrapage a été très rapide.
Les élèves se plaisaient beaucoup dans ces classes, preuve apportée par beaucoup de parents: «On n’y comprend rien! Avant, il ou elle, n’attendait que les vacances et maintenant, il(ou elle, s’ennuie pendant les vacances et n’attend que la rentrée avec impatience!»
Andrée Bertet

En route pour l’aventure. Je l’entreprends avec prudence. Les parents invités prennent langue mensuellement avec moi depuis la rentrée d’octobre 1933. Peu à peu ils acquièrent conscience de la nécessité d’unir nos efforts comme de solliciter quelques amis extérieurs au sein d’une Amicale Laïque. Dans un rapport de 1935, l’Inspecteur primaire, intéressé, note: «On assiste ici à une transformation spectaculaire dans la classe, non seulement en tant que bâtiment, grâce aux efforts des parents et des amicalistes, mais par le climat éducatif dont bénéficient les élèves».
(...) 1943 - 1944 - 1945: Personnalisation, individualisation, succèdent aux leçons exposées. Textes libres retravaillés en commun, poèmes, dessins libres, gravures, rien n’étonnera plus quiconque. Ni les élèves, ni les parents régulièrement informés. Ni les artisans du bourg: maréchal-ferrant, sabotier, boulanger par exemple qui répondent aux enquêtes entreprises. Ni les employés de la gare, ceux du bureau de poste. Ni les anciens interrogés sur le folklore du pays de Retz, sur la demande du Ministère transmise par l’Inspection Académique. A la fin de l’année scolaire, aucun échec aux devoirs d’examens. Et surtout, le niveau de curiosité s’est accru. Aux questions posées par certains coopérateurs, il a fallu des réponses. D’où des recherches sous formes multiples. Souvent, les réponses ont été satisfaisantes. Parfois, il faudra mettre en route des investigations plus approfondies. Chacun, dans ce cas, doit comprendre la nécessité d’un délai, de persévérer.
Autre point satisfaisant, des parents d’enfants du cru, garçons et filles même, ont profité du bouleversement de nos effectifs pour faire inscrire leurs rejetons à l’Ecole Communale: adaptation sans problème.
1945: Il faut me rendre à l’Université de Lyon, afin de soutenir le mémoire préparé, en vue du diplôme, sur un aspect de la pédagogie Freinet.
Titre: «Le dessin libre des enfants dans une classe Freinet». En fait, je m’attache à prouver l’importance capitale de la vie affective de l’enfant, confronté à la vie d’une classe. Accueil excellent. Le Prof. Jean Bourjade, Président du Jury, me suggère de préparer une thèse. C’était le 5 décembre, j’avais repris, dès les premiers mois de cette année, un contact épistolaire avec Freinet et avec Elise. L’autorisation académique m’a été accordée de me
rendre au Pioulier où l’un et l’autre sont revenus.
Maurice Pigeon

(...) Malgré leur apparente amabilité, nos collègues n’appréciaient pas notre pédagogie. C’est ce que nous avons découvert lorsque l’Inspecteur d’Académie et l’Inspecteur Primaire sont, ensemble, venus nous inspecter l’un et l’autre. Inspection sans problème, mais pourquoi? Dans son bureau, l’Inspecteur d’Académie nous expliqua qu’une pétition des parents avait été envoyée par le maire au préfet, qui l’avait transmise au recteur!
Il nous lut un passage de la pétition: «Mme Poisson apprend à ses élèves à reconnaître et à dessiner des mots avant de leur apprendre à former des lettres». Il estimait, comme nous, que les auteurs n’en étaient pas seulement des parents.
Il nous soutenait, ne voulait nullement interdire notre pédagogie, n’a laissé aucune trace de cette affaire dans nos dossiers.
Cependant, face à la toute puissance politique du maire, il déclara ne pas être certain de toujours pouvoir nous protéger et nous conseilla de changer de poste.
On vint me demander de remplacer une maîtresse d’application. J’expliquais alors à la directrice de l’E.N. que je pratiquais la pédagogie Freinet, que je suivais l’expression libre des enfants et que j’exploitais leurs apports quand ils se présentaient ; que, par conséquent, je ne pouvais m’astreindre à respecter les exigences des professeurs qui viendraient inspecter les normaliennes.
A ma stupéfaction, elle trouva cela très intéressant. Je n’eus pas de problèmes avec les profs, mais des accrochages avec les autres maîtresses d’application lors de conférences pédagogiques. Mon travail ayant sans doute donné satisfaction, je suis devenue Maîtresse d’Application.(1)
Denise et Paul Poisson

(...) Après la visite d’une exposition de peintures d’enfants où «l’Ecole Moderne» locale avait sa bonne part, une collègue disait: «Il faudrait d’abord leur apprendre que les gens ont le nez au milieu de la figure et deux pieds pareils, pas l’un plus long que l’autre».
Un inspecteur voyant une imprimerie d’occasion au fond de la classe: «Ah! vous imprimez? Avant d’imprimer, il faudrait d’abord apprendre à lire à vos élèves».
Marguerite Merklen

A la rentrée scolaire 1952-1953, j’introduis des techniques Freinet, dans mon CM2, à l’école de St Joachim. Cela dérangeait mon collègue directeur, mon Inspecteur.
Rapport d’inspection, en avril 1953:
«Le maître se réclame de la méthode Freinet, c’est pourquoi il n’a pas de journal de classe. A l’avenir, Mr Yvin tiendra un journal de classe, ce qui lui facilitera la tâche, quoi qu’il pense.»
Mais oralement, il me lance. «Au lieu de faire de la politique, et du théâtre, faites votre classe».
En 1962, toujours le même Inspecteur, à la Baule.
«Il y a lieu de signaler que le maître s’inspire des techniques utilisées par les partisans de l’école nouvelle: imprimerie, journal scolaire, textes libres, par exemple, il y a une coopérative, qui fonctionne régulièrement.»

(1) Institutrice(teur) qui participe à la formation des enseignants débutants.
Et là, il m’encourage à faire ma demande pour le stage de Beaumont-sur-Oise (Classe d’enseignement spécial), il augmente ma note et ajoute, «là, vous pourrez faire votre cirque, avec votre imprimerie».
Pierre Yvin

Il y a deux ans, le 14 mai 1992, un bonheur inattendu me fut donné: celui de prendre conscience de quelle manière la Pédagogie Freinet peut s’inscrire chez les enfants - ceux qui furent mes élèves à Codalet de 1957 à 1963 - et les aider à construire leur personnalité, au cours d’une rencontre qui, l’espace d’un jour, 34 ans après, nous avait réunis. Je retrouvais le regard, les attitudes de l’enfant dans ces jeunes femmes et ces jeunes hommes qui exprimaient à travers leurs souvenirs comment une imprégnation profonde était devenue technique de vie. Souvenirs communs à tous: l’expression libre, l’organisation coopérative du travail, le climat de la classe, mais à des niveaux différents, chacun ayant pris, dans le complexe mis en œuvre, ce qui lui était nécessaire pour grandir, s’épanouir, parfois en surmontant ses difficultés.

Jany:
«J’ai gardé un merveilleux souvenir de l’école primaire de Codalet, à tel point qu’en 1994 j’ai voulu nous regrouper l’espace d’un jour autour de notre institutrice. Quel bonheur de se retrouver 34 ans après! Les souvenirs ont refait surface et nous avons aussitôt recréé l’ambiance qui nous unissait.
Il n’y avait pas de séparation entre la maison et l’école. J’étais libre de m’exprimer librement sans aucune gêne, j’allais au tableau, j’expliquais mes textes libres sans jamais ressentir de moquerie. Chacun s’exprimait sans raillerie aucune de ses camarades, ce qui fut différent en 6ème.
J’étais motivée par les recherches et les exposés et j’ai gardé cette motivation dans ma vie professionnelle.
Une notion très importante aussi: celle de responsabilité. Nous étions responsables de notre travail, de l’imprimerie, des peintures, des fichiers, des fournitures scolaires. Jamais aucun vol. Chaque responsable avait la confiance de la classe.
Un souvenir très fort aussi: Michel avait de grosses difficultés en orthographe, mais dès l’instant où il avait composé et imprimé un texte, il le photographiait sans aucune faute. Il était responsable de l’imprimerie.
Après mon entrée en 6ème, je revenais en classe pour me ressourcer.»
Jany Tesse, Codalet, secrétaire de mairie.


Ils revenaient tous: les «grands», partis en sixième ou en apprentissage, le samedi après-midi, s’intégrant au travail, aidant à terminer les œuvres, à ranger, à préparer la classe devenue classe unique, pour le moment si attendu et solennel de la réunion de la coopérative.

«Nous travaillions tous ensemble, il n’y avait pas de compétition entre nous, mais vous permettiez à chacun d’aller le plus loin possible. Arlette nous aidait en peinture à chercher de belles teintes, lorsqu’on ne savait plus.
Je ne pensais pas qu’il nous serait possible de retrouver aussi vite cette atmosphère de classe, cette simplicité et de redevenir enfants.»
Monique Borneil, Montpellier, Professeur d’Arts Plastiques.

«Une pédagogie profondément humaine...
Vous avez su réveiller chez les enfants que nous étions l’envie de savoir, le plaisir de découvrir. Profondément attachée à cette pédagogie profondément humaine, vous faisiez de nous des enfants privilégiés.
Nous avons réussi dans des domaines variés. Certains, même, vous doivent leur métier. Je savais que je serais photographe: je faisais les photos en classe promenade.»
Franck Tellosa, Perpignan, Photographe

«Les enfants de maintenant, il faut tout leur apporter tout prêt.
Nous, nous allions arracher l’argile au bord de la rivière et nous allions chercher le sapin de Noël dans la montagne.»
Joseph Larrieu, Prades, Maçon et célibataire

«J’étais responsable de l’imprimerie, c’était mon travail, celui que je préférais.»
Michel Nicolau, Codalet, Agriculteur.

La lettre de Suzon, qui trop éloignée n’avait pas pu assister à la rencontre:
«Vous avez été une des figures emblématiques de mon enfance, vous m’avez aidée à grandir, vous m’avez donné l’amour du travail. De vous, j’ai retenu par dessus tout et symboliquement votre sourire et le terme par lequel vous nous désigniez: «enfants». Telle était votre appellation favorite, non précédée de possessif et pourtant empreinte d’affection.
Vous nous avez fait vivre le temps de l’école, non comme une corvée mais dans la sérénité.
Notre imprimerie, notre journal, nos poèmes, la part accordée à l’expression sous toutes ses formes, nous ont révélés à nous-mêmes, tout autant qu’ils nous ont appris à déceler la beauté du monde et peut-être est-ce au nom de cette nostalgie ancienne et de l’amour des mots que j’ai voulu, très tôt, devenir professeur de lettres.»
Suzon Casenobe, Savigny Le Temple, Professeur de lettres

«Aujourd’hui, j’ai 47 ans et mes pensées souvent vont vers mon enfance. Née dans une famille de trois enfants, d’un père ouvrier, travaillant dans les mines de fer de Faurinya et d’Escaro et d’une mère, bonne mère de famille, mais sans instruction ni culture, j’étais une enfant qui errait dans les rues de mon village à la recherche de quelque chose.
Je me promenais dans les bois, je parlais aux fleurs (1)et aux arbres, je suivais les rivières. Je ne me suis jamais souvenue de l’école maternelle.
A dix ans, je ne savais ni lire, ni écrire, ni apprendre par cœur, devant ce tableau noir, je me sentais déjà frustrée. Puis à la rentrée suivante je suis allée à la «grande école».
Là, beaucoup de changements. Une nouvelle maîtresse m’a accueillie et m’a mise en confiance. Je passais des moments à jouer avec l’eau, dans l’évier, qui était de marbre rouge, sans que la maîtresse crie ou me punisse. C’était, je pense, sa façon à elle de m’apprivoiser.
Puis j’ai découvert le dessin, la couleur et la peinture, les textes libres que l’on pouvait raconter à toute la classe. J’écoutais attentivement et avec plaisir les poésies de Victor Hugo et d’Appolinaire et j’apprécie de les relire aujourd’hui.
Nous écrivions des textes, des poèmes pour notre journal «Le Canigou» que nous vendions dans le village. Il était imprimé par toute la classe et les dessins étaient faits par les auteurs du texte.
Cette façon de travailler m’a permis d’évoluer, de m’enrichir, d’aimer ce qui m’entourait, d’apprécier la musique, d’être sensible à la beauté des choses et à la tristesse.
Je n’ai pas l’instruction pour avoir des diplômes, mais j’ai une culture (2) qui m’a permis de construire ma personnalité et que m’a donnée avec beaucoup d’amour une institutrice qui avait choisi la Pédagogie Freinet.»
Arlette March, Aide-soignante à l’hôpital de Prades

L’ancienne correspondante de Monique Borneil - nous correspondions alors avec une classe de Saint-Joseph-les-Bans en Ardèche - nous a fait apporter par Monique, avec laquelle elle est toujours en relation, cette lettre pour le jour de notre rencontre:
«Il était une fois un maître et une maîtresse, qui, soucieux d’élargir l’horizon de leurs élèves, décidèrent de leur attribuer des correspondants.
La mienne s’appelait Monique Borneil. J’ai toujours conservé sa première lettre, vous allez savoir pourquoi.
Je trouvais que son nom brillait comme le soleil et j’ai

(1) Arlette dessinait toujours ce qu’elle appelait «des visages en fleur». Je viens de comprendre pourquoi puisque pour elle les fleurs avaient un visage.
(2) Freinet disait de certains enfants de l’école qui avaient dominé le handicap du départ: «Ils ont une culture, ils savent réfléchir, lire, choisir, juger. Ils sont formés pour la vie.»
vite compris que le soleil là-bas, c’était l’or des abricots du Roussillon. Je me souviens qu’à chacune des lettres apportées par le facteur c’était la joie, le bonheur de lire, de découvrir cette nouvelle amie. Très vite nous sommes devenues amies et avons partagé nos secrets. Les colis de Noël, soigneusement préparés, venaient compléter notre joie en nous apportant des produits inconnus chez nous, comme le «touron» par exemple. Et puis s’écrire n’a plus suffi.
Il a fallu se voir en vrai, se toucher, s’entendre parler et rire. Alors j’ai fait le premier pas qui fut mon premier voyage.
Notre amitié n’a connu aucun heurt, elle s’est élargie à nos maris, à nos enfants et à nos amis. Merci donc à ces instituteurs qui nous ont offert ce bonheur qu’est l’amitié, parce qu’ils avaient compris qu’en se tournant vers les autres, la richesse du cœur irait grandissant. En ouvrant cette fenêtre sur le monde, ils nous ont donné le goût de l’aventure, de l’échange, le bonheur quoi!
Mille fois merci.»
Annie Roux, la correspondante de Monique Borneil, conseillère d’éducation, le 9 mai 1994

Ces moments de la vie de notre classe qui furent pour nous une expérience unique et indélébile, faite de travail intense et motivé, de créations, d’enthousiasmes et de bonheurs partagés, exprimée par les enfants est un hommage à Freinet.
S’il nous a été possible de faire un bout de chemin sur cette «voie royale» qu’avec Elise, ils nous ont tracée, c’est parce qu’ils ont mis leur œuvre à notre disposition au sein du chantier coopératif de l’Ecole Moderne, pour le partage du travail et de l’amitié.
Thérèse Vigo