les Amis de Freinet
le mouvement Freinet au quotidien
des praticiens témoignent
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Poème


Par les routes fantasques du Haut Var,
Nous passions en cortège anonyme,
Salués de passants, de gosses qui riaient...
Ne sachant pas.

Par les vaux sombres où se perdait
L’Estéron capricieux,
Nous le suivions
Comme on suit en confiance
Celui qui connaît le chemin.

Au long des murailles bleues
Aux rocs bleus, scellées,
Les frères accourus, les mains vides
Les femmes accablées, aux yeux rougis
Attendaient.

Tu étais là, tout à l’heure,
Et regardais
Avec nous, dans l’enclos de pierraille,
L’homme au hoyau crochu
Tirant sous lui la terre fauve...
Ton vieux parent peut-être
Aux reins courbés...
La pluie de sable, en cascades,
Continuait sa lente descente
Presque sans bruit:
Un oiseau, dans un buisson, là-haut
Lança deux tirelis et sans réponse
Et sans écho, écouta, lui aussi
Les baisers de silence et les étreintes chuchotées.

Tu étais là et pris congé...
Nous avons jeté un regard
Aux volets verts tirés
Sur la façade austère...

«Freinet dort un peu»
Tout à l’heure, il reviendra
Pour nous montrer les venelles voûtées
Où s’égaraient ses pas d’enfant,
La place minuscule,
La plaque commémorative
Où son petit cousin, à vingt ans, fut inscrit.

Regardons s’élever là-bas, la rude muraille
Que le temps, à coups de gouge géante, a entamée
Ça et là,
Et les pampres roux qui circonvolent
Aux murs escaladant...

«Paul, mon cher Paul, ne pleure pas
Courbé, au coin de cette porte
Irrémédiable...
Et toi, Camille, viens, plutôt,
Nous allons écouter
La frémissante voix de la source amicale
Elle vit, comme vit sa pensée
Comme vit sa voix qui nous accompagne

Elle nous dit «Allez... Maintenant
La route est là, je vous l’ai faite
Et si je ne suis plus, en avant, avec vous
Allez plus loin, quand même, où brille le soleil.»

Au bas du brun vantail de la porte, un label,
Un rustique soleil gravé, tout droit, regarde
Par devant lui, la Montagne de Charamel
Au village de Gars, dans l’Alpe qui le garde.

Raymond Dufour
15 octobre 1966